Elysées 2012

Facétie ou naufrage ?

Tout le monde a entendu ce Je vote pour Hollande : il fut entonné assez clairement pour que tout le monde entende.

Quelques jours seulement après la sortie du second tome de ses mémoires, la chose est d'autant moins anodine que l'éloge d'Hollande y avait déjà été repéré.

Le 10 février, la loi [sur le port du voile à l'école] est votée à l'Assemblée nationale, plus largement que prévu, par 494 voix contre 36 et 31 abstentions. Ce consensus n'aurait pu être obtenu sans l'attitude responsable du Parti socialiste et celle, exemplaire, de son Premier secrétaire, François Hollande, qui s'est comporté ce jour-là en véritable homme d'État.(1)

Que le ressentiment à l'égard de Sarkozy ne se soit pas éteint, contrairement à Bernadette qui de longtemps avait pardonné la trahison de 95 **, cela tout le monde pouvait le deviner. Que cette défiance, toute d'ordre privé dût rejaillir sur le politique voici quelque chose d'étonnant. Il est de tradition que les anciens présidents restent à l'écart de la vie politique ordinaire et force est de constater qu'à Giscard près, tous s'y seront tenu. Ce statut implicite de vieux sage est, à sa manière, consacré par leur statut de membre à vie du Conseil Constitutionnel. Je vois mal le vieux lion descendre dans l'arène pour si peu.

Bref un non événement !

Qui révèle néanmoins la propension de la presse à se nourrir d'elle-même. Un bruissement, une boutade, même pas une rumeur * et la chose amplifie à n'en plus finir. Sa propension aussi au sordide : assister en direct à la chute d'un puissant (DSK) ou d'un ancien puissant vous a un quelque chose de délectable. souvenons-nous simplement de cet ergotage sans fin sur l'état de santé de Chirac au moment du report de son procès. Tout ceci manque singulièrement de dignité ... et de courage. On l'avait déjà repéré en 93 lorsque, subitement, la presse s'en prit à la vie privée et au passé de Mitterrand lors même que défaite aux législatives et seconde cohabitation aidant, signes aggravés de sa maladie en outre, il devenait manifeste que le lion était terrassé et que sa puissance politique ne représentait plus aucun danger de représailles. La presse aime le sensationnel, on le sait. Au besoin elle le fabrique ! Ce n'est pas nouveau mais toujours aussi désagréable.

Qui révèle aussi cet étrange personnage qu'aura été Chirac, éternel candidat, excellent candidat au demeurant mais piètre président (comme Sarkozy du reste). Quelqu'on dont on aura toujours plus eu envie de penser qu'il fut manipulé que manipulateur. Manipulé par le couple infernal de Juillet et Garaud qui le poussèrent en 74 à trahir Chaban-Delmas pour Giscard ; puis ce dernier en 81 en ne se désistant pas formellement pour lui. Manipulé par Balladur qui se roulèrent mutuellement dans la farine, par sa fille qui enrégimenta durant 14 ans toute sa communication ; par de Villepin pour sa dissolution malheureuse de 97 ...

Personnage des occasions ratées qui en 95 donna l'impression de ne savoir trop que faire de ce pouvoir qu'il avait pourtant tellement cherché ; qui ne sut pas - et le reconnaît dans ses Mémoires - transformer ses 80 % de 2002 et ne trouva rien de plus malin que d'offrir Raffarin et l'UMP quand un boulevard d'opportunités politiques s'ouvrait devant lui après le séisme du 21 avril .... On imagine sans peine ce qu'un de Gaulle eût fait d'une telle situation .... (2) Personnage qui aura sans doute autant trahi qu'il ne le fut lui-même (3) mais qui donnera toujours la sensation que la politique était pour lui une affaire personnelle et la France une affaire privée.

D'où l'impression que cette ultime incartade pourrait finalement être quand même un coup de pied à l'âne ! Un personnage qu'on a difficulté à imaginer grand, un second couteau qui n'aurait jamais du être premier ; une bête politique néanmoins à la longévité étonnante. Une longévité à la mesure du vide idéologique, de l'absence d'ambition qui aura paradoxalement contribué à éteindre le gaullisme dont il feignait de se revendiquer encore et que Sarkozy allait achever de faire oublier.

Chirac et Sarkozy, pour des raisons différentes laissent entrevoir que la Ve République est à la croisée des chemins. Le premier parce qu'il ne fut manifestement pas à la hauteur des institutions, le second parce qu'il aura voulu concentrer tous les pouvoirs accentuant la dérive moins monarchique d'ailleurs que managériale du régime. Les réformes successives, mais surtout le quinquennat, et les pratiques récentes en auront fondamentalement altéré l'esprit et bouleversé les équilibres déjà fragiles. Montebourg n'a pas tout à fait tort : la question des institutions, celle de leur pratique en tout cas, devrait être un des thèmes majeurs de la campagne à venir. Je ne suis néanmoins pas convaincu qu'aucun le veuille véritablement.

 


1) extrait du tome 2 de ses mémoires cité dans Le monde du 8 juin 2011

* dont voici le texte :

C'est d'abord rumeur légère Un petit vent rasant la Terre Puis doucement, vous voyez calomnie Se dresser, s'enfler, s'enfler en grandissant Fiez-vous à la maligne envie Ses traits lancés adroitement Piano, piano, piano, piano Piano par un léger murmure D'absurdes fictions Font plus d'une blessure {x2:} Et portent dans les cœurs Le feu, le feu de leurs poisons Le mal est fait, il chemine, il s'avance De bouche en bouche il est porté Puis riforzando, il s'élance C'est un prodige en vérité {x2:} Mais, enfin, rien ne l'arrête C'est la foudre, la tempête Un crescendo public Un vacarme infernal {x2} Elle s'élance, tourbillonne Étend son vol, éclate et tonne {x2:} Et de haine aussitôt, un chorus général De la proscription a donné le signal {ad lib:} Et l'on voit le pauvre diable Menacé comme un coupable Sous cette arme redoutable Tomber, tomber terrassé

 

2) "Pourquoi n'ai-je pas aussitôt envisagé la formation, au lendemain de ma très probable réélection, d'un gouvernement d'union nationale ? Beaucoup ont été déçus, je le sais, que je paraisse fermer les bras au lieu de les ouvrir, comme il leur paraissait logique et souhaitable que je le fasse. Je me dis aujourd'hui, en y repensant, que j'aurais sans doute dû tout mettre en oeuvre pour parvenir à constituer une équipe dirigeante plus représentative des 82 % d'électeurs qui m'ont apporté leurs suffrages le 4 mai 2002. Je ne l'ai pas fait et ce fut probablement une erreur au regard de l'unité nationale dont j'étais le garant. Si un autre choix m'a paru préférable à ce moment-là, non sans avoir proposé des responsabilités ministérielles à des personnalités de gauche indépendants comme Nicole Notat et Nicolas Hulot – mais sans succès –, ce fut d'abord par souci de retrouver, au terme d'une longue cohabitation, plus de clarté et d'efficacité dans l'action gouvernementale."

3)