palimpseste Chroniques

Humour

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Y revenir sans doute à cause de cette remarque d'Arendt à propos de l'autorité :

L’autorité ne peut se maintenir qu’autant que l’institution ou la personne dont elle émane sont respectées. Le mépris est ainsi le plus grand ennemi de l’autorité et le rire est pour elle la menace la plus redoutable

Remarque juste quand on sait combien l'autorité suppose qu'elle soit reconnue : la combattre c'est encore la légitimer. Mais s'en moquer, ou pire, l'ignorer lui serait fatal.

Que serait pourtant la démocratie sans la caricature, la satire, l'humour.

Sans la liberté de blâmer, il n'est pas d'éloge flatteur : c'est bien avec cette superbe formule de Beaumarchais qui orne encore la Une du Figaro que l'on peut résumer l'essentiel de la liberté de la presse, si fondatrice de la liberté politique tout court.

Mais tout est là en même temps : la frontière d'abord entre la liberté et l'irrespect qui nie toute autorité ; ensuite entre l'humour et la vulgarité qui souille ce qu'il touche ; entre la dignité enfin et le sarcasme qui tente de faire mal. Mais, en même temps, que serait le Prince sinon un tyran s'il n'avait quelque humour ; et le prêtre sinon un intégriste ou l'homme engagé sinon un tartufe ?

J'aime qu'il s'agisse ici de simple perspective ; qu'un regard déporté de quelques centimètres seulement bouleverse totalement le regard et bouscule la sincérité pieuse en comique intégral, la conviction profonde en niaiserie satirique. J'aime surtout quand ce déport se veut hygiène mental. Rien ne me fait plus peur que l'homme sans humour surtout s'il est - ou se croit - investi d'une forte responsabilité ou d'une grande mission.

Je me sens plus en sûreté auprès d'un Pyrrhon que d'un saint Paul,, pour la raison qu'une sagesse à boutades est plus douce qu'une sainteté déchaînée.. 1

Où l'humour tient toute sa place et tout son sel. Menace redoutable de toute autorité ? oui certainement mais en même temps une digue tellement salutaire tant pour le souverain populaire que pour l'homme de pouvoir.

Le seul contrepoids, finalement à l'abus de pouvoir ... à la tête qui enfle ; à la démesure. A la démesure qui s'instille imperceptiblement comme un élixir douceâtre, seul l'humour parvient, parfois, à faire barrage comme le seul antidote, fragile, incertain mais précieux.

Le pouvoir, menacé de l'intérieur comme de l'extérieur n'est finalement supportable que fragile.

Quel dommage de ce point de vue qu'un Hollande fût condamné à retenir le sien, légendaire, pour conquérir l'Elysée. Il eût été savoureux et salutaire pour une fois d'avoir au sommet, non un demi-dieu aux ambitions prométhéennes mais au contraire un passionné mâtiné de saltimbanque !


1) Emile M. Cioran, Précis de décomposition, Éd.  Gallimard, 1949.

Lorsqu'on se refuse à admettre le caractère interchangeable des idées, le sang coule... Sous les résolutions fermes se dresse un poignard ; les yeux enflammés présagent le meurtre.  Jamais esprit hésitant, atteint d'hamlétisme', ne fut pernicieux . le principe du mal réside dans la tension de la volonté, dans l'inaptitude au quiétisme', dans la mégalomanie' prométhéenne d'une race qui crève d'idéal, qui éclate sous ses convictions et qui, pour s'être complu à bafouer le doute et la paresse vices plus nobles que toutes ses vertus - s'est engagée dans une voie de perdition, dans l'histoire, dans ce mélange indécent de banalité et d'apocalypse... Les certitudes y abondent : supprimez-les, supprimez surtout leurs conséquences : vous reconstituez le Paradis.  Qu'est-ce que la Chute sinon la poursuite d'une vérité et l'assurance de l'avoir trouvée, la passion pour un dogme, l'établissement dans un dogme ? La fanatisme en résulte - tare capitale qui donne à l’homme le goût de l'efficacité, de la prophétie, de la terreur - lèpre lyrique par laquelle il contamine les âmes, les soumet, les broie ou les exalte... N'y échappent que les sceptiques (ou les fainéants et les esthètes), parce qu'ils ne proposent rien, parce que - vrais bienfaiteurs de l'humanité - ils en détruisent les partis pris et en analysent le délire.
Je me sens plus en sûreté auprès d'un Pyrrhon' que d'un saint Paul,, pour la raison qu'une sagesse à boutades est plus douce qu'une sainteté déchaînée.  Dans un esprit ardent on retrouve la bête de proie déguisée; on ne saurait trop se défendre des griffes d'un prophète... Que s'il élève la voix, fût-ce au nom du ciel, de la cité ou d'autres prétextes, éloignez vous-en : satyre de votre solitude, il ne vous pardonne pas de vivre en deçà de ses vérités et de ses emportements ; son hystérie, son bien, il veut vous le faire partager, vous l'imposer et vous défigurer. possédé par une croyance et qui ne chercherait pas à la  aux autres est un phénomène étranger à la terre, où l'obsession du salut rend la vie irrespirable.  Regardez autour de vous : partout des larves qui prêchent ; chaque institution traduit une mission ; les mairies ont leur absolu comme les temples ; l'administration, avec ses règlements, métaphysique à l'usage des singes... Tous s'efforcent de remédier à la vie de tous : les mendiants, les incurables mêmes y aspirent : les trottoirs du monde et les hôpitaux débordent de réformateurs.  L'envie de devenir source d'événements agit sur chacun comme un désordre mental ou comme une malédiction voulue.  La société - un enfer de sauveurs ! Ce qu'y cherchait Diogène avec sa lanterne, c'était un indifférent.
Il me suffit d'entendre quelqu'un parler sincèrement d'idéal, d'avenir, de philosophie, de l'entendre dire « vous » avec une inflexion d'assurance, d'invoquer les « autres » et s'en estimer l'interprète - pour que je le considère comme mon ennemi.  J'y vois un tyran manqué, un bourreau approximatif, aussi haïssable que les tyrans, que les bourreaux de grande classe.  C'est que toute foi exerce une tonne de terreur, d'autant plus effroyable que les « purs » en sont les agents.  On se méfie des finauds, des fripons, des farceurs ; pourtant on ne saurait leur imputer aucune des grandes convulsions de l'histoire ; ne croyant en rien, ils ne fouillent pas vos cœurs, ni vos arrière-pensées ; ils vous abandonnent à votre nonchalance, à votre désespoir ou à votre inutilité ; l'humanité leur doit le peu de moments de prospérité qu'elle connut : ce sont eux qui sauvent les peuples que les fanatiques torturent et que les « idéalistes » ruinent.  Sans doctrine, ils n'ont que des caprices et des intérêts, des vices accommodants, mille fois plus supportables que les ravages provoqués par le despotisme à principes ; car tous les maux de 14 vie viennent d'une « conception de la vie ». Un homme politique accompli devrait approfondir les sophistes anciens et prendre des leçons de chant et de corruption...
Le fanatique, lui, est incorruptible : si pour une idée il tue, il peut tout aussi bien se faire tuer pour elle ; dans les deux cas, tyran ou martyr, c'est un monstre.  Point d'êtres plus dangereux que ceux qui ont souffert pour une croyance : les grands persécuteurs se recrutent parmi les martyrs auxquels on n'a pas coupé la tête.  Loin de diminuer l'appétit de puissance, la souffrance l'exaspère ; aussi l'esprit se sent-il plus à l'aise dans la société d'un fanfaron que dans celle d'un martyr ; et rien ne lui répugne tant que ce spectacle où l'on meurt pour une idée... Excédé du sublime et du carnage, il rêve d'un ennui de province à l'échelle de l'univers, d’une Histoire dont la stagnation serait telle que le doute s'y dessinerait comme un événement et l'espoir comme une calamité...