Bloc-Notes 2017
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Et revoilà la morale …

autour de la parole (donnée ou reçue)
retour de la morale Parole et paroles blasphème et euphémisme retour au politique

Une série en quatre partie tentant de comprendre ce que désormais, en politique, parler veut dire? Rien, ou presque rien ; ou rien que de tragique vacuité !

Il aura suffi des soucis filloneux, fillonesques ou fillonards - comment dire ? - pour que les chroniqueurs en appellent à la morale publique : ils n'ont pas tout-à fait tort tant ce que l'on reproche au candidat des Républicains tient moins à la suspicion d'emploi fictif qu'il faudra prouver car pour le moment il en est légitimement présumé innocent qu'à cette manière très désinvolte de disposer de l'argent public à des fins personnelles et, de surcroît, à des hauteurs qui insultent le salaire médian des français (1772€ nets en 2016)

Je n'aime pas trop, je le concède, entendre la morale ainsi invoquée à tout propos - et surtout pas au sujet de sordides petites affaires où les intérêts politiques des uns et des autres sont trop évidemment camouflées derrière les cris d'orfraie pour qu'il n'y ait pas lieu de rester dubitatif ; soupçonneux.

La question de la compatibilité de la morale et de la politique est vieille question où évidemment un Machiavel, autrement qu'on ne le croit, pèse de tout son poids. Il serait trop long de l'évoquer ici. Simplement, peut-on être investi, ou le vouloir, de hautes responsabilités et siéger sinon au-dessus en tout cas au devant sans incontinent être saisi de vertiges - de mégalomanie.

L'essentiel sur la question me semble pourtant avoir été écrit par Rousseau qui, à la fois, considérait que loi et liberté n'étaient compatibles qu'à condition que nul ne fût au-dessus des lois, que ces lois n'avaient de légitimité qu'à condition d'avoir portée générale, et qu'enfin, nul de devait se prononcer en vertu de ses intérêts particuliers mais de l'intérêt général - une fois entendu que ce dernier, parce que général, ne pouvait que recouvrir l'intérêt particulier. Est-ce hors de portée humaine ? C'est en tout cas sur ce point que nous nous sommes, semble-t-il, le plus écartés des principes fondateurs : il n'est qu'à lire les programmes, ici et là, qui tous semblent ne pouvoir attirer l'électeur qu'en satisfaisant des avantages catégoriels.

D'où finalement deux attitudes passablement contradictoires : s'écarter définitivement du politique - c'est souvent l'attitude du religieux (Rends à César ce qui appartient à César) ou concevoir un projet tranchant suffisamment avec le réel pour apparaître un idéal désirable. Ce fut le cas, tour à tour, de la République ( à établir, rétablir ou à maintenir) puis du socialisme (avant que ce dernier sous la forme du communisme soviétique ne prenne des allures d'enfer).

Or, quel est le principe fondamental du gouvernement démocratique ou populaire, c'est-à-dire le ressort essentiel qui le soutient et qui le fait mouvoir? C'est la vertu; je parle de la vertu publique qui opéra tant de prodiges dans la Grèce et dans Rome, et qui doit en produire de bien plus étonnants dans la France républicaine; de cette vertu qui n'est autre chose que l'amour de la patrie et de ses lois.
[…] Puisque l'âme de la République est la vertu, l'égalité, et que votre but est de fonder, de consolider la République, il s'ensuit que la première règle de votre conduite politique doit être de rapporter toutes vos opérations au maintien de l'égalité et au développement de la vertu ; car le premier soin du législateur doit être de fortifier le principe du gouvernement.
Robespierre, 5 février 1794

Dans le premier cas, c'est au nom de la morale que l'on s'écarte ; dans le second, qu'on s'y plonge. Il n'est qu'à lire Robespierre ou Jaurès ! Là, fort opportunément, la morale apparaît au fondement de l'idéal. Serait-ce à dire que la morale servît au mieux d'étendard pour la conquête du pouvoir et l'habillage propret de son programme ? qu'on fût enclin à l'oublier sitôt l'objectif atteint ?

J'ai une certitude : au même titre qu'en politique, il y a la loi de la loi - la constitution ; que celle-ci s'inspire elle-même de principes - déclaration des droits de l'homme - qui constituent ainsi le principe de la loi de la loi ; au même titre je reste persuadé que la moralité n'est pas affaire de revendication ou de proclamation mais constitue une descente aux principes. Mais ce dévalement est une incursion au plus intime de l'être - sûrement pas une exhibition argumentative.

A ce titre toute instrumentalisation de la morale a quelque chose d'irrémédiablement obscène.

C'est cela même qui est impardonnable : d'avoir pris la morale en otage, l'on nous condamne tous - citoyens, journalistes, commentateurs divers - à une insupportable vulgarité. Qui rend le débat impossible ! On n'en est plus à la campagne classique où chacun détaille son programme, ses idées ; où le débat, à défaut du dialogue, porte précisément sur les projets. Non, on a glissé de l'idée à l'être et il ne s'agit plus que de se pavaner devant l'ire populaire pour mieux prouver que l'on est plus blanc que l'autre.

A quand les grandes séances de confessions publiques ? d'auto-critiques publiques ? C'est à qui jouera au plus pur, au plus transparent … les purges, dans ces cas-là, ne sont jamais loin?

Ad nauseam


1) Jaurès, Sur B Malon

Je dis que le socialisme est en lui-même une morale. Il l’est pratiquement et théoriquement. Pratiquement, il développe de plus en plus dans les multitudes humaines, jusqu’ici livrées à l’incohérence et à l’égoïsme des efforts individuels, l’idée de la solidarité. Certes, c’est pour le bien-être et l’affranchissement des travailleurs que les travailleurs luttent mais ce n’est point à eux, personnellement, que le socialisme leur dit de penser. Il leur apprend, au contraire qu’ils ne pourront trouver des satisfactions individuelles, fermes et durables, que dans une organisation sociale nouvelle, que cette organisation ne peut sortir que d’une évolution économique profonde, et que cette évolution, le prolétariat peut la hâter, mais qu’il n’y peut suppléer. Donc, les militants socialistes combattent-ils pour eux-mêmes, ou pour leurs camarades, ou pour leurs enfants, ou pour les enfants de leurs enfants ? Ils ne le savent point, et c’est dans cette noble incertitude qu’ils vont tous les jours à la bataille, affrontant ou les privations ou les périls.