Martin HEIDEGGER (1889-1976) La question de la technique [1954] Extraits de Essais et conférences trad. André Préau, Paris, Gallimard, 1958, pp. 105-110
Les
signes du dernier abandon loin de l’être sont les proclamations des “idées”
et des “valeurs”, l’imprévisible va-et-vient entre l'action, placée très
haut, et l’esprit, jugé indispensable. Tout cela se trouve déjà pris dans le
mécanisme de l’équipement du processus de mise en ordre. Ce processus est
lui-même déterminé par le vide qui résulte de l’abandon loin de l’être. A
l’intérieur de ce vide, la consommation de l’étant par les fabrications e la
technique - dont la culture fait aussi partie - est la seule issue par
laquelle l’homme si féru de lui-même puisse encore sauver la subjectivité en
la transférant au surhomme.
L’usure de toutes les matières, y compris la matière première “homme”, au
bénéfice de la production technique de la possibilité absolue de tout
fabriquer, est secrètement déterminée par le vide total où l’étant, où les
étoffes du réel, sont suspendues. Ce vide doit être entièrement rempli. Mais
comme le vide de l’être, surtout quand il ne peut être senti comme tel, ne
peut jamais être comblé par la plénitude de l’étant, il ne reste, pour y
échapper, qu’à organiser sans cesse l’étant pour rendre possible, d’une
façon permanente, la mise en ordre entendue comme la forme sous laquelle
l’action sans but est mise en sécurité. Vue sous cet angle, la technique,
qui sans le savoir est en rapport avec le vide de l’être, est ainsi
l’organisation de la pénurie.