Bloc-Notes 2017
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Macron …
mais comment dresser portrait d'un ensemble vide ?

Après Fillon, dresser le portrait de ce grand mystère que demeure pour moi cet homme. J'ai évoqué son nom à plusieurs reprises [1] dans la période où il fut ministre pour m'étonner souvent de l'irruption inopinée de ce grand libéral dans un gouvernement qui n'était déjà de gauche que de piètres souvenirs.

Plus un jeune homme, mais un homme encore jeune dont la carrière pourrait impressionner s'agissant d'un provincial, certes issu d'une famille de médecins, bref de notables locaux où l'on compte même une grand-mère, enseignante et principale de collège qui l'aurait initié aux joies de la gauche - sans grand résultat durable, apparemment : bref d'un intrus, étranger aux deux ou trois arrondissements parisiens qui comptent.

Comment réussir quand on naît à Amiens ? En étant pressé !

Voici un homme - il n'a pas encore quarante ans - qui n'aura décidément pas traîné. Classes Prépas (en Lettres quand même) un DEA de philosophie - où il ne laisse pas grand souvenir mais où il prétend avoir assisté P Ricœur et avoir été dirigé par Balibar - , un passage par Sciences Po avant d'intégrer l'ENA, il intègre l'Inspection des Finances en 2004 à 27 ans.

Il y a du Giscard d'Estaing chez cet homme : celui-là était rentré à l'Inspection des Finances à 26 ans ; avait intégré le cabinet d'E Faure en 54, à 28 ans ; se fera élire député en 56 et devient ministre après l'arrivée de de Gaulle au pouvoir en 58 … à 32 ans. Macron, quant à lui, intègre l’Élysée en tant que secrétaire général adjoint dès 2002 et devient ministre de l’Économie et des Finances à 37 ans !

Il faut avouer que ce ne sont pas du tout les mêmes origines - devrait-on écrire racines ?

Giscard, noblesse de pacotille certes, provincial, oui, mais de haute lignée, grande bourgeoisie où affaires et politique s'entremêlent constamment, sevré de timbale en argent où il trouvera tout disposés dans son héritage un siège de député détenu par un grand-père que l'on pousse à la sortie pour laisser place au petit, l'entregent nécessaire pour s'introduire dans les milieux qui comptent, les moyens financiers et la notabilité qui s'imposent pour bien épouser ; bref le parfait viatique du petit nobliau de province montant à Paris.

Macron, en revanche, a trop de glaise picarde à ses semelles à faire oublier pour tenir en place : quoiqu'il fasse il sera toujours en retard d'une revanche à prendre sur un berceau pas assez scintillant pour ne pas courir en tous sens s'excusant de n'être pas plus ni plus loin … d'être toujours en retard tel le lapin blanc de Lewis Carroll. Quatre ans à l'Inspection des finances c'était trop, il s'offrira une excursion - à moins que ce ne fût une incursion - à la Banque Rothschild - où, au passage, presque par mégarde et en s’excusant du peu, il gagnera plus de 2 millions d'€ …

On pourrait imaginer, à cause de ce passage furtif par la banque d'affaires, qu'il y eût quelque chose de Pompidou chez lui mais ce serait gravement s'égarer dans une coïncidence superficielle. Celui que Mauriac appelait Raminagrobis - Notre Raminagrobis de Premier ministre, tout fourré, tout bénin, toutes griffes rentrées (Bloc Notes 1963) - était d'une tout autre trempe : provincial, oui, mais naître à Montboudif vous signait vos origines de plomb bien autrement qu'Amiens ; fils d'instituteurs, oui, mais de familles paysannes et pauvres, Georges Pompidou venait de plus loin encore et bien plus profond. Celui-ci n'avait pas de revanche à prendre, non, mais une ascension à réussir où le fond de culture allait lui servir de marchepied sans toutefois jamais escamoter l'épaisseur entêtée du bougnat qu'il sut toujours, sans rouerie mais avec une redoutable efficacité, travestir de cet aimable vernis de culture mais où l'impitoyable âpreté au gain du paysan négociant une terre ne le cédait jamais sous l'affable aménité du bourgeois un peu parvenu aimant les belles voitures et les soirées mondaines …

Non ! rien de tout ceci chez Macron : un profil lisse - tellement opposé aux sourcils broussailleux de Pompidou - trop lisse. Il y a chez lui quelque chose du premier de la classe qu'on sera peu enclin d'envier mais très vite tenté de détester ; une sorte de gendre idéal qui ne déparera jamais en soirée et sur qui on peut compter pour faire la conversation ! en tout cas quelqu'un qui ne vous fera pas honte.

Une sorte de Michel Drucker de la politique finalement !

Un profil d'ange finalement ou plutôt de ces princes charmants un peu fadasses des contes de notre enfance par qui l'histoire se termine - ils se marièrent et ils eurent beaucoup d'enfants - mais qui en définitive n'importent que quand ils sont absents. Comme eux, il n'est pas objet de désirs mais le désir sans objet. Comme eux, comme l'ange d'ailleurs, il n'est qu'un intermédiaire, un truchement, une voie de passage. Il dit la crise, le passage - il suffit de l'écouter - mais en soi n'importe pas plus que plume au vent. Ni de droite ni de gauche - au centre ? - il est une voie de passage, un carrefour voire seulement un trou de souris. Tout le monde passe par là, y vient avant de s'en aller ailleurs ; il est l'intégrale de toutes les postures, un point géométrique, donc un non lieu !

Nulle aspérité, nul secret à cacher : la symphonie de la vacuité !

Ah si, quand même ! cet insolite mariage avec femme plus âgée que lui, qui plus est, son ancienne prof de français ! Voici qui ne peut que susciter enquêtes, interrogations, suspicions dans les milieux auto-proclamés bien intentionnés.

Pensez donc ! épouser une femme d'un quart de siècle son aînée ne peut que cacher une faiblesse secrète. On a beau, dans ces milieux se piquer de modernité et d'ouverture d'esprit, les préjugés pointent aisément et les clichés affleurent volontiers sitôt que l'on sort des conventions ; surtout s'agissant des femmes. Quel attelage singulier ! Faiblesse de caractère au point de se laisser cornaquer ? immaturité voire régression mentale au point de patauger dans des amours adolescentes ? ou pire encore abus de position dominante de la part d'une enseignante dont le métier est précisément d'entraîner derrière soi l'intérêt voire l'enthousiasme d'esprits encore en formation ? C'est que l'union ne peut décidément que traduire un embarrassant rapport de forces mettant aux prises une anémie psychologique incurable et une volonté acharnée de puissance voire une ambition dévorante.

C'est bien ce que suggère la Une de L'Express. Comme s'il y avait quelque chose, chez cette femme, d'autant plus insidieux que couvert des grâces féminines, quelque chose de l'ordre de l'éminence grise. Regardez ce visage marqué déjà, ces mâchoires qui suintent la volonté de toute part, cette moue légèrement boudeuse - pour faire jeune - mais ces lèvres gourmandes ; ces yeux qui contrefont l'azur mais où scintillent déjà les ors de la République ! N'y aurait-il pas chez elle un Richelieu manœuvrant le trop falot Louis XIII ! Oh bien sûr on n'utilisera pas dans ces enquêtes un propos trop évidemment macho voire misogyne - ce serait d'un tel mauvais goût - mais si on lit soutient, c'est bien diriger qu'il faut entendre ; rôle secret, c'est manipulation qu'il faut deviner ; le depuis le début résonnant comme un baume de fidélité sur un envoûtement très tôt entamé.

Ovide a du passer par là réécrivant à l'envers l'histoire de Pygmalion et Galaté.

Fi de ces sottises ! mais remarquons néanmoins que voici seul trait conférant quelque épaisseur à un profil trop sage, trop limpide - tellement conventionnel : Macron a une âme ; trouble qui plus est, subtilement transgressive - oh juste un peu, n'exagérons rien !

Homme pressé, disais-je, qui assoit son ambition en empilant par strates successives métiers, positions, réussites et millions, assurant ainsi toutes les obligations qu'on est en droit d'attendre d'un grand bourgeois établi : vite abandonner les rivages de la gauche découverts par l'entremise d'une grand-mère adorée car si les délices d'une révolte juvénile sont acceptables en ces milieux de bourgeoisie de province - il faut bien faire la part du feu - elles ne le sont que sages - adhérer au PS, quoique incongru demeure aux frontières du convenable, presque de l'avouable - et que transitoires - il s'en éloignera bien vite en n'ayant du reste jamais été un militant actif ; céder aux enthousiasmes intellectuels - il faut bien avoir quelque ferveur pour les idées quand on entame des études de philosophie après un bac S brillamment obtenu - mais très vite - retour au sérieux oblige - faire Sciences Po et l'Ena qui sont quand même les seuls moyens de sortir de la plèbe devenue immense des couches moyennes.

Pressé mais à quoi bon ? A-t-il songé que s'il venait à être élu il n'aurait que 50 ans après un éventuel second mandat ? N'est-ce pas après tout ce qui arriva à ce pauvre Giscard qui, oubliant de mourir - il a désormais 91 ans - traîne depuis 36 ans l'humeur maussade de qui ne pourra plus jamais viser plus haut ? Patience est mère de sûreté, serinait-on autrefois, enjoignant de consolider chaque étape de peur de trébucher en ajustant mal son pas : l'album photo de nos édiles laisse à voir plus de vieillards barbichus que d'intempérants intrépides ayant su patienter pour terminer aux faîtes des honneurs une carrière de plus en plus apaisée. Faut-il une fois replongé dans les noirceurs du Styx, tout oublier et recommencer, tel Giscard, une ascension hautement aléatoire, vouée à l'échec mais qui de toute manière ne vous eût jamais hissé plus haut que la position d'où vous chutâtes laissant à tous ces efforts un horrible arrière-goût de réchauffé ? Faut-il tel Sarkozy, faire mine de partir, de revenir, de jouer les sauveurs pour lamentablement devoir endurer une compétition nécessairement humiliante ? Pressé ? oui, mais après ? Les grands anciens, sans l'avoir toujours voulu, certes, ne parvinrent jamais aux faîtes de leurs puissances qu'au crépuscule : Clemenceau, de Gaulle, Mitterrand eurent l'élégance de mourir sitôt leurs rôles achevés - il ne fait pas bon voir l'histoire émietter ce que l'on aura eu échafaudé si besogneusement.

Mais celui-là ? Je veux bien admettre la dose de mégalomanie nécessaire pour embrasser la carrière politique et se croire assez habile et doué pour faire bifurquer son pays sur les travées que l'on souhaite mais avouons-le quitte à sottement désirer laisser son nom à la postérité mieux vaut choisir la carrière des Lettres ou des sciences. Qui se souvient du ministre des travaux publics de l'éphémère gouvernement Painlevé de 1925 ? Qui d'ailleurs de Painlevé lui-même ?

Sic transit gloria mundi !

Profil lisse, disais-je aussi. Qui fait songer à cette fascination, à la fin morbide, que le jeune Tadzio exerce sur le vieil écrivain Gustav von Aschenbach dans Mort à Venise de Th Mann. L'adolescent pré-pubère, presque androgyne encore, réunissant en son corps encore intact toutes les virtualités que ses choix, demain, bifferont les unes après les autres, a effectivement quelque chose de cette beauté pure, éthérée, immatérielle qui n'est pas encore ceci ou cela, mais tout à la fois, est comme une figure de cette Beauté, là à l'extérieur de la caverne, qu'on ne peut contempler sans s'éblouir ou mourir ; quelque chose de cet horizon qui recule à mesure que l'on avance et que l'on ne devrait surtout ne jamais pouvoir atteindre ; quelque chose de la puissance, oui, mais au sens de la virtualité !

Macron tient de ceci : trop propre, trop pur, pas assez marqué ; trop simple dans ses élans, trop simpliste dans ses explications et théories - mais en sont-elles ? ou plutôt des dogmes rabâchés ? Il y a quelque chose d'inaccompli chez cet homme, quelque chose de l'adolescent qui s'attarde sur les lagunes de cet entre-deux où les choix n'ayant encore été portés, tout semble possible, réalisable, souhaitable. Son logiciel programmatique en est le signe : ni droite ni gauche ! Vieux refrain politique depuis de Gaulle que ce souhait de dépasser un clivage désuet et qui n'eût plus aucun sens s'il en eût jamais mais l'histoire a montré que quand on n'est ni de droite ni de gauche … on est de droite ! Tout simplement. Ce n'est pas ce rêve insensé de ressusciter le centre introuvable où Bayrou s'est engouffré avec lui avec gourmandise mais aussi avec cette sévérité sourcilleuse du vieux prof donnant des leçons de morale - tiens lui aussi ! - non ce n'est pas ce Pitchipoï de la Ve République qui m'intéresse. E Faure s'amusait en son temps en soulignant que les congrès du Centre pouvaient aisément se réunir dans une cabine téléphonique - compte non tenu des inévitables scissions qui s'en suivraient. Non ! ce qui m'intéresse et m'inquiète, pour ne pas écrire effraie, non ! c'est ce que ceci recèle d'immaturité - pas seulement politique. Sous le discours apparemment raisonnable du dépassons les fausses oppositions, conservons de chaque bord, les idées et projets qui le méritent, il y a, outre une méconnaissance absolue du monde politique et un brouillage idéologique que sa culture philosophique interdit d'avoir été involontaire et qui donc relève simplement de l’agilité du joueur de bonneteau, il y a, dis-je, un éloge inconscient de l'impuissance qui m'atterre. Un brin de naïveté et une bonne dose de sottise.

Vouloir être au centre, ou au-dessus, n'est pas vraiment présomptueux mais d'une invraisemblable candeur. C'est dire simplement je suis au carrefour et tout le monde passera par là ; par moi. Ce lieu de la croisée est un point géométrique, un repère peut-être ; une place, sûrement non ! Une posture, sans doute ! Une imposture, bien vite. L'homme peut bien jouer les casuistes - on n'a pas fait l'essentiel de ses études dans un établissement confessionnel pour rien - et inventer des nuances entre un libéralisme social et un social libéralisme, ses pratiques et ses discours - il a quand même été ministre deux ans et y a laissé des traces - dénotent une vulgate libérale que son affabilité charitable de scout souriant ne peut effacer.

Tout le monde s'interroge sur la majorité qu'il pourrait réunir au lendemain de son éventuelle élection. C'est une manière de poser la question … mais pas d'y répondre. Gouverner c'est choisir affirmait Mendès-France, c'est donc aussi renoncer. Le dieu de Leibniz, grand calculateur, avait été capable d'entre tous les compossibles, de créer le meilleur des mondes possibles mais n'est pas dieu, ni génial calculateur qui veut ! Il y a, je le crains, chez cet homme, quelque chose qui répugne au passage à l'acte. Prince des enchanteurs, roi des préliminaires qu'il prolongera tant qu'il pourra, il éclatera telle une bulle financière à la première décision venue pour paraître enfin ce qu'il est : un bonimenteur.

De deux choses, l'une : ou bien un illusionniste ou un faible adepte de la procrastination.

Sa chance ? le désarroi politique actuel ; le grand ménage fait autour des caciques ; l'illusion du jeunisme et la peur de l'extrême-droite. Il peut gagner sans doute ; il nous fera perdre, sûrement.


1) pages où il est mentionné :

2) Visconti