palimpseste Enseignement

Martin Heidegger, Qu’appelle-t-on penser ?, 1951, PUF, Quadrige, p. 89-91.

« Enseigner est, en effet, encore plus difficile qu’apprendre. On le sait bien, mais on y réfléchit rarement. Pourquoi enseigner est-il plus difficile qu’apprendre ? Ce n’est pas que celui qui enseigne doit posséder une plus grande somme de connaissances et les avoir toujours disponibles. Enseigner est plus difficile qu’apprendre, parce qu’enseigner veut dire « faire apprendre ». Celui qui véritablement enseigne ne fait même rien apprendre d’autre qu’apprendre. C’est pourquoi aussi son action éveille souvent l’impression qu’auprès de lui on n’apprend, à proprement parler, rien. C’est que l’on entend alors inconsidérément par « apprendre » la seule acquisition de connaissances utilisables. Celui qui enseigne ne dépasse les apprentis qu’en ceci, qu’il doit apprendre encore beaucoup plus qu’eux, puisqu’il doit apprendre à « faire apprendre ». Celui qui enseigne doit être capable d’être plus docile que l’apprenti. Celui qui enseigne est beaucoup moins sûr de son affaire que ceux qui apprennent de la leur. C’est pourquoi dans la relation de celui qui enseigne à ceux qui apprennent, quand c’est une relation vraie, l’autorité du « multiscient » ni l’influence autoritaire de celui qui a une charge n’entrent jamais en jeu. C’est pourquoi encore cela demeure une grande chose d’être un enseigneur — et c’est tout autre chose que d’être un professeur célèbre. Si aujourd’hui — où rien n’est mesuré que sur ce qui est bas et d’après ce qui est bas, par exemple sur le profit - personne ne désire plus devenir enseigneur, cela tient sans doute à ce que cette grande « chose » implique et à sa grandeur même. Sans doute aussi cette aversion est-elle liée à ce qui donne le plus à penser. Nous devons bien garder sous les yeux la véritable relation entre celui qui enseigne et l’apprenti, si nous voulons que dans la marche de ce cours s’éveille un apprentissage. »