Bloc-Notes 2017
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Le retour de M Propre
suite inévitable du retour de la morale

Trouvé ceci, plusieurs fois relayé, sur Facebook. N' ai pas cherché la source du sondage sur le JDD, on retrouve néanmoins cette photo sur au moins deux pages apparemment liées à JL Mélenchon. (1)

Ce n'est pas tant ici le sondage qui m'intéresse, quoique l'invocation de la morale comme argumentaire politique me laisse un goût de cendres pour le côté ligue de vertus qu'il cache si mal, que l'intitulé :

Qui incarne le mieux les valeurs d'honnêteté et d'éthique ?

Un petit point de vocabulaire

Comment ne pas voir que cette phrase n'est qu'une vaste redondance, un insipide pléonasme ?

S'il est exact que valeur peut en économie désigner le caractère mesurable d'un objet en vue de son échange, et donc son prix, il est évident que dans une telle phrase le terme renvoie à morale . S'il peut avoir un sens de parler de valeur morale, par opposition à valeur financière, logique ou esthétique, en revanche il n'y en a aucun à parler de valeur d'éthique sinon qu'éthique fasse plus chic. Or, éthique renvoie plutôt à la théorie quand, ici, l'on évoque plutôt la pratique, les mœurs. Par ailleurs on n'incarne pas des valeurs : on les observe, les respecte, les applique et c'est précisément ceci qui force le respect à l'égard de quelqu'un et lui confère son honneur. Parler ainsi de valeur d'honnêteté n'a guère de sens : qui n'est pas une valeur mais la résultante d'une conduite morale et, surtout, la reconnaissance de cette dernière.

Ainsi cette phrase, qui semble-t-il, veut dire qui apparaît le plus moral de tous ? dit en réalité qui personnifie la morale de la morale et de la morale ?

Absurde !

Surenchère

Il en va ici comme de ces formules qui s'affaiblissent à mesure où on les enrichit : je t'aime beaucoup dit moins que je t'aime ! le procédé est connu ! Il est sans doute le destin inévitable d'une communication politique qui s'est égarée dans le slogan publicitaire.

Réservée le plus souvent aux argumentaires des grands lessiviers, produisant des slogans souvent absurdes qui firent la joie de Coluche, cette surenchère que personnifie comme par hasard un homme chauve sorte de bodybuilder des sanitaires, aux muscles gonflés aux anabolisants et au sourire carnassier, retrouve sans y prendre garde l'un des sens premier de axios qui en grec signifie ce qui pèse et donc ce qui importe.

Étymologiquement, valeur a le même sens que vertu qui vient de vir - l'homme, la force : on y sens pointer le goût latin pour la puissance, la vigueur à l'opposé du grec axios qui tire la valeur de ce qui a du poids, entraîne vers le bas et est donc digne de considération. Voici résumé, dans cette origine ambivalente, tout le débat sur la valeur dont on ne cessera de se demander si elle est dans les choses ou bien seulement dans le jugement ou le désir qui me lie à elles. Voici en même temps mise en évidence toute l'usurpation de la démarche managériale ou publicitaire.

La surenchère est donc bien inscrite dans les mots même de la morale - au même titre que le dressage ou la domestication - non qu'elle fût le destin malencontreux de la morale elle-même mais de tout discours sur la morale, et, surtout, de toute instrumentalisation de la morale à des fins extérieures - ici politiques. Nul ne se proclamera jamais plus immoral, perverti ou malhonnête que l'autre : la moralité est tableau à une seule entrée ; c'est pour cela qui prolifèrent truismes, tautologies et hyperboles malencontreuses.

Il n'est pas question de valoir mais de faire valoir ! Il n'est qu'à considérer comment dans le monde de la finance, on utilise le terme valeurs pour se forger une image. La vertu n'y a pas sa place, tout au plus des compétences ; parfois des objectifs mais surtout, la transformation d'une marque en une identité qu'on espère cohérente.

Circonstances

Ne soyons pas dupes : ce type de tract n'est autre moyen - plus positif et donc plus vendeur - de dire que l'on est plus moral que l'autre - visant ainsi les déboires de Fillon. C'est peut-être ce qui me dérange le plus car à ce jeu, rapidement coercitif, on risque bel et bien d'en revenir à un code moral étriqué, à un conformisme étouffant. Je n'ai jamais cru à la loi du balancier, mais ne parviens pas à oublier les coups de butoir qu'il fallut bien asséner dans les années 60 pour se débarrasser - un peu - de cette morale petite bourgeoise qui sentait tellement la naphtaline qu'on y suffoquait !

Ne soyons pas dupes : il y a d'un côté, la morale qui pose une véritable interrogation philosophique voire métaphysique et suppose qu'on s'interroge enfin sur ces valeurs qu'on invoque à tout propos sans jamais ni les nommer ni les définir ; il y a, de l'autre, l'utilisation de la morale, notamment dans le champ politique, utilisation rarement sincère, aisément sulfureuse ; rapidement dangereuse.

Au fond

J'aime les mots et n'ai jamais perdu mon temps à baguenauder dans leur histoire. Je me reconnais assez bien dans la forme καλὸς κἀγαθός - beau et bon - qui dessinait assez bien l'idéal de sagesse antique, où il paraissait indispensable d'unir pensée et action autour de principes simples et incontestables. Ou dans l'idéal de l'honnête homme, qui lui a succédé à la Renaissance, où se conjuguent connaissance, curiosité, socialité et aménité et ouverture d'esprit, sans tapage, avec modération. Mais si on lit bien ce qu'honneur veut dire, il s'agit bien d'une tension biface : d'un côté un mouvement intérieur, une tension intime qui vous pousse à agir le plus en conformité possible avec ce que l'on estime juste et bon ; de l'autre, la reconnaissance qu'à l'extérieur, l'on vous accorde.

On touche ici à une contradiction constitutive de cette notion. Une valeur, pour fonctionner comme telle, doit être perçue par les acteurs comme universelle, absolue, sur le plan normatif. Mais du point de vue descriptif, l’observation de la façon dont les gens mobilisent des valeurs montre qu’elles sont relatives à leur contexte. Cette dualité entre universalité normative et relativité factuelle est indissociable de la notion de valeur.
id. ITV

C'est dire que ces valeurs sont à la fois intimes et terriblement sociales. C'est aussi ce que Nathalie Heinich a voulu dire en énonçant que les valeurs étaient un objet absolu, très relatif : non seulement la vertu ne peut être reconnue à quelqu'un que selon un code reconnu comme pertinent à un moment donné, dans une société donnée mais surtout, qui plus est seront-on tenté d'écrire, ces valeurs seront entendues de manière différentes selon le contexte ou le champ où elles s'appliquent. On n'entendra pas tout à fait la même chose ni n'attendra tout à fait la même probité selon que l'on se situe dans le domaine privé ou public, professionnel ou simplement social, politique ou économique etc. Qui plus est, ces valeurs que nous nous reconnaissons assez à nous-mêmes pour en faire des règles de conduite ne viennent évidemment pas de nulle part !

Je n'entends la vertu que comme un processus qui tente de passer à l'acte, que comme une tension intime de la volonté : ce pourquoi il y aura toujours quelque chose de vulgaire, de vaniteux et fat, d'exhibitionniste en réalité, à se proclamer moral, à plus forte raison plus moral qu'un autre. Ce pourquoi, il n'y a jamais loin de la coupe au lèvre, il y aura toujours danger à se proclamer vertueux tant est grande la tentation de vouloir imposer sa vertu à l'autre. Toute la question, la seule ici, qui importe, est de savoir si cette tension résulte d'une volonté libre ou, au contraire, déjà d'une soumission à un ordre. Toute la question de la vertu tient dans cette approche contradictoire déjà abordée, entre morale du sentiment et morale de l'intérêt.

A l'intersection entre intimité et socialité, entre volonté présumée libre et ordre social, la moralité fonctionne comme une frontière ou une peau qui respire, inhale et exhale, qui se défend et se répand. Ce qui dérange ici, dans cet usage politique de la moralité est bien la confusion entre l'intime, le privé et le public : en politique, la liberté a toujours à souffrir quand se mélangent ainsi, sous un air faussement naïf, ces deux domaines. Pureté, transparence, traçabilité ont fait fortune dans le discours politique mais avons-nous déjà oublié combien l'ordre pur pouvait être désastreux ?

Se peut-il y avoir en politique de discours moral autre que déjà instrumentalisé, que déjà moralisateur ? Pour autant que des lois comme celles du financement des partis politiques, ou la publication des patrimoines des candidats et des élus ou l'institution récente du Parquet financier à la suite du scandale Cahuzac permettent de mieux préciser ce que l'on attend de nos élus et les règles de probité que l'on veut leur voir respecter, manifestement il y eut avancée et une partie des scandales actuels viennent en partie de ce que deviennent délictueux des agissements qui ne l'étaient pas. L'augmentation de la corruption est aussi une illusion produite par l'efficacité de ces lois nouvelles. Certes, ainsi l'exigence de vertu public devrait permettre d'assainir l’atmosphère. Pour autant, le socle électoral d'une M Le Pen, ou, même rétréci d'un Fillon, montre, alors même que ses hérauts bravent parfois cyniquement la justice, que l'opinion publique n'est sensible à la question morale … que pour ses adversaires.

Alors non ! le discours moral en politique ne peut pas ne pas être instrumentalisé.

En politique, la morale a un nom : justice

La loi, oui ; les ligues de vertu, non !

Ad nauseam !


1) Vite la 6e et sur la page twitter des étudiants avec Mélenchon