palimpseste Chroniques

Malédiction du pouvoir I

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Depuis quelques semaines, mais en réalité depuis son élection, la presse s'attache à vouloir repérer tout ce qui ne va pas avec ce pouvoir tout neuf qui semble ne pas pouvoir, ou vouloir, prendre la mesure de la tâche qui l'attend, de l'espérance qu'il suscite, ni de la hauteur qu'il impose. La rentrée est difficile - mais qui en pouvait douter ? - et si les petites bisbilles entre amis viennent à peine égayer le quotidien, il est vrai que le débat sur le Traité européen souligne plus qu'il n'est nécessaire les dissensions majoritaires et semble d'autant moins bien emmanché qu'il se fait sur fond de catastrophes industrielles dont les injonctions de Mittal à Florange ne sont que l'ultime mais cruelle illustration.

Je ne puis m'empêcher de songer aux classiques distinctions entre pouvoir, puissance, autorité et m'amuser des itératifs étonnements des nouveaux puissants devant l'impuissance où contre toute attente ils étaient vite réduits, comme si leurs mains eussent cessé de pouvoir rien saisir ou que leur ambition ne fût que boursouflure mégalomaniaque. 1 C'est que la logique de la conquête du pouvoir est exactement inverse de celle de son exercice - tous nous le savons même s'il y a quelque ironie amère à voir les grands toujours rebrousser chemin de leurs promesses. Encore celui-là en aura-t-il peu fait et c'était bien le peu d'enthousiasme suscité que nous dûmes alors relever. Au moins celui-ci aurait-il du moins risquer de décevoir de s'être ainsi par avance calfeutré derrière les barricades de la réalité rigoureuse, or il faut bien le constater, même si la majorité des français ne regrettent pas (encore ?) Sarkozy, ils ne nourrissent qu'inquiétude et déception à l'égard de Hollande. Curieuse période que celle-ci qui voit le pays désemparé, aux antipodes de toute espérance, sans plus quiconque à détester qu'il aura renvoyé, sans personne à aimer qui s'empêtre dans sa solide bonne volonté contrariée.

Tout est affaire de circonstances avait suggéré Hegel : le grand homme est celui qui par miracle et pas mal de ruses, sait coïncider pour un moment avec le souffle de l'histoire. On est bien loin du thaumaturge ; bien près, non du hasard mais de l'entrelacs, du noeuds ; de la jointure. La circonstance est effectivement affaire de tour et de détour ; de circonvolutions : celui-ci tourne et cherche, c'est la même étymologie - circa - et s'il trouve c'est bien qu'il se sera contorsionné - trope : l'homme de pouvoir est contorsionniste, jongleur ou illusionniste ; prestidigitateur. Ce ne sera pas la dernière fois que nous rencontrerons cette accointance - cette complicité ? - entre le pouvoir, le miracle et le spectacle : mais c'en est manifestement la première. Au devant de nous, qui est assis devant - réside - simule la geste miraculeuse en détournant notre attention ailleurs. Mais comment se fait-il qu'au music-hall jamais nous ne nous laissons prendre à autre chose qu'à la prestance du geste, alors qu'ici nous succombons ? Jamais je ne crus que celui-là fît disparaître la belle, non plus qu'il la sciât en sa caisse étincelante. J'ignorais, certes ! mais je savais que j'ignorais. Je savourais l'escamotage dont je savais pourtant la réalité sans pouvoir la saisir.

Mais ici ?

Je ne sais même pas, ou feins d'ignorer l'escamotage. J'ignore même que j'ignore. L'illusion est à son comble. Par quelle sournoise malédiction, par le refrain quelle sirène maléfique persévérons-nous à espérer de l'ombre ce que nous avons désappris d'attendre de la lumière ? Je ne sais toujours pas qui du politique ou du peuple se ment le plus à lui-même : les politiques ne sont pas sots qui parcourent trop les sentiers de traverse pour sous-estimer l'angulosité des impasses qu'ils empruntent ; les peuples sont trop sages, dans leur impétuosité brouillonne succédant à d'interminables langueurs pour s'enivrer plus longtemps qu'une bacchanale enfiévrée. Telle une machine infernale ou un train sans chauffeur, les choses du pouvoir semblent rouler leur invariable enchaînement sans que quiconque y puisse mais.

C'est ici la forme littérale que prend l'impuissance.

L'archétype de l'expression du pouvoir reste le lux fiat et lux fit des premiers versets de la Genèse, cette exacte juxtaposition entre la parole et l'acte. Plus grand est l'espace qui le sépare plus ample est l'impuissance. Jusqu'à l'implacable d'où chose extraordinaire, rien ne s'en suivit de l'Homme sans qualités de R Musil.

N'avoir plus prise sur les choses, c'est, déjà, ne plus penser, comme si cette main qui nous avait accoutumé de saisir n'était plus apte à rien attraper non plus qu'à concevoir. Je le sais, depuis toujours, depuis Hegel au moins : l'homme se fait homme dans ce regard qu'il jette sur le monde et l'autre, qui à la fois l'en sépare au point d'en faire un étranger, mais l'en exhausse au point d'en autoriser la domination. Et voici que cette main qui a fait l'homme intelligent, selon Aristote, n'entre-prend plus rien, qui ne glisse, s'échappe et fuit. Comme cette sourde menace, malédiction ou promesse - comment savoir ? - ourlée au détour d'un verset de l'Apocalypse, d'un règne où l'homme ne pourrait plus assombrir l'horizon divin. Et voici que cette main qui d'un animal stupide et borné sut faire un homme, que cette main désormais gourde trahit et nous laisse hagards sur les bas-côtés ronceux où la bête subitement se remet à bramer.

Et si nous en étions là ? A cette intersection anguleuse où nous échappent autant le monde, les hommes que les choses ! A cette croisée du nihilisme, du fatalisme et du défaitisme où les à quoi bon ? donnent le change au tous pourris ! où les projets s'effondrent en objets - et s'effritent nos libertés. A cette parousie, tant redoutée, où les forces enclenchées déferlent en un déluge prométhéen que nul ne saurait plus enrayer, paralysés que nous serions devant tant d'hyperboles inutiles. Où les ambitions des uns, les colères des autres semblent dérisoires à en pleurer ; ou tristes à en trembler.

L'on aime ça et là évoquer l'usure du pouvoir comme si le pouvoir était sabot raboté par les sols rocailleux ou lame émoussée d'avoir trop servi. Mais le pouvoir n'est pas une chose et surtout, ici, il est tellement récent qu'on l'imagine mal déjà épuisé. Mais le pouvoir n'est pas une ressource que l'on stockerait pour y puiser quitte à l'épuiser. A moins que ce ne fût Heidegger, finalement qui eût raison, en montrant que dans cette grande révolution technique qui nous fit arraisonner le monde, nous finîmes par nous arraisonner nous-mêmes, à nous réifier nous-mêmes ; à nous épuiser.

Je reste toujours étonné, et particulièrement suspicieux, devant ces contre-façons d'apocalypse qu'on nous sert à foison dans les gazettes diverses ; je ne puis m'empêcher cependant de comprendre combien dans ce qui se joue ici, s'engage bien autre chose qu'un enjeu politique, ou pire, que les banales chamailleries politiciennes qui sont le miel des parasites.

Non, décidément, il y a bien quelque chose d'anthropologique dans cette croisée-ci ; de destinal dont l'impuissance ne serait que la superficielle coloration.

Revenons y !

 

 

 


1) je songe notamment à deux passages :

- l'un de H Arendt où celle-ci s'efforce de distinguer pouvoir, puissance, force et autorité

- l'autre de M Serres, issu d'Andromaque, lequel rejoint d'ailleurs un troisième déjà cité ici : la martingale

 


« Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille »

Article paru dans l'édition du 03.10.12


Comme le disait élégamment Jacques Chirac dans une de ses démonstrations d'humour ou de fatalisme corrézien, « les emmerdes, ça vole toujours en escadrille ». François Hollande pourrait reprendre la formule à son compte, tant les difficultés s'accumulent sur sa route.
Vendredi passé, ce fut la présentation du projet de budget pour 2013 et sa ponction fiscale, sans précédent depuis des lustres. Dimanche, toutes les tribus de la gauche de la gauche ont crié, dans Paris, leur rejet du traité européen de stabilité et leur refus de « l'austérité à perpétuité ».

Lundi, la présentation du projet de budget de la Sécurité sociale a rallongé la liste des hausses de prélèvements en 2013. Lundi encore, ArcelorMittal a confirmé la fermeture définitive des deux hauts-fourneaux de l'aciérie de Florange, fleuron de l'industrie lorraine. Mardi enfin, s'ouvre à l'Assemblée nationale le débat sur les engagements budgétaires européens de la France, qui va officialiser de sérieuses fêlures au sein de la majorité, sous l'oeil narquois de l'opposition. Le tout rudement corsé par les chiffres désespérants du chômage et agrémenté de sondages incessants qui témoignent de la déception et de l'inquiétude des Français.

Le président de la République s'attendait à une rentrée difficile. Il est donc servi ! Il a l'habitude de faire le dos rond dans l'adversité. Nul doute que cela lui sera utile. Mais cela ne suffira pas pour dissiper les trois lourdes incertitudes qui pèsent sur son action.

La première tient en une question : comment mener une politique de gauche sans croissance ? Le projet de budget y a apporté une série de réponses : ce sera « le redressement » des comptes publics, dans la justice fiscale. De solides raisons plaident en ce sens : le poids dangereux de l'endettement public et de son remboursement ; la crédibilité de la France aux yeux de ses partenaires européens et de tous les prêteurs internationaux dont l'Etat a besoin pour boucler ses fins de mois, ou ses fins d'année.

Mais si la confiance des marchés est nécessaire, celle des Français ne l'est pas moins. Ils ont bien compris que l'équilibre général de la loi de finances 2013 suppose le maintien d'une croissance positive, même ténue (+ 0,8 %). Or les indicateurs économiques justifient leur scepticisme : après trois trimestres de stagnation, c'est la récession qui menace, nourrie par la montée du chômage et la faiblesse de la demande extérieure.

A ces doutes sur la solidité de l'équation économique du gouvernement s'ajoutent les soupçons sur la juste répartition des efforts. A bon droit, le gouvernement assure que les principales mesures concernant l'impôt sur le revenu pèseront sur les ménages les plus riches ou aisés.

Mais il a commis une erreur en assurant que « neuf foyers fiscaux sur dix ne seront pas touchés par les mesures fiscales nouvelles », selon la formule du ministre de l'économie. Non seulement le gel du barème de l'impôt sur le revenu, décidé en 2011 par le gouvernement Fillon et maintenu, va alourdir - pas toujours marginalement - le poids de cet impôt pour une bonne douzaine de millions de foyers fiscaux. Mais nombre d'autres « petites » mesures (de l'augmentation de la redevance télé à celle des taxes sur la bière ou le tabac, en passant par la contribution de 0,15 % sur les retraités assujettis à la CSG...) ne passeront évidemment pas inaperçues.

L'étau de la crise est tel, enfin, qu'il entrave la capacité à mener des réformes touchant la société ou les institutions. Qu'il s'agisse du mariage homosexuel, de la limitation du cumul des mandats ou du droit de vote des étrangers aux élections locales, voilà autant de promesses du candidat Hollande qui apparaissent non prioritaires à bien des Français. Du coup, soit le gouvernement ouvre ces chantiers et il est soupçonné de vouloir faire diversion, soit il attend des jours meilleurs et est alors accusé de renoncer.

Par comparaison, la deuxième incertitude paraîtra trivialement politique. Elle engage néanmoins l'autorité du président. Sur quelle majorité, en effet, peut-il s'appuyer ? A l'évidence, il n'a aucun soutien à attendre du Front de gauche emmené par Jean-Luc Mélenchon et le Parti communiste. Il est vrai qu'il n'en attendait guère : sur l'Europe, la rupture est consommée depuis longtemps, et elle devrait logiquement se prolonger par un vote négatif sur l'ensemble du dispositif budgétaire.

L'attitude des écologistes est beaucoup plus embarrassante, dès lors qu'ils ont passé avec les socialistes un contrat de gouvernement. Or tout indique que bon nombre de leurs parlementaires ne ratifieront pas le traité européen. Même si, sans souci de cohérence, ils assurent qu'ils approuveront ensuite le budget, ils apparaissent dès à présent comme un partenaire peu fiable. On peut comprendre que M. Hollande ne veuille pas se priver de leur concours, et rétrécir d'autant sa majorité. Mais sa mansuétude l'affaiblit.

Enfin, une vingtaine de députés socialistes au bas mot devraient également faire défection lors du vote sur le traité européen. L'Elysée peut minimiser cette fronde : elle devrait être cantonnée à environ 10 % du groupe socialiste, quand, en 2005, plus de 40 % des adhérents du PS avaient voté contre le traité constitutionnel européen. C'est exact. Mais il n'est pas moins vrai que cette dissidence peut priver le pouvoir d'une majorité de gauche lors de la ratification du pacte budgétaire européen, cette semaine. Devoir à l'UMP l'approbation de ce texte ne serait ni très glorieux pour le chef de l'Etat, ni très rassurant pour ses partenaires européens.

Même si elle est plus diffuse, la troisième incertitude n'en est pas moins corrosive. Au-delà du « redressement » qui s'impose, où le chef de l'Etat veut-il conduire le pays ? Comment imagine-t-il apaiser la crispation identitaire chaque jour plus perceptible, et pas seulement à l'extrême droite, comme en témoigne la campagne pour la présidence de l'UMP ? Quelle place lui prépare-t-il, demain ? Quels atouts entend-il développer pour lui permettre de « tenir son rang » dans le monde ?

Le « rêve français » invoqué au printemps pouvait faire illusion le temps d'une campagne. Il reste à lui donner un contenu. Et un élan. C'est une condition nécessaire pour que le pays accepte vraiment les efforts qui lui sont demandés aujourd'hui.

par Gérard Courtois