René DESCARTES (1596-1650)
Principes de la philosophie,
I, articles 43 et 45.
Mais
il est certain que nous ne prendrons jamais le faux pour le vrai tant que
nous ne jugerons que de ce que nous apercevons clairement et distinctement ;
parce que Dieu n'étant point trompeur, la faculté de connaître qu'il nous a
donnée ne saurait faillir, ni même la faculté de vouloir, lorsque nous ne
l'étendons point au-delà de ce que nous connaissons. Et quand même cette
vérité n'aurait pas été démontrée, nous sommes naturellement si enclins à
donner notre consentement aux choses que nous apercevons manifestement, que
nous n'en saurions douter pendant que nous les apercevons de la sorte.
(...) La connaissance sur laquelle on peut établir un jugement indubitable
doit être non seulement claire, mais aussi distincte. J'appelle claire celle
qui est présente et manifeste à un esprit attentif ; de même que nous disons
voir assez fort, et que nos yeux sont disposés à les regarder ; et
distincte, celle qui est tellement précise et différente de toutes les
autres, qu'elle ne comprend en soi que ce qui paraît manifestement à celui
qui la considère comme il faut.
Il y bien des choses que nous rendons plus obscures en
voulant les définir, parce que, comme elles sont très simples et très
claires, nous ne pouvons mieux les connaître ni les percevoir que par
elles-mêmes. Bien plus, il faut mettre au nombre des principales erreurs qui
se puissent commettre dans les sciences, l'erreur de ceux qui veulent
définir ce qui doit seulement être conçu, et qui ne peuvent pas distinguer
les choses claires des choses obscures, ni discerner ce qui, pour être
connu, exige et mérite d'être défini de ce qui peut très bien être connu par
soi-même.
Je ne crois pas, en effet, qu'il y ait eu jamais personne d'assez stupide
pour avoir besoin d'apprendre ce que c'est que l'existence avant de pouvoir
conclure et affirmer qu'il existe. Il en est de même pour le doute et pour
la pensée. J'ajoute même qu'il est impossible d'apprendre ces choses
autrement que par soi-même et d'en être persuadé autrement que par sa propre
expérience et par cette conscience ou par ce témoignage intérieur que chacun
trouve en lui lorsqu'il se livre à un examen quelconque. Si bien que, tout
de même qu'il est inutile de définir le blanc pour faire comprendre ce que
c'est, pour savoir ce que c'est que le doute, et la pensée, il suffit de
douter et de penser. Cela nous apprend tout ce que nous pouvons savoir à cet
égard et même nous en dit plus que les définitions les plus exactes.