René DESCARTES (1596-1650)
Sixièmes réponses aux objections adressées aux « Méditations ».
Quand
donc on dit qu'un bâton paraît rompu dans l'eau, à cause de la réfraction,
c'est de même que si l'on disait qu'il nous paraît d'une telle façon qu'un
enfant jugerait de là qu'il est rompu, et qui fait aussi que, selon les
préjugés auxquels nous sommes accoutumés dés notre enfance, nous jugeons la
même chose. Mais je ne puis demeurer d'accord de ce que l'on ajoute ensuite,
à savoir que cette erreur n'est point corrigée par l'entendement, mais par
le sens de l'attouchement ; car bien que ce sens nous fasse juger qu'un
béton est droit, et cela par cette façon de juger à laquelle nous sommes
accoutumés dès notre enfance, et qui par conséquent peut être appelée
sentiment...
...néanmoins cela ne suffit pas pour corriger l'erreur de la vue, mais outre
cela il est besoin que nous ayons quelque raison, qui nous enseigne que nous
devons en cette rencontre nous fier plutôt au jugement que nous faisons
ensuite de l'attouchement, qu'à celui où semble nous porter le sens de la
vue ; laquelle raison n'ayant point été en nous dès notre enfance, ne peut
être attribuée au sens, mais au seul entendement ; et partant, dans cet
exemple même, c'est l'entendement seul qui corrige l'erreur du sens, et il
est impossible d'en apporter jamais aucun, dans lequel l'erreur vienne pour
s'être plus fié à l'opération de l'esprit qu'à la perception des sens.