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Explication ? Dialogue ? Non simple esbroufe

Je ne suis pas certain de les apprécier beaucoup ces deux-là qui ne font décidément pas partie de mon paysage.

Je n'avais pas détesté les débuts normands d'Onfray : son université populaire avait quelque chose d'élégant dans cette manière bien à lui de transmettre ; à l'écart de la grande Institution certes mais de transmettre néanmoins. Je n'y ai plus rien retrouvé de cette générosité première dès lors que le quidam se fit bateleur sur les tréteaux médiatiques. J'aurais peut-être du regarder de plus près : il y a chez lui un côté sale gosse destructeur. Atrabilaire bilieux ! Il n'est jamais aussi brillant (bruyant ?) que lorsqu'il dégomme les idoles, toujours avec un aplomb insolent rarement avec justesse ; jamais avec mesure. Freud, Sartre et d'autres en firent les frais. Critique impitoyable mais susceptible comme tout mauvais joueur : gare à celui qui se piquerait de le critiquer à son tour. Il est de ceux qui n'avancent qu'en laissant des ruines derrière eux ; dont il est difficile de déceler quelle est en fin de compte la philosophie sans doute parce qu'il n'en a d'autre que celle de sa propre gloire. Anguleux comme le rectangle de ses lunettes, le regard droit qui vous toise comme une contradiction à pourfendre, le sourire aussi rare que sa morgue est ravageuse, il campe le plus souvent avec ces bras croisés qui suggèrent un si tu avances d'un pas de plus je te foudroie !

Valls quant à lui, s'il a quitté cette moue détestable qui lui conférait allure de roquet, et arbore un sourire un brin pincé encore, respire l'affabilité d'un corse empressé de bourrer les urnes. De n'être plus rien lui fait allure presque aimable : il est de ceux à qui la réussite brouille vite le regard. Socialiste à la façon attrape-tout, plus libéral que social quoique cela dépende souvent de la direction d'où tourne le vent, il a pour lui ce joli parcours d'enfant d'immigré dont il se sert comme autant de prétextes que de bouclier, mais contre lui une pensée qui s'arrête bien vite à quelques poncifs qui, même avec conviction, sonnent creux. Il n'est décidément pas aimable. Mais que diantre vient-il faire dans cette galère éditoriale ? Oh rien ! tenter de ne pas se faire oublier. Trop tard ! il avait quitté la France pour quelque aventure espagnole. Il ne nous manqua pas. Il revint bredouille. On s'en rendit à peine compte. Il ressemble à ces vieux chanteurs obsédés d'un retour qu'ils ne réussiront jamais. La politique n'aime pas les perdants à moins qu'ils ne soient flamboyants. Lui fut seulement piteux.

L'entretien s'intitule la grande explication : voici bien grands mots de journalistes. Explication veut dire recherche des causes, argumentation et preuve. De ceci, là dedans que nenni ! Les deux hommes, après quelques essais de politesse glacée pour solde de tout compte des amabilités autrefois échangées, se contentent d'une visite de propriétaires. Sur telle idée on diffère, sur telle autre on pourrait presque être d'accord etc.

Rien d'un dialogue en tout cas. Tout de ce que, par pédanterie, l'on nomme désormais échange et qui en est la caricature. Non ces deux-là ne s'écoutent pas, ne se répondent même pas ; arguent si peu ; se contentent sur les mêmes sujets proposés par le journaliste, d'étaler leurs positions respectives. Pas même de sourds ce dialogue : parade conviendrait mieux.

Deux choses qui ressortent néanmoins :

Cet entêtement à se proclamer de gauche quand tous les termes qui le devraient justifier le démentent. L'ordre pour l'un ; un socialisme à la française qu'il ne définit pas, pour l'autre. Mais surtout cet appel à un Nuremberg pour repartir sur des bases saines, bref à une épuration de toutes les scories marxistes surtout mais des pans entiers de son histoire. Onfray est décidément moins un puriste qu'un épurateur. Il ne supporte pas les erreurs ni les errances ; les impasses, les lâchetés, les fautes dont toute histoire est faite. Il y a du Torquemada en cet homme-là !

Ce rapport à l'Islam, anguleux - pour ne pas dire haineux - où les deux voient la menace des temps à venir.

D'où cette même condamnation à l'égard d'une gauche qui serait devenue racialiste ! A l'égard de cet hippogriffe qu'est l'islamo-gauchisme. J'entends bien que la gauche a tendance spontanée à courir la défense de la veuve et de l'orphelin ; que sans doute dans l'affaire Traore elle a bien du se fourvoyer un peu en laissant dire et reprendre des mots d'ordre droit issus des USA sur une police raciste, ségrégationniste etc. Concédons que cette histoire de statues déboulonnées ait pu agacer : je ne suis pas certain qu'hors de leurs détestations respectives, la gauche soit véritablement tombée dans ce piège. Mais ajoutons que faute d'une culture politique élémentaire et sous l'auspice de cette fascination américaine véhiculée par le langage managérial comme par la paresse à en épouser les facilités, tel est désormais le lot commun tant de la droite libérale que de la gauche éclatée.

Mais quoi ? Imagine-t-on protestations sages et révoltes pondérées ou obséquieuses ? De qui se moquent-ils ? Feindre de croire que les extrêmes fussent désormais au centre est stratégie commune de la récupération et le fonds de commerce de la peur : il fut un temps où seule l'extrême-droite en jouait !

Qu'Onfray en appelle à une réflexion sur les fondamentaux théoriques de la gauche est assez logique : il est dans son rôle de penseur même si, pour ma part, j'irais plutôt chercher du côté de Jaurès que de Proudhon ! Que Valls aille chercher la référence du côté de Camus est assez baroque ! Mais ce que ceci traduit c'est, au pire moment du désarroi de la gauche, à cet instant précis où son passé devient à peu près aussi illisible que brumeux son avenir, là, au milieu du gué, ces sinistres palinodies ont plutôt de quoi la noyer que la sauver et camouflent mal un anti-communisme désuet, un anti-marxisme systématique, un anti-mitterrandisme primaire bref une potée indigeste d'ingrédients hétéroclites et peu compatibles entre eux.

Confusion des mots, confusion de la pensée, confusion des choses

Ne soyons pas naïf, ce n'est pas ici une cause mais seulement un signe : cette paresse de langage ; ce mal parler dont j'ai déjà souligné que c'était une des significations du blasphème. Cette tendance à user de mots vagues, impropres, pour la seule raison qu'ils soient tendance ; fasse chic … ou pédant. Le technocrate mâtiné de manager a une prédilection soit pour l'usage dévoyé de termes théoriques, soit pour des anglicismes ravageurs.

Ici, à les lire, on entendrait quelque chose du type je suis de gauche mais … Ils me font sinistrement songer au pont-aux-ânes du racisme objectant presque systématiquement je ne suis pas raciste j'ai même des amis arabes (juifs, et alii …ad libitum). Rien ou presque de ce qu'ils énoncent n'entre dans le champ de définition de la gauche ou alors son extension serait infinie. On a vu ce que pouvait donner ce confusionnisme avec le et de gauche et de droite : à la droite ! toujours. Alain, dès les années trente avait repéré combien toujours celui qui interroge la légitimité du clivage gauche/droite toujours est de droite !

Lorsqu'on me demande si la coupure entre partis de droite et parti de gauche, hommes de droite et hommes de gauche, a encore un sens, la première idée qui me vient est que l'homme qui pose cette question n'est certainement pas un homme de gauche. Alain

Cette confusion n'est peut-être pas toujours intentionnelle quoique … mais elle relève de cette sinistre habitude prise depuis trente ans de considérer que la parole politique n'a pas besoin d'être suivie d'effets, d'actes ; qu'une campagne électorale serait une vaste foire d'empoigne où tous les coups seraient permis - mensonges, invectives, approximations, démagogie - une fête exubérante de la parole, de la promesse et du rêve, une parenthèse festive qu'il faudra vite refermer pour passer (enfin ? ) aux choses sérieuses, au principe de réalité, aux contraintes, soumission, renoncements. Elle est relayée par une profonde inculture politique et par l'hégémonie d'un discours pragmatique, techniciste et managérial qui ne jure que par la performance économique, le sérieux et le réalisme se soumettant aux évolutions mondialisées et financières … Que par les fausses évidences et le parallèle absurde entre gestion d'une société et gestion d'une famille …

Favorisée assurément encore par la perte du goût de la discussion ; de la controverse mais sans doute aussi de la contradiction scientifique. A une profonde inculture scientifique des élites. C'est bien ce que relevait Ph Juvin. Il me souvient d'avoir entendu Serres proclamer qu'autant que faire se peut il fallait tenter d'embrasser tout le savoir - ce qui ne veut pas dire tout connaître mais aborder tous les champs du savoir - quand même cela serait impossible mais devait être tenté malgré tout : sans doute après 68 a-t-il été catastrophique de séparer lettres et sciences humaines de sciences dans l'organisation des Universités - et donc de la transmission du savoir ; de ranger, de surcroît la philosophie du côté des Lettres n'a pas arrangé les choses. Nos élites sont biberonnées de management et d'économie parfois d'art oratoire qui demeure sous la noble dénomination de communication la forme moderne du sophisme sinon de l'escroquerie … mais des fondamentaux scientifiques - l'exigence de la preuve, le doute méthodique, la prudence, la pleine conscience que les vérités acquises sont inévitablement partielles et provisoires … rien. Tragiquement rien.

Alors, non, ce serait erreur de croire que la seule issue serait un renversement de notre échelle encyclopédique - cette erreur A Comte l'a commise il y a près de deux siècles - et Onfray ici ne fait qu'avouer sa frustration rentrée qui ne peut que prolonger celle, antique de Platon. Il y a du tyranneau chez cet homme-là ou plutôt pourrait y avoir de l'éminence grise si l'homme n'aimait tant les feux de la rampe. Mais imaginerait-on un Mazarin prenant toute la place ? Non celui-ci a l'appétence de devenir autant Platon que Denys de Syracuse.

Alors, non, cet absurde constat que porte Valls d'une liquéfaction du collectif est encore manière baroque de poser le problème et de réinventer l'eau chaude. Il n'est pas de philosophie politique qui n'eût, d'emblée, compris qu'il n’était de corps social possible et donc de politique fiable sans tentative de concilier collectif et individu puisque spontanément les deux sont contraints de s'opposer. Que je sache, hormis les deux extrêmes que représentent l'anarchie - avec le tout individu sans institutions sociales et le totalitarisme qui est consécration de l’État sans aucune valeur concédée à l'individu - la démocratie demeure la seule tentative - pas toujours ratée mais coincée entre ces deux dérives - de concilier les deux. Que le libéralisme échevelé et dogmatique prêché depuis plus de quarante ans ait fini par tellement étioler l’État qu'il est désormais trop faible pour rassembler, n'est qu'un des aspects du problème puisque coïncide avec un exercice de plus en plus autoritaire, de moins en moins républicain en tout cas, d'exercer le pouvoir.

Non décidément, l'un a trop de haine pour le passé immédiat qu'il déshonore de toute son acerbe acrimonie ; l'autre trop de concessions toute prêtes et ajustée pour un retour au pouvoir irréfléchi pour deviner et accepter - que la gauche se cherche mais demeure encore, pour le moment, la seule alternative qui puisse tenter, sans dogmatisme exagéré ni préjugé, de concilier progrès social, transition écologique et démocratie.

Ce travail prendra du temps mais moins sans doute qu'on ne le redoute : il se fera une fois levées les hypothèques les plus absurdes et dangereuses.

Il se fera, assurément, sans la vanité de ces deux donneurs acariâtres de leçons.