Elysées 2012

Les fauves

Un documentaire de Rotman qui donne des dix dernières années une vision effarante, violente.

On a beau dire avec les philosophes de l'histoire (Hegel, Marx) que l'histoire fait autant l'homme, que l'homme fait l'histoire ; on a beau rappeler qu'un acteur politique ne peut avoir des chances d'émerger, d'intervenir, et d'agir avec efficacité que pour autant qu'il aille dans le vent de l'histoire, c'est-à-dire sache saisir les opportunités ; on a beau maintenir ce recul qui fait plutôt prendre les données psychologiques comme des formes que prend l'action politique mais rien de plus ... il y a, ici présentée, une telle haine que c'en est presque désarmant.

Ce qui se révèle ici c'est combien la lutte fratricide de 95 entre Balladur et Chirac aura laissé des traces. Jusqu'à quel point les grandes passions de la dramaturgie auront, presque par effraction, pris la première place : en barrant la route aux balladuriens entre 95 et 97, ce qui coûtera cher à la droite ; en prolongeant l'exil du fils prodige mais indigne, Sarkozy; en plaçant sur le même plan d'héritiers putatifs, deux hommes aussi jaloux de leur place auprès du père qu'ils seront prompts à le trahir quand il le faudra; aussi proches que possible l'un de l'autre que ne le permet leur haine réciproque

Il faudrait un René Girard pour entendre cette lutte fratricide tant elle ressemble aux grandes épopées bibliques dont on aimerait qu'elle fût tragique, dont on peut craindre qu'elle ne fût qu'une farce ; tragi-comique.

Le mimétisme est flagrant entre les deux, qui se ressemblent tellement dans leur détestation réciproque, dans leur ambition mutuelle, dans la violence, la brutalité qu'ils mettent dans leur affrontement qu'on ne peut que songer à cette montée aux extrêmes qu'évoquait Girard en reprenant l'expression de Clausewitz.

Nous nous demandions ce qui faisait la légitimité - et la pouvait défaire - d'un candidat - à propos du cas DSK : reprenant de Gaulle nous repérions la capacité à dépasser les clivages et les partis et à s'adresser à la Nation ; mais encore nous affirmions la nécessité d'un message adressé à la Nation, et non seulement la mise en scène d'un ego.

C'est ceci, et rien d'autre, qui embarrasse dans cette lutte à couteaux tirés : elle est justifiée par des ambitions personnelles, pas par des ambitions nationales.

Ne soyons pas naïf : nul ne peut atteindre ces sommets du pouvoir sans une forte dose de mégalomanie, sans un ego démesuré, sans une ambition trempée à toutes les épreuves. Construire toute sa vie autour de cet objectif unique renvoie à une construction mentale et psychologique bien particulière. Evidemment !

Pour autant, Hegel ne dit pas autre chose, le grand homme c'est celui qui sait conjuguer, ou laisser se conjuguer les fils individuels et la trame de l'histoire - où il voit la Ruse de la Raison. C'est cette conjonction entre local et global, entre particulier et universel qui constitue la ruse, la marche et le mystère de l'histoire. Mais c'est aussi cette conjonction improbable où se noud le destin du grand homme, du héros.

Cest ceci qui nous embarrasse autant que nous fascine ici : ne reste que le local, que l'infinie misère de la légèreté humaine. Qui nous désole aussi.

Si l'on devait reprendre l'impératif catégorique de Kant (ne pas prendre l'homme seulement comme un moyen mais comme la fin de notre action ) et que l'on dût en rappeler le corrolaire - la perversion consiste toujours dans l'érection du moyen en fin en soi - alors, de manière irréfragable, nous pourrions avancer que nous plongeons ici dans la perversité la plus criante. Ce n'est pas le goût du pouvoir qui est pervers, mais le goût du pouvoir pour le pouvoir, l'aspiration vers un pouvoir qui serait sa seule justification, omettant par obnubilation de ses mirages, lustres et passions, qu'il n'a de sens que pour quelque chose, pour quelqu'un.

Dans cette haine, dans ce combat homérique demeure une grande absente : la Nation. Est nié le seul acteur qui vaille : le peuple.

Il faut être d'acier assurément pour briguer la présidence ; avoir un caractère assuré et savoir prendre des coups ; en avoir une irrésistible envie ! L'ambition n'a rien de malsain : elle devient juste obscène quand elle cesse d'être au service de la nation.

Ces deux là ne servent pas la France, mais s'en servent !

 


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