Elysées 2012

Primaires

Tout le monde ou presque en fait désormais, et qui n'en fait pas l'aura en son temps envisagé (1)

Encore une de ces fausses bonnes idées. Le projet que les candidats, plutôt que d'être désignés par un congrès et d'inévitables manoeuvres d'appareil, fussent plutôt élus par la base des militants mais aussi des sympathisants a évidemment quelque chose de séduisant parce que flatte nos esprits démocratiques.

Et pourtant....

Il faudrait être bien naïf pour imaginer que si bien organisées fussent-elles, des primaires pussent empêcher les jeux politiques d'arrière-cour. Il suffit de se rappeler 2007 où la cotisation à un euro a inévitablement propulsé cette qui paraissait outsider (S Royal) mais où aussi, primaires faites, une bonne partie de l'appareil organisa un Tout sauf Ségolène qui contribua à lui savonner la planche.

D'inspiration US, les primaires ont évidemment un sens dans une organisation fédérale où la méfiance perdure à l'égard de l'état fédéral et où chaque état jalouse ses propres prérogatives. Ne jamais l'oublier : l'histoire américaine s'est faite à contresens de la nôtre. Tardivement, la France aur tenté de dégonfler la baudruche d'un état central protubérant : mais cette décentralisation s'est faite d'en haut, comme octroyée. Au contraire, c'est l'Etat fédéral américain qui s'est constitué presque contre les états et, en tout cas, avec une surveillance continue visant à empêcher toute législation, toute pratique politique qui aboutirait à les affaiblir. Dès lors aux USA, les primaires ont une véritable logique : elles permettent à l'échelon local de désigner celui sui portera les couleurs du parti à l'état fédéral sans jamais pouvoir oublier qu'il n'existerait pas sans ce dernier. Le fait d'ailleurs que les élections se fassent au suffrage indirect ne saurait être conçu comme une archaïque subsistance : au contraire c'est ici encore marquer la prééminence du local sur le fédéral.

Mais en France ? où, en dépit de la décentralisation entamée sous Mitterrand, en dépit du libéralisme triomphant, toute notre tradition reste quand même celle d'un état fort, interventionniste.

Les campagnes présidentielles sont longues, ardues, épuisantes. Désormais quinquennales, elles n'ont pas forcément à gagner de présenter des candidats qui se seront préalablement éreintés entre eux.

Surtout, quel sens peut bien avoir la confrontation de candidats supposés partager le même programme préalablement établi et voté en congrès ? De deux choses l'une : ou bien le programme est un prétexte ; ou bien il ne s'agira que d'une lutte d'ambitions personnelles. Ou pire : les deux à la fois ! Et qu'on ne nous dise pas que les différents candidats se contenteront d'infléchir le programme autour de quelques orientations personnelles. En réalité on se moque.

Gare : on n'a jamais rien à gagner de se moquer de l'électorat.


 

1) L'UMP n'a pas toujours été vent debout contre l'idée de primaire ouverte aux sympathisants. Au contraire, il fut un temps où elle comptait s'inspirer de l'expérience initiée en Italie en 2004, où pour la première fois l'ensemble de la gauche avait voté pour choisir son candidat. L'idée italienne avait fait réfléchir les états-majors. Et l'UMP comme le PS avaient décidé de mettre en place une primaire, seulement réservée aux militants, pour l'élection de leur candidat en 2007. A droite, l'idée avait créé une polémique. Jacques Chirac, en héritier de la tradition gaullienne, mais aussi soucieux de ne pas favoriser Nicolas Sarkozy, avait fait savoir son opposition de principe à cette idée. A l'époque, Nicolas Sarkozy comptait sur cette idée pour éviter une candidature concurrente, en particulier celle de Dominique de Villepin. Le ministre de l'intérieur n'avait donc de cesse de vanter l'idée de laisser aux militants le soin de trancher. "Il faut en finir avec la vieille politique qui n'a plus aucun rapport avec ce qu'est devenue la France aujourd'hui [...]. Je n'hésiterai pas à faire trancher par les adhérents les problèmes et les divisions. J'irai jusqu'au bout de cette stratégie", promettait-il aux militants en avril 2005. "RASSEMBLER SA FAMILLE" "C'est difficile de rassembler les Français si on n'est pas capable de rassembler sa famille", expliquait encore Nicolas Sarkozy, le 5 décembre 2005. Il avait d'ailleurs fait inscrire le principe d'un vote des militants dans les statuts du parti à la suite d'un référendum interne, début 2006. Le principe, s'il ne porte pas le nom de "primaire", y est toujours défini clairement : "Le Congrès (...) composé de tous les adhérents à jour de cotisation(...) choisit le candidat soutenu par l'Union à l'élection à la présidence de la République." Nicolas Sarkozy s'était même montré prêt à aller plus loin encore : Bernard Accoyer, alors chiraquien, avait proposé d'élargir l'idée de cette primaire aux "sympathisants" non encartés, voire même "aux électeurs de la droite et du centre". "Je constate que, en Italie, Romano Prodi et la gauche ont organisé des primaires, non avec les seuls militants mais aussi avec les sympathisants, et que cela change considérablement la donne politique (...). Cette remarque nourrit ma réflexion", notait le patron des députés UMP de l'époque. Une manière de redonner du champ à une candidature concurrente à celle de Nicolas Sarkozy. Et le ministre de l'intérieur n'avait pas dit non. Plusieurs échos de presse de l'époque rapportent que la question avait été envisagée, le parti ayant renoncé essentiellement par manque de temps pour organiser une telle consultation. "ANCIEN PRÉSIDENT OU PAS, IL PASSERA PAR LE VOTE DES MILITANTS" Sur TF1, le 22 novembre 2006, au lendemain de l'investiture de Ségolène Royal, le futur chef de l'Etat avait expliqué que le vote interne à l'UMP était élargi à "tous les proches de notre famille politique", à condition qu'ils rejoignent le parti, qui proposait des adhésions à tarif réduit. Une mesure qui, pour Nicolas Sarkozy, constituait "un changement considérable pour la vie politique française". Les temps ont changé. Jusqu'en mars 2010, l'UMP assurait qu'une primaire aurait bien lieu aussi pour 2012. "Quel que soit le statut du candidat, qu'il soit ancien président ou pas, il passera par le vote des militants", promettait Xavier Bertrand. Depuis, l'Elysée comme Jean-François Copé ont changé de cap. Il n'y aura pas de primaire avec d'autres candidats que Nicolas Sarkozy. Qui pourra choisir ou non de demander un vote de confirmation aux militants du parti.

Samuel Laurent Le monde du 20/06/11