Bloc-Notes 2016
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Élections ...

Le mot le dit, les grecs le crurent et pour cela les limitèrent aux fonctions techniques, les élections visent à désigner d'entre un groupe, le ou les meilleurs.

A lire la presse ces derniers jours, ceci laisse rêveur …

Un jeu de massacre

Même s'il est vrai que les primaires de la droite ont été plutôt une réussite si l'on envisage le taux de participation et qu'à tout prendre, la passion française pour la politique n'est peut-être pas épuisée ; même en admettant que les électeurs prennent la parole quand on la leur donne et qu'ainsi, pour ceux qui l'auront voulu, ils auront pu participer au choix d leur candidat plutôt que de se le voir imposé par les caciques d'un parti ; même en concédant que de ce point de vue les primaires représenteraient une avancée démocratique … quel jeu de massacre ! Duflot éliminée dès le premier tour chez les écologistes ; Sarkozy aussi puis Juppé à droite ; un président sortant condamné à se plier aux aléas d'une primaire qui finit par renoncer; à gauche, des candidats de plus en plus nombreux dans un marigot de plus en plus confidentiel ... Certes, les électeurs semblent effectivement renâcler devant tout scénario écrit d'avance mais quand même cette impression persistante d'un solde que l'on paie après deux présidences successives qui ont agavé pour l'une et déçu pour l'autre.

Primaires à droite

Une fausse bonne idée sans doute. On a voulu démocratiser comme on dit désormais mais on a oublié qu'une élection même au suffrage universel ne fait pas la démocratie - la défunte URSS en fut la preuve. On a importé des USA une pratique qui a peut-être un sens dans le contexte fédéral et bipartisan - pas nécessairement dans le nôtre. Une pratique en tout cas qui condamne le politique au temps court - de plus en plus court depuis le quinquennat - au temps de la performance - mesurable, pointable, comparable - qui le rapetasse à une politique réduite aux acquis quand tout dans notre constitution gaullienne, pour le meilleur ou pour le pire, renvoie à une présidence d'incarnation et au temps long que cette dernière impose [1].

Bien désigné, très bien même, avec 2/3 des votes, Fillon le mal aimé, le bafoué que Sarkozy désigna de l'humiliant titre de collaborateur, Mr Nobody ou Droopy comme certains s'amusent à le surnommer ; celui que personne n'avait en réalité vu venir et qu'on pointait à la troisième place - voire la quatrième - surgi du bois ou d'on ne sait où, avec un programme invraisemblable de libéralisme thatchérien et ravissant la mise, Fillon réussit ici la même prouesse que Sarkozy en son temps : apparaître comme un homme neuf alors qu'il traîne sa mine triste dans les coulisses du pouvoir depuis 81 - élu député de la Sarthe à 27 ans - avec un programme plus que trentenaire même s'il s'affiche avec une brusquerie rare.

A lui tout seul, il résume l’ambiguïté des primaires : que représentent ses 60% sinon l'aile la plus droitière de son parti, cette frange plutôt nantie, plutôt plus vieille que l'électorat de droite en soi ; plutôt plus traditionaliste et nostalgique des emprises autoritaires d'un catholicisme d'avant Vatican II. Or la droite ne se résume pas à cela : ce qui implique que pour être élu, avant même de pouvoir rassembler sur son nom une majorité d'électeurs, il lui faudra réunir les différentes composantes de la droite - ce que son programme, notamment sur son versant social et sociétal, est loin de faciliter. En phase avec son parti, pas avec le pays, écrit Libération : pas faux quoique je doute même qu'il soit réellement en phase avec toutes les composantes de son parti, qui ne l'oublions pas, résultant du coup de tonnerre de 2002, rassemble de la droite la plus traditionnelle au centrisme éclaté et aux réquisits du gaullisme. Que les mutations et les périls terroristes enchâssés dans une crise dont on ne sort pas incitent aux programmes autoritaires, sans doute ; que les incursions si voyantes d'un Sarkozy sur les terres de l'extrémisme ait réveillé les ardeurs d'une droite catholique, parfois intégriste comme paravent au fascisme, oui sans doute ; que même, inquiétudes et désarroi incitent une partie de l'électorat à douter des vertus de la démocratie comme le montre une étude récente, assurément. Comment ne pas voir, dans ce pays qui n'a plus rien à voir avec la France des années 60-70, dans une économie largement mondialisée et en phase de désindustrialisation qui tranche avec les débuts de la Ve, que son programme - moins réactionnaire d'ailleurs que nostalgique retour au passé et aux recettes du passé, présente des allures qui ne pourront que heurter tout ou partie de l'électorat ?

Primaires à gauche

A gauche le spectacle est pire encore : le même jeu de massacre. La presse s'en donne à cœur joie : chronique d'un suicide annoncé, irresponsables, accuse Libération. Une primaire, mal engagée et si sottement dénommée la Belle Alliance populaire qui ne réunit personne dans un marigot devenu de plus en plus étriqué pas même les divers mais si nombreux courants de la gauche, pas même ceux du PS : les écologistes font jeu à part ; Mélenchon aussi avec le soutien mitigé du PC ; Macron se pique de jouer les trouble-fête ; Valls qui menace de se présenter contre Hollande - qui entre temps aura jeté l'éponge ; et ce fait inédit, impossible à concevoir et qui eût de toute manière faussé la logique d'une primaire, d'un Président qui fût contraint de passer par la case Primaires au risque d'être éliminé dès le premier tour !

Quatre leçons à en tirer

Politique d'abord : la division fait partie de l'histoire des gauches on le sait. Sans revenir sur les difficultés qu'eut en son temps Jaurès à réunir tout ce joli monde (1905 - SFIO) et l'explosion de celle-ci dès 1920 (PC - Congrès de Tours), il est assez aisé de montrer qu'unie la gauche peut accéder au pouvoir et que la fondation du PS à Epinay en 69 - même sous l'égide n'avait pas d'autre sens. 2002 en est un parfait contre-exemple et 2017 si tout devait continuer de rouler sur cette même lancée le confirmerait assurément.

Idéologique ensuite : s'il est avéré que la gauche se cherche encore d'entre un radicalisme souhaité et un réalisme depuis qu'elle aura accédé au pouvoir ( par trois fois depuis 81, soit 20 ans ) contrainte ainsi d'abandonné la posture confortable mais frustrante de l'opposition, force est de constater que les forces centripètes l'emportent sur les centrifuges et qu'entre social-libéralisme et libéralisme social les nuances demeurent souvent confidentielles pour ne pas dire homéopathiques.

Ah que la République était belle sous l'Empire
A Aulard

Voici sensibilité politique - parce que je reste convaincu qu'être de gauche ou de droite, avant de définir des postures idéologiques ou des choix stratégiques, demeure avant tout une affaire de sensibilité voire de culture - hantée par le démon de la trahison, déchirée entre ceux qui sont déjà partis, séduits par les sirènes de la modernité ou du réalisme, et tous ceux, par calcul, culture ou conviction, s'époumonent à donner un contenu au socialisme. On pourrait aisément pasticher la formule d'Aulard : oui, c'est vrai, la gauche était bien belle dans l'opposition !
La gauche existe, elle perdure et a montré à plusieurs reprises dans son histoire être capable de rebondir même quand l'étiage était au plus bas : après la fin peu glorieuse des mandats Mitterrand et surtout l'incroyable désastre des législatives de 93, alors que tout le monde doutait qu'elle pût seulement accéder au second tour, Jospin perd en 95, certes, mais avec un score honorable (47,36%) avant d'accéder au pouvoir deux ans après. Sans doute cette victoire survint-elle venue trop tôt ; sans doute la gauche n'eut-elle pas le temps, ni vraiment l'envie, de faire le bilan de ces années de gouvernement ni donc de se réinventer. Elle aurait pu le faire dans les 10 années qui suivirent. Je demeure convaincu, contrairement à la doxa dominante, qu'il était d'autres réponses que ce social-libéralisme pas même assumé, que la modernité est un cache-misère idéologique pour justifier maladroitement d'ailleurs de bien honteux renoncements mais, oui, Fressoz a raison - au moins sur ce point - la gauche désormais se déglingue de n'avoir pas su faire des choix clairs, de ne pas les avoir assumés.

Institutionnelle encore : voire constitutionnelle ! La constitution 58-62 installe un président fort, on le sait, sans pour autant revenir sur la dimension parlementaire du régime. Même si le quinquennat et la conjonction désormais systématique des deux élections, rogne - de fait - les pouvoirs du Parlement, il n'empêche qu'aucun pouvoir ne saurait être efficace sans une majorité stable et claire. La période Giscard est là pour le rappeler : avoir subi systématiquement, durant les trois gouvernements Barre (1976-81) une opposition sourde des gaullistes supposés pourtant être dans la majorité aura eu raison de le réélection de Giscard en 81. D'avoir pris sa propre majorité à rebrousse-poil en lui imposant le tournant de la politique de l'offre, aura épuisé toute possibilité de se représenter pour un Hollande, pourtant chantre du rassemblement et de l'unité.
Voici tout le paradoxe et l'ingrédient délétère de nos institutions : un parlement pas assez fort pour renverser une majorité, une majorité pas assez forte - ou courageuse - pour se faire entendre ; mais suffisamment installée au cœur du dispositif pour pourrir le fonctionnement normal des institutions. Trop faible pour être acteur plein ; pas assez pour ne pas nuire !

Institutionnelle derechef : le président est décidément la clé de voûte du système. Si la machine grippe du côté de l’Élysée, c'est tout le dispositif qui est par terre. Étonnant Hollande qui voulut, après les frasques, vulgarités et exagérations sarkozystes, essayer d'être un président normal ! Mal lui en prit ! mais est-ce bien ici que le bât blessa ? Hormis quelques instants fugaces - notamment après les attentats - jamais il ne sut s'adresser au pays, accompagner ses décisions, leur donner un sens - surtout quand elles représentaient un tournant ! Or, décidément, la dimension sacrale n'a pas délaissé la fonction. Non que l'on attendît de lui qu'il fît des miracles mais au moins qu'il incarnât le pays ! Telle est la mythologie de la Ve que l'on peut regretter ou bien dont on peut rire mais je crois qu'elle participe de l'essence du pouvoir. Voici deux mandats successifs ratés : l'un sacrifia à la démesure, le second à la discrétion modeste. Honnête homme assurément mais on ne fait pas se déplacer un peuple pour élire un gestionnaire fût-il honnête !

 

Reste un champ de ruines et j'imagine mal que six mois puissent suffire à reconstruire une gauche en capilotade ni d'ailleurs recentrer une droite qui s'égare d'avoir cru retrouver ses repères.

Pendant ce temps, au FN on mène une non-campagne discrète à souhait, comme s'il lui suffisait de regarder les autres s'écharper pour ramasser la mise à la fin.

 

 

 

 

 

 

 


1) j'avais en observant Sarkozy en 2008 esquissé quelques lignes sur le temps court et long du politique