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Malédiction du pouvoir 6

malédiction pouvoir puissance

Croisée

Deux choses méritent ici d'être retenues :

- il n'y a de pouvoir que parce qu'il y a reconnaissance du pouvoir. Et ceci, finalement est vrai autant du pouvoir que de la puissance que, même de l'autorité conférant à ceux-ci cette subtile combinatoire où la fragilité le dispute incessamment à la force.

- nous ne sommes pas sortis de cette synthèse étrange entre la pensée grecque et latine du pouvoir dont l'Eglise aura réalisé la synthèse tant et si bien que l'avènement de l'individu ne fait en réalité que commencer quand bien même il aura déjà déroulé son premier effet : la mise à mal de tout système d'autorité.

Et toute la question réside en ceci. Arendt n'a sans doute pas tort de relever la faillite de tout système d'autorité mais pour autant on ne peut dire que la démocratie ait réellement avancé ni que les dictatures souvent soutenues par les grandes démocraties occidentales ait périclité.

Alors demeure cette remarque 1 au sujet de la crainte de l'au-delà qui eût servi de ferment à l'obéissance : la grande nouveauté des dernières années aura quand même été l'irruption du péril climatique dans nos préoccupations puis dans le débat politique. Où j'entrevois à la fois une menace et une espérance :

- une espérance, si on lit la situation comme E Morin ou M Serres : une situation si grave, si impérieuse qu'elle obligera bien à une solution collective, à un sursaut qui pourrait être la réponse à nos difficultés présentes à faire groupe, corps et société 2 . Tant l'universalité du problème que les nouvelles technologies nous plongent dans un nouvel espace où règne peut-être la complexité mais où grâce notamment à Internet l'initiative individuelle prend désormais un écho ouvrant la possibilité d'une nouvelle démocratie plus participative, d'un pouvoir moins centralisé et plus saisissable.

- une crainte pourtant parce que la prolifération de discours apocalyptiques 3 se joue de la peur et que la peur n'a jamais été le ferment de sociétés démocratiques mais bien plutôt de repliement sur soi, de fermeture et d'ostracisme. Il n'est que de lire comment les droites extrêmes se saisissent avec délectation et dilection des discours sur la dette et la planète pour comprendre que ces nuées d'orage forment autant d'horizons bouchés que de menaces démocratiques.

Il y va de bien autre chose que de bouteille à moitié vide ou pleine : ne fût-il question que de ceci, la réponse se trouverait quelque part dans la croisée des deux - comme toujours. Non ceci indique en tout cas la profondeur de la mutation en cours et l'obligation qui nous est faite d'inventer un autre monde, sans pour autant avoir le temps de le faire comme ce fut toujours le cas.

Et, pour ceci, il n'est pas du tout certain que nos modèles politiques traditionnels soient encore opérationnels ...

 


1) Arendt, De l'autorité p 712

Superficiellement parlant, la perte de la foi en des états futurs est politiquement, sinon spirituellement, la distinction la plus importante entre la période présente et les siècles antérieurs. Et cette perte est définitive. Car si religieux que notre monde puisse se révéler à nouveau, si grande que soit la foi authentique qui existe encore en lui, ou si profondément que nos valeurs morales puissent être enracinées dans nos systèmes religieux, la crainte de l'enfer ne compte plus parmi les motifs susceptibles d'empêcher ou de déclencher les actions d'une majorité. Cela semble inévitable si le caractère séculier du monde implique une séparation de la vie religieuse et de la vie politique ; dans ces conditions la religion est obligée de perdre son élément politique, de même que la vie publique était obligée de perdre la sanction religieuse d'une autorité transcendante. Dans cette situation, il serait bon de se rappeler que le moyen platonicien pour persuader la multitude de suivre les normes du petit nombre était resté utopique avant que la religion ne lui donne une sanction ; son but, établir la domination du petit nombre sur le grand nombre, était trop patent pour être utilisable. Pour la même raison, la croyance en des états futurs s'éteignit dans le domaine politique dès que son utilité politique fut manifestée d'une manière trop criante par le fait même qu'en dehors de tout le corps des dogmes, c'était elle qui était jugée digne de conservation.

2) lire Rosanvallon sur ce point

3) relire