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Malédiction du pouvoir 3

malédiction pouvoir

De la puissance

Elle paraît fonctionner comme un synonyme parfait du pouvoir mais s'en distingue pourtant terme à terme comme virtuel à réel. On comprend mieux à tenter de cerner ce terme les réticences d'Arendt regrettant les confusions conceptuelles :

Il me paraît assez triste de constater qu'à son stade actuel la terminologie de notre science politique est incapable de faire nettement la distinction entre divers mots clés tels que pouvoir, puissance, force, autorité et finalement violence. (...) L'usage correct de ces mots n'est pas seulement une question de grammaire mais aussi de perspective historique.

Ainsi, lorsque l'on évoque la puissance publique le dictionnaire dit Ensemble des pouvoirs exercés par l'État et les diverses personnes de droit laissant accroire l'équivalence entre pouvoir et puissance. Alors qu'en même temps on y verra la faculté de produire un effet qui rejoint assez bien la locution en puissance qui désigne assez bien la notion de virtualité où se joue non l'acte mais la possibilité de l'acte.

Or, à bien y regarder, la notion de puissance publique dit bien autre chose surtout lorsque l'on évoque le détenteur de la puissance publique : il y a bien ici cette délégation que l'on évoquait d'un peuple vers un prince et c'est cette délégation qui fait passer de la puissance à l'acte révélant combien, parce que principe, le peuple est le fondement mais donc aussi le principe extérieur au politique.

De la délégation en passant par la loi et le logos

La délégation relève de la transmission, de l'ambassade, et donc de la communication. Assez révélateur que le latin utilise le même verbe à la fois pour signifier la désignation d'un intermédiaire mais aussi pour ce bel acte de rassemblement qui donnera aussi la lecture. Il faut, Arendt a raison, écouter les mots, qui plongent très profond dans les couches les plus anciennes de nos us et cultures : or la source ici est identiquement latine et grecque. Que les deux langues recoupent si exactement, au même espace du verbe lego (λεγω) le geste de la main qui amasse les pièces éparses du réel et l'acte de la parole ne saurait être tout à fait un hasard. Non plus que ce soit du même verbe que la latin tirât lex - la loi.

Je vois ici un réseau, un espace où voies et territoires se croisent et forment noeuds sur noeuds où circulent autant les hommes que les savoirs ; les lois que les armes. Je vois ici un réseau où pouvoir et puissance forment système tel que l'on ne puisse réellement concevoir l'un sans l'autre, que l'un puisse s'exercer sans s'adosser sur l'autre. Le pouvoir, peut-être est affaire de flux...

Il n'y a finalement pas tant de différences qu'on pourrait imaginer d'entre le geste ancestral de la main qui recueille les restes du défunt, les ossements éparpillés et l'acte de la pensée qui rassemble les données du réel pour les relier en une relation intelligible, non plus que le lecteur assidu qui retrouvant dans la trame même du texte la combinatoire des signes d'où émerge le sens. Qui rend assez bien compte de la collusion systématique mais parfois perverse entre la puissance et le savoir, entre le savoir et le savoir-faire, entre science et technique sans qu'on puisse toujours déceler si c'est le savoir qui confère le pouvoir ou le pouvoir qui vous place au lieu du savoir. Les deux évidemment qui attestent en tout cas que celui qui est juché sur le canal de la puissance est en même temps celui qui s'arroge la posture de la connaissance et donc le droit de dire le vrai.

Oui, la puissance est un système de relais que ce soit ceux de l'homme de pouvoir qui délègue à ses ministres et ambassadeurs, signature et pouvoir d'agir en son nom ; ou le peuple lui-même qui confère au prince légitimité à agir en ses lieu et place. La délégation est l'acte par quoi la puissance se fait acte et ainsi pouvoir : elle va d'un homme à un autre ; d'un corps à un autre. Elle est relation.

C'est aussi pour cela, on l'a vu, que l'exercice même du pouvoir consiste dans la décision que l'on prend, c'est-à-dire dans la parole qui la fait connaître. Celui qui exerce le pouvoir est, d'abord, celui qui parle. Forme pure du pouvoir, la parole en est la substance ; la force qui s'en dégage ou qu'elle déclenche - violence, pression, guerre - n'en est que l'accident. La traduction ou la trahison.

Le comprendre revient à revenir à Aristote et sa théorie des quatre causes : où tout se joue dans la virtualité de la cause matérielle ; dans l'actualité de la cause formelle. Le paradigme, c'est-à-dire la définition de la quiddité, c'est ce qui permet à la matière qui n'est ni ceci ni cela, de passer de la puissance à l'acte. Passer à l'acte, c'est toujours déjà se restreindre, n'être plus que d'ici et maintenant, n'être plus que ceci ou cela ; l'acte est l'inverse de la puissance : il est déjà restriction.

Qui exerce, en acte, son pouvoir rencontre invariablement des contraintes, des obstacles voire des antagonismes. Et risque de perdre. Le pouvoir, parce qu'il est relation, renvoie nécessairement à un rapport de forces, instable, précaire ; il est donc toujours provisoire. La puissance quant à elle, est forme pure, elle n'est pas passage à l'acte, tout au plus condition de possibilité du passage à l'acte.

La puissance désigne sans équivoque un élément caractéristique d’une entité individuelle ; elle est la propriété d’un objet ou d’une personne et fait partie de sa nature ; elle peut se manifester dans une relation avec diverses personnes ou choses, mais elle en demeure essentiellement distincte. La plus puissante individualité pourra toujours être accablée par le nombre, par tous ceux qui peuvent s’unir dans l’unique but d’abattre cette puissance, à cause justement de sa nature indépendante et singulière. L’hostilité presque instinctive du nombre à l’égard de l’homme seul a toujours été attribuée, de Platon jusqu’à Nietzsche, au ressentiment, à l’envie qu’éprouve le faible à l’égard du fort, mais cette explication psychologique ne va pas au fond des choses. Cette hostilité est inséparable de la nature même du groupe, et du pouvoir qu’il possède de s’attaquer à l’autonomie qui constitue la caractéristique même de la puissance individuelle.
(Arendt, ibid.)

Du charisme ... et de la délégation, derechef

On n'est pas très loin, avec la puissance, du charisme évoqué par M Weber :

la croyance en la qualité extraordinaire [...] d'un personnage, qui est, pour ainsi dire, doué de forces ou de caractères surnaturels ou surhumains ou tout au moins en dehors de la vie quotidienne, inaccessible au commun des mortels ; ou encore qui est considéré comme envoyé par Dieu ou comme un exemple, et en conséquence considéré comme un « chef »

On comprend assez bien comment on aura pu si aisément confondre pouvoir et puissance tant les hommes de pouvoir auront toujours eu tendance à vouloir se revêtir des attributs de la puissance - ce dont tous les détails du protocole attestent avec une précision redoutable. Qu'ils en finissent par croire que l'habit fait le moine n'est en rien étonnant et tout le décorum est prédisposé pour cela. Qui a jamais détenu ne serait ce qu'une once de pouvoir et expérimenté cette étrange situation où tout subitement tourne autour de vous et vous attend ; qui a ainsi marché sans jamais trouver quiconque devant soi mais toujours derrière, qui a vécu ce subtil vertige où la moindre parole se transforme en décision et le moindre désir en réalité, ne peut pas ne pas céder à l'illusion que ceci tienne à son être propre plutôt qu'à la position qu'il occupe. Qui n'a pas désespéré subitement, son mandat achevé, de n'être plus rien pour personne et considéré avec étonnement autant qu'amertume combien ceux qui vous servaient, désormais se subordonnent avec empressement à votre successeur, n'a rien connu des sirènes du pouvoir. Qui accorde quelque crédit à l'adage selon quoi le pouvoir rend fou ! Qu'en tout cas il y faut une furieuse dose d'humilité et de prudence pour ne pas succomber à cette mégalomanie-ci.

Mais ceci ne concerne que le détenteur provisoire du pouvoir ! Il y a tout lieu de s'interroger sur cette propension tenace des peuples à y céder également et à renouveler itérativement, en dépit de toutes les déceptions antérieures, de tous les revirements systématiques, la croyance en quelque thaumaturge, le rêve d'un deus ex machina.

Or, on l'a dit, aux tréfonds du pouvoir, au plus secret des arcanes de la puissance, gît le sacré - l'invariable désir de croire en un arrière-monde qui donnât un sens à celui-ci.

Arendt a raison : la puissance relève de l'individu, de l'exceptionnel qui toujours suscite la défiance du grand nombre. D'où l'ambivalence : tour à tour, la puissance engendrera émerveillement et sujétion puis méfiance, haine et rejet.

Le charisme, étymologiquement, vient de χαρισ signifiant grâce, charme, joie et plaisir. Il désigne aussi bien la grâce, c'est-à-dire la bienveillance que l'on nourrit à l'égard de quelqu'un que celle dont on bénéficie soi-même et va donc jusqu'à désigner la récompense, le salaire. Formé à partir du préfixe χαρ signifiant briller. C'est ce terme qu'utilise Paul de Tarse

Recherchez la charité, aspirez aussi aux dons spirituels, surtout à celui de prophétie. Car celui qui parle en langue ne parle pas aux hommes, mais à Dieu ; personne en effet ne comprend : il dit en esprit des choses mystérieuses. Celui qui prophétise au contraire, parle aux hommes ; il édifie, exhorte, réconforte. Celui qui parle en langue s'édifie lui-même, celui qui prophétise édifie l'assemblée. Je voudrais certes que vous parliez tous en langues, mais plus encore que vous prophétisiez ; car celui qui prophétise l'emporte sur celui qui parle en langues, à moins que ce dernier n'interprète pour que l'assemblée en tire édification. 3

Être charismatique c'est non seulement être désigné, élu par Dieu et en recevoir récompense en signe mais c'est aussi éclairer autour de soi, répandre plaisir et charme. Ces deux aspects méritent d'être examinés de près. On le sait Thomas d'Aquin tentera une théorie des grâces divines - évidemment au nombre de sept : 4

- l'Intelligence : nous rend réceptifs à l’action de l’Esprit Saint dans l’appréhension, par l’intelligence, des vérités spéculatives.
- le Conseil : nous rend réceptifs à l’action de l’Esprit Saint dans l’appréhension, par l’intelligence, des vérités spéculatives pratiques.
- la Sagesse : nous rend réceptifs à l’action de l’Esprit dans le jugement, par l’intelligence, des vérités spéculatives.
- la Connaissance : nous rend réceptifs à l’action de l’Esprit dans le jugement, par l’intelligence, des vérités pratiques.
- la Piété : nous rend réceptifs à l’action du Saint Esprit dans les appétits de l’amour des choses qui concernent un autre.
- la Force : nous rend réceptifs à l’action du Saint Esprit dans les appétits de la crainte des choses qui nous concernent.
- la Crainte : nous rend réceptifs à l’action du Saint Esprit dans les appétits du désir des choses nous concernant

On remarquera que sur ces sept dons de Dieu, quatre renvoient à la connaissance ; trois à la pratique et donc à la relation à l'autre. Qui bénéficie des dons de Dieu d'abord sait ! Sans être pour autant omniscient, il sait lire ce qui d'ordinaire excède les capacités de l'entendement humain : il lit en dieu comme à livre ouvert. Par conséquent que ce soit pour les vérités éternelles ou pour leurs conséquences pratiques, le récipiendaire des dons divins sait. Mais Thomas distingue entre la capacité d'entendre et celle de juger et ce n'est pas pour rien qu'il redouble intelligence et conseil par sagesse et connaissance : l'homme charismatique est celui qui sait juger d'entre les vérités et leurs conséquences. Il est donc à la fois celui qui sait et ne se trompe pas. D'où sa capacité, à l'endroit de l'autre aussi bien que des choses matérielles, de ne pas dévier de sa route. Tout à fait remarquable à cet égard, le couplage de la force et de la crainte qui se répondent l'une l'autre : la première permettant de craindre ce qui nous menace ; la seconde de les désirer; comme si l'une venait systématiquement contre-balancer l'autre dans un subtil jeu d'équilibre qui maintient un rapport au monde sans jamais pouvoir se laisser engloutir en lui. Ce couplage crainte/force se retrouve dans les plus anciens textes bibliques pour désigner la relation à Dieu qu'à la fois l'on aime et craint.

Appliqué à l'homme de pouvoir cela donne effectivement la définition webérienne du pouvoir charismatique. Il n'est donc pas étonnant d'y retrouver chacune des caractéristiques relevées ci-dessus : du sacré à l'ambivalence en passant par le tragique et son hyperbolique extériorité.

Avec le charisme, on n'est jamais très loin de la magie, du sur-naturel ...de l'eschatologie ou de la folie ! Ce n'est certainement pas un hasard si ce sont les mêmes grâces qui sont offertes à l'homme charismatique que les vertus du surgeon. C'est qu'en réalité, au même titre que le Paraclet est intermédiaire entre Dieu et l'homme, le charismatique est lui-même son intermédiaire par ce système de délégation continuée que l'on avait déjà repéré, dès l'origine avec Moïse.

Qui a doté l’homme d’une bouche? Qui rend muet et sourd, clairvoyant ou aveugle? N’est-ce pas moi, Yahvé?
Va maintenant, je serai avec ta bouche et je t’indiquerai ce que tu devras dire.
Moïse dit encore: “Excuse-moi, mon Seigneur, envoie, je t’en prie, qui tu voudras.” La colère de Yahvé s’enflamma contre Moïse et lui dit:
“N’y a-t-il pas Aaron, ton frère, le lévite? Je sais qu’il parle bien lui: le voici qui vient à ta rencontre et à ta vue il se réjouira en son cœur. Tu lui parleras et tu mettras tes paroles dans sa bouche, et je vous indiquerai ce que vous devrez faire. C’est lui qui parlera pour toi au peuple; il te tiendra lieu de bouche et tu seras pour lui un dieu. Quant à ce bâton, prends-le dans ta main, c’est par lui que tu accompliras les signes. 5

Ce passage, essentiel, où je vois d'abord une théorie du mal, dit à merveille cette délégation descendante où de proche en proche, descend la Parole ; où la bouche prend une importance cruciale qui est le signe de Dieu. L'émissaire divin est d'abord celui qui parle, celui qui prophétise et on ne saurait être étonné que la glossolalie devienne le signe par excellence de l'accomplissement de cette mission. Celui qui parle toutes les langues, signe enflammé de son apostolat, mais s'il parle à dieu il doit surtout parler aux hommes : parler en langues et prophétiser sont des deux facettes du charisme.

Le mal commence quand l'intermédiaire s'interpose, quand il renâcle à accomplir sa mission fût ce pour de bonnes raisons : Moïse est bègue, il hésite ; mais il n'a pas le choix à moins d'encourir l'ire divine. La solution, toute trouvée, est une délégation de délégation : Aaron fera l'affaire ! un frère, un doublon ; toujours. Le mal commence quand le moyen s'érige en fin en soi donnant par avance quitus à l'impératif kantien.

De l'imposture

Réunis ici tous les ingrédients de l'ambivalence du pouvoir : la puissance qui est moins la sienne que celle qu'il a reçue pour signe et prix de son apostolat - une puissance qui consiste précisément dans cette capacité à prophétiser, à attirer autour de lui, à séduire mais surtout à exhausser ; une puissance qui consiste justement à savoir lire dans les coeurs comme dans les choses et savoir où aller, où entraîner autrui sans jamais dévier de la route sainte ; une puissance qui consiste justement à ne se laisser jamais abuser par les apparences mais à voir clair - toujours. Mais en même temps le double risque d'encourir la foudre divine et l'ire populaire : le risque de s'égarer, de se tromper ou de tromper, celui du parasite qui subitement oublie qui l'a investi et joue son propre jeu - c'est le risque du symbole devenant diabole, de celui qui s'interpose et bloque la relation.

Celui qui parle de lui-même cherche sa propre gloire mais celui qui cherche la gloire de celui qui l’a envoyé celui-là est véridique et il n’y a pas d’imposture.

Nombreux sont ainsi les passages désignant le mal par ces termes - parler de son propre fond - qui disent l'essence de l'imposture, de qui n'est pas à sa place.

On remarquera néanmoins, et tout se joue dans cette grande inversion, que dans la perspective chrétienne le charisme est un don, il est reçu, après l'alliance, après l'élection. Au contraire du politique qui cherchera toujours à faire ou laisser accroire que sa victoire tient d'un charisme préalable. A ce titre, au moins, le politique symbolise une imposture ; la contre-façon du religieux.

Arendt le remarque : le charisme n'empêche pas d'être abattu et même le groupe a forte tendance à brûler bientôt les idoles qu'il s'est préalablement données. Il faudrait revenir inlassablement sur le scandale que représente pour la logique l'idée même d'un messie crucifié si ceci ne nous éloignait trop de notre propos. On pourrait assez aisément ne retenir que cette idée de Girard selon laquelle l'essence du christianisme serait d'en appeler à la sainteté plutôt qu'au sacré en ceci même qu'il désamorcerait le processus sacrificiel. C'est qu'effectivement le mouvement de la foule qui se retourne contre l'élu n'a que superficiellement à voir avec le ressentiment du faible contre le fort mais participe plutôt de l'essence même du charisme: l'élu n'a de sens que s'il dit la loi - c'est le sens premier de la délégation - et par voie de conséquence l'incarne. Rien n'est à cet égard plus délétère que la corruption ou le délit caractérisé qui signalerait immédiatement l'imposture de qui parle : l'élu doit être exemplaire, presque désincarné, pure volonté, claire et déterminée, étranger aux tentations et aux stratégies obvies. Sitôt qu'il apparaîtrait trop normal, trop semblable à tout un chacun, trop proche aussi, immédiatement il perdrait quelque chose de son aura et deviendrait saisissable. La tradition s'est faite effort constant à rappeler que le Christ ne pouvait avoir une origine commune, ni une famille, encore moins une compagne : tout entier consacré à sa mission - sans exception aucune. La sagesse mais aussi la force font partie des sept dons de dieu. Il en va de même pour le politique : même si les gazettes adorent transfigurer une campagne électorale en une vaste épopée où celui qui l'emporte brave tous les interdits, vainc tous les obstacles et, parti de rien et seul, parvient miraculeusement à l'accomplissement final - comme pour mieux signaler l'incroyable charisme de l'impétrant sans quoi il n'eût pu l'emporter, et la part de miracle que suppose toute victoire, il n'empêche que toujours on le présentera comme un être d'exception, ne serait-ce que par sa détermination sans faille, tout uniment arcboutée vers le but final ; il n'empêche qu'on le présente comme un être sans autre attache que le bien public qu'il serait ivre de servir qu'aucun intérêt privé ne pourrait parasiter - comme un être désincarné.

Mais derrière ... la question de l'autonomie.

L'autonomie c'est bien la norme, la loi que l'on se donne à soi-même ; cette absolue indépendance, cette franche liberté qui vous fait vous déterminer par soi seul et non par simple obéissance à la loi. Le héraut - héros - est ainsi d'emblée une offense au peuple qu'il cherche à conquérir, séduire ou entraîner. Lui n'est pas englué dans l'entrelacs des contraintes et des obligations quotidiennes ou sociales ; lui, vient d'ailleurs et ne cède en rien sur ce qui lui semble juste ou nécessaire. Il est fort par cela même, mais du coup n'en illustre que mieux la dépendance du groupe qu'il émerveille mais injurie en même temps de sa liberté éclatante. Loin de toute pulsion psychologique, cette opposition constitue le politique tant dans son ambivalence que sa fragile puissance. Si le pouvoir procède du groupe, la puissance, non, qui émane d'ailleurs. Le puissant ne dépend de personne même s'il oublie parfois que son charisme même a besoin d'être perçu par le groupe pour fonctionner. Car si la puissance émane de l'individu et non du groupe, ce dernier quand même doit la reconnaître et s'y lover pour être opératoire.

Tous les ingrédients de la conquête et de la défaite sont ici réunis : en la personne même de l'élu parce qu'en définitive, en politique, il n'est jamais questions de stratégies, de théories ou d'objectifs qui ne soient immédiatement retraduites en terme individuel, en la personne même de l'élu. La grande défaite - en tout cas faiblesse - de la démocratie républicaine réside précisément en ceci qu'on se sera toujours obstiné à vouloir confronter des programmes, des objectifs rationnels quand en réalité ne se seront succédé que des hommes habilement camouflés sous des ismes 8 qui ne trompent plus grand monde. Est-ce la politique qu'aime le groupe ou bien seulement la joute, le choc des Titans qu'aimablement l'on organise pour lui ?

Tout est ici rassemblé dans cette autonomie qui claque à la fois comme un modèle mais une offense - ne serait ce qu'à la réalité ! Mais qui désigne en même temps l'essence du politique qui réside dans l'autonomie de la volonté. Où se joue la différence entre les seconds couteaux que l'on peut désigner en période de temps calme et les visionnaires qu'il faut élire en période de grande tempête ; entre les simples gestionnaires qui feront cahin caha ce qu'il faut faire pour que le système perdure et se reproduise et les grands réformateurs qui brisent l'histoire en deux et tentent de bouleverser le réel pour qu'il ne soit plus jamais ce qu'il fut. Déchiré entre le pesant désir de calme et l'urgente tentation du mieux, le groupe est toujours interdit devant celui qui s'avance vers lui, désirant à la fois l'un et l'autre, sachant pertinemment la contradiction mais la renouvelant nonobstant, prompt à lui attribuer tous les charmes et à les lui retirer à la première contrariété.

 

Mais oui, définitivement, il y a bien grande différence entre pouvoir et puissance quand bien même le premier aime à revêtir les apparences de la seconde.

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1) Arendt

2) CNRTL

3)1Co, 14, 1-5

4) reprise, complétée de la piété, du texte d'Isaïe annonçant l'avènement du Messie

Un rameau sortira du tronc de Isaïe, et de ses racines croîtra un rejeton.
Sur lui reposera l'Esprit de Yahweh esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte de Yahweh Is, 11, 1-2

5) Exode, 4, 10-17

6 ) Jn, 7, 18

7) On remarquera que c'est exactement la critique qui est faite par l'opposition à tout gouvernement de gauche débutant : n'être pas à sa place, par incompétence, naïveté. Ce le fut pour Mauroy et Mitterrand en 81 ; ce l'est pour Ayrault et Hollande aujourd'hui après l'avoir été pour Jospin.

8) que reste-t-il du gaullisme un demi-siècle après ? du pompidolisme ? C'est même la question posée à propos du sarkozysme, le cadavre du vaincu n'étant pas même encore froid ...