René DESCARTES (1596-1650)
Discours de la méthode, II Garnier T. I, p. 586 - 587.
Et
comme la multitude des lois fournit souvent des excuses aux vices, en sorte
qu'un État est bien mieux réglé lorsque, n'en ayant que fort peu, elles y
sont fort étroitement observées ; ainsi, au lieu de ce grand nombre de
préceptes dont la logique est composée, je crus que j'aurais assez des
quatre suivants, pourvu que je prisse une ferme et constante résolution de
ne manquer pas une seule fois à les observer.
Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la
connusse évidemment être telle : c'est-à-dire, d'éviter soigneusement la
précipitation et la prévention ; et de ne comprendre rien de plus en mes
jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à
mon esprit, que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute.
Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerais, en autant
de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux
résoudre.
Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les
objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à
peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés ; et
supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement
les uns les autres.
Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues
si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre.
Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les
géomètres ont coutume de se servir, pour parvenir à leurs plus difficiles
démonstrations, m'avaient donné occasion de m'imaginer que toutes les
choses, qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes, s'entre-suivent
en même façon et que, pourvu seulement qu'on s'abstienne d'en recevoir
aucune pour vraie qui ne le soit, et qu'on garde toujours l'ordre qu'il faut
pour les déduire les unes des autres, il n'y en peut avoir de si éloignées
auxquelles enfin on ne parvienne, ni de si cachées qu'on ne découvre.