Bloc-Notes 2017
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autour de la parole (donnée ou reçue)
retour de la morale Parole et paroles blasphème et euphémisme retour au politique

Une série en quatre partie tentant de comprendre ce que désormais, en politique, parler veut dire? Rien, ou presque rien ; ou rien que de tragique vacuité !

Retour au politique …

Deux chemins parallèles, écrivions-nous, qui, d'un côté, à l'écart, enclenche le processus lent et difficile, de corrections et biffures continues, présidant à la naissance de la philosophie puis des sciences, qui, de l'autre, d'engagements répétés en défaillances préside à l'institution d'un ordre social, religieux, politique. Les deux, oui, ont à voir au lien entre mots et choses, le premier cherchant à l'établir à la fin, devinant bien n'y pouvoir parvenir jamais ; le second le posant en principe fondateur qui ne manquerait pas de tout détruire si l'on venait à y manquer.

Or, s'il est bien une parole qui se situe à l'intersection de ces deux chemins, c'est bien la parole politique. Au plus près de l'action, dont elle se veut les prolégomènes et l'invite ; juste à côté d'une théorie dont elle se revendique tout en en sachant la fragilité - quitte d'ailleurs à la camoufler et qu'elle nommera idéologie quand il s'agira de celle de l'adversaire, mais règle de bon sens ou réalité quand il s'agira de la sienne propre. En dépit du rêve comtien, la physique sociale demeure un leurre soulignant combien effectivement nous sommes condamnés à donner des réponses à des problèmes que nous ne savons pas même correctement poser. Et, pourtant, au même moment, nous ne pouvons désapprendre de répondre au désir tant de notre liberté que de ce minimum d'ordre nécessaire à celle-ci , ordre dont le politique se targue d'être l'instigateur ou le chef d'orchestre.

Il n'est à cet égard pas étonnant que le serment demeure aux fondements de l'institution judiciaire, qu'on le retrouve, ritualisé, à l’installation des personnels dits assermentés, ni qu'on le retrouve dans ces professions si particulières que sont la médecine, la police, le notariat …

En politique cela fait depuis bien longtemps qu'en France l'autorité publique ne prête plus serment. Ce fut le cas du Roi, lors de son sacre : un serment supposé limiter ses prérogatives mais demeurait surtout le pendant de son onction. La cérémonie d'investiture des présidents, pour ritualisée qu'elle soit consiste surtout dans la lecture par le Président du Conseil Constitutionnel de la proclamation des résultats de l'élection et la signature par le Président élu du procès-verbal d'investiture. Une solennité a minima très éloignée de ce qui peut se voir ailleurs. Il faut dire qu'on verrait mal un président français prêter serment sur une Bible ; dire surtout qu'en politique, le serment a, depuis les épisodes fascistes de Vichy et évidemment nazis de Berlin, une furieuse réputation : la marque de fabrique du serment totalitaire demeure effectivement d'être prêté à la personne même du dictateur et non pas à la loi ou à la Nation.

Toute la question demeure de savoir si le serment est implicite - le nouvel élu s'engageant à défendre la Nation ou, a minima, de ne pas mentir - ou si, au contraire son absente dénote un délitement complet du lien.

Certes, on peut toujours regretter que tel élu ne soit pas parvenu à réaliser ce qu'il avait entrepris mais, l'histoire de nos républiques l'aura lentement mis en place, l'échec ne relève pas de la responsabilité pénale ; seulement politique. D'où, d'ailleurs ces moments si délicats pour la démocratie que peuvent être des procès politiques - ne songeons pour cela qu'à ceux, à la Libération, de Pétain ou de Laval. Pour justifiés qu'ils fussent - ne serait ce qu'au nom de la participation active au processus d'extermination - les motifs invoqués de haute trahison et d'intelligence avec l'ennemi manquèrent parfois de très peu de confondre responsabilités politique et pénale. Ni plus ni moins qu'un autre, le responsable politique ne peut être accusé d'ignorer des conséquences ultérieures qu'il ne pouvait prévoir ; tout au plus peut-on lui imputer des intentions malignes : mais comment les sonder avec certitude ?

Mais ce que l'on peut observer en revanche au moins depuis 1995, c'est cette incroyable désinvolture - pour ne pas écrire cet insolent cynisme - avec quoi les politiques désormais mènent campagne, se promenant au gré des tribunes le long d'histoires et de slogans susceptibles de leur attacher les voix convoitées sans grand souci de les réaliser une fois élus. Qui a oublié la fracture sociale ? La France qui se lève tôt ? le j'ai changé ? ou mon ennemi c'est la finance ? On aura beau arguer de concepts charmeurs du type storytelling, récit national, ou exciper de la communication, ce qui reste c'est au mieux, le vide ; au pire le mensonge. Cela fait bien longtemps que la politique ne fait plus rêver ; qu'elle ne fait même plus espérer ; trop longtemps que son vacarme assourdissant traduit un grand vide. Ou un insupportable mensonge.

Sarkozy en son invraisemblable présidence boursouflée d'égotisme vulgaire et tapageur semblait avoir atteint un point limite : celui où les artifices technique de la communication professionnelle devenaient à ce point visibles et les ficelles si grosses qu'ils finirent par rater leur objectif : trop de com tue la com, disait-on alors. L'illusion peut être connue, elle ne doit surtout pas se voir - le sel de la prestidigitation réside dans l'escamotage, on le sait. Il est un point limite - que toutes les rhétoriques connaissent, où l'on cesse de persuader précisément parce que l'on est trop habile ! A l'inverse, Hollande perdit tout crédit de traîner tristement sa parole vide et sa majorité éclatée comme un boulet : la parole de campagne aura été un stratagème - rien de plus.

Même si l'on peut ne pas souscrire, s'agissant de l'élection présidentielle, à la légende gaullienne de la rencontre presque magique entre un homme et un peuple, il n'en reste pas moins qu'une élection, en saine démocratie, devrait demeurer un programme sur quoi l'on s'engage et que l'on propose à un électorat qui le retient ou rejette. Que ce programme ne soit qu'un miroir aux alouettes, tout juste ciselé pour éblouir un peuple supposé sot, et ne demeure plus alors qu'un grand vide, une sinistre comédie qui maquera toujours de peu de virer à la tragédie. Relisons les professions de foi qui accompagnent les bulletins !

… ou le grand évidement

Précisément c'est de foi - i.e de confiance - qu'on les aura le plus cruellement évidés.

Serions-nous la première société à nous être ainsi débarrassés, au profit d'une froide technicité ou, pire encore, de la défense cynique des privilèges des dominants, de nous croire exemptés de tout engagement moral, de toute obligation sinon à la véracité au moins à la sincérité ? S'il s'avérait en tout cas que nous fussions désormais partie prenante d'une histoire politique qui se crût totalement déliée de tout engagement et de tout serment, ceci ne pourrait que signifier un fossé désespérément creusé entre, d'une part, le vivant, réduit cruellement à sa réalité biologique et donc à ses besoins primaires qu'il faudra bien concéder de satisfaire un peu et, d'autre part, le discours de quelque élite, habilement orné de savants stratagèmes médiatiques, produisant irrémédiablement une parole vide, creuse ; du bruit à peine audible à quoi il importerait peu de seulement prêter attention. Or, l'a-ton assez remarqué, les sondages qui envahissent l'espace, qui sont pourtant supposés refléter l'opinion publique, ne sont plus que des marqueurs à partir de quoi les communicants ajustent leurs slogans et stratégies mais signifient en réalité une confiscation de la parole populaire, le vote final n'étant en réalité plus que la formalité dont on attend la validation de la justesse des sondages. On aura toujours déjà parlé et pensé en nos lieux et places.

Ce qui reste ? Des hommes enjoints de s'adapter aux nécessaires mutations qu'évidemment ils ne comprennent pas, appelés à faire des efforts - et donc à renoncer - à qui même parfois, dans une suprême insolence, on demande de retrouver le goût du travail ; et, de l'autre côté, des paroles creuses, vides. L'ère même du blasphème au sens où nous le définissions : du parler vain ; pour ne rien dire. L'ironie est que cette vacuité accompagne une frénésie législative soucieuse de régler tous les aspects de nos vies, pourtant réduites à presque rien d'autre que la production, au moment même où l'on s'acharne à déréglementer tout ce qui engage la circulation des marchandises et des richesses.

Est-ce, à ce titre, tout à fait un hasard si l'économie a ainsi pris toute la place ? Quelque sens qu'on lui donne, et plus encore si on se souvient de son étymologie, elle n'est jamais que la norme imposée de notre humanité réduite à sa brutale nudité. Économie ? discours évidé de tout engagement sur une existence évidée de toute humanité !

Que nous reste-il ?

Mensonge, faussement naïf, de qui argue dépasser les clivages gauche/droite quand en réalité, jamais sous des saupoudrages aussi habilement édulcorés, la lutte des classes n'aura été aussi violente, les conflits d'intérêts entre puissants aussi dévastateurs et la rage de la classe dominante à le rester aussi criante.

Mensonge, évidemment impardonnable, de qui en appelle à l'intégrité et à l'effort de tous mais ne répugne pas à quelques arrangements familiaux non plus qu'à feindre d'adoucir quelque peu son programme social pour récupérer les voix imprudemment égarées.

Mensonges et insupportables félonies que ces attaques même plus insidieuses contre la presse, la justice, contre toutes les structures intermédiaires qui peinent à assurer le relais, l'engagement et la liberté.

Duperies plus encore que mensonges que ce costume anti-système dont on prétend se draper : voici, avec populisme, de bien hâtifs prêts-à-penser qui mélangent tout, brouillent tout repère idéologique

Mensonge de qui laisse accroire quelque recette miracle que constitueraient la sortie de l'euro, de l'Europe ou la refonde de la constitution

D'horribles et ridicules simagrées de conquête d'un pouvoir qu'on sait pourtant déjà ne plus maîtriser

 

… Retour à la pensée plutôt

Alors oui, ne reste plus que la parole dure, souvent âpre, de la philosophie, des sciences ; de la recherche. A l'écart, dans un quasi silence, elle est la seule qui persiste, mais aussi qui réussit, dans cet invraisemblable brouhaha - et dont la propagation est la seule indéniable réussite de cette caisse de résonance qu'est Internet.

Il est temps plus que temps que s'élèvent de grande voix qui s'engagent ! mais où sont elles ?

Déjà déconnectées ?