Martin HEIDEGGER (1889-1976) Essais et conférences, p 20/22 et 44/47
Qu’est-ce
que la technique moderne? Elle aussi est un dévoilement. C’est seulement
lorsque nous arrêtons notre regard sur ce trait fondamental que ce qu’il y a
de nouveau dans la technique moderne se montre à nous (…)
La centrale électrique est mise en place dans le Rhin. Elle le somme de
livrer sa pression hydraulique qui somme à son tour les turbines de tourner.
Ce mouvement fait tourner la machine dont le mécanisme produit le courant
électrique, pour lequel la centrale régionale et son réseau sont commis aux
fins de transmission. Dans le domaine de ses conséquences s’enchaînent l’une
l’autre à partir de la mise en place de l’énergie électrique, le fleuve du
Rhin apparaît, lui aussi, comme quelque chose de commis. La centrale n’est
pas construite dans le courant du Rhin comme le vieux pont de bois qui
depuis des siècles unit une rive à l’autre. C’est bien plutôt le fleuve qui
est muré dans la centrale. Ce qu’il est aujourd’hui comme fleuve, à savoir
fournisseur de pression hydraulique, il l’est par l’essence de la centrale.
Afin de voir et de mesurer, ne fût-ce que de loin, l’élément monstrueux qui
domine ici, arrêtons-nous un instant sur l’opposition qui apparaît entre les
deux intitulés:”Le Rhin”, muré dans l’usine d’énergie, et “Le Rhin”, titre
de cette œuvre d’art qu’est un hymne d’Hölderlin. Mais le Rhin,
répondra-t-on, demeure de toute façon le fleuve du paysage. Soit, mais
comment le demeure-t-il? Pas autrement que comme un objet pour lequel on
passe une commande, l’objet d’une visite organisée par une agence de
voyages, laquelle a constitué là-bas une industrie de vacances (…) Avant
tout il faut apercevoir ce qui dans la technique est essentiel, au lieu de
nous laisser fasciner par les choses techniques. Aussi longtemps que nous
nous représentons la technique comme un instrument, nous restons pris dans
la volonté de la maîtriser. Nous passons à côté de l’essence de la
technique.
L’être de la technique menace le dévoilement, il menace de la possibilité
que tout dévoilement se limite au commettre (…) Les réalisations humaines ne
peuvent jamais, à elles seules, écarter le danger.
L’essence de la technique n’est rien de technique; c’est pourquoi la
réflexion essentielle sur la technique et l’explication décisive avec elle
doivent avoir lieu dans un domaine qui, d’une part, soit apparenté à
l’essence de la technique et qui, d’autre part, n’en soit pas moins
foncièrement différent d’elle.
L’art est un tel domaine.