Bloc-Notes 2016
index précédent suivant

Accueil ->bloc-notes->2015

- >2016

Un candidat en phase avec son parti, pas avec le pays

Grégoire Biseau
Libération 27 novembre

François Fillon va devoir abandonner une partie de sa radicalité revendiquée s’il souhaite rassembler au-delà de LR.


La droite vient-elle d’élire le prochain président de la République, et de choisir le programme du futur gouvernement ? Certes, jamais elle n’est apparue en si bonne posture pour l’emporter en 2017. Mais ce sera, à coup sûr, plus compliqué pour François Fillon que pour Alain Juppé. Et c’est le paradoxe de cette primaire : le député de Paris a aujourd’hui réuni son camp, mais va demain cliver le pays.

Contrairement à la primaire du PS en 2011, cette fois, c’est le ­candidat de la radicalité qui a gagné. Le maire de Bordeaux a eu poli­tiquement raison mais tactiquement tort. Anticipant la nécessité de ­rassemblement pour l’emporter au second tour de l’élection présidentielle face à une probable Marine Le Pen, il n’a pas cessé de marteler, pendant toute sa campagne, qu’une droite repliée sur son noyau dur aura plus de mal à s’imposer en 2017 et surtout à mettre en œuvre son programme si elle accède au pouvoir.

Le plus dur commence pour lui
Juppé a perdu car il a pensé que son avance dans les sondages l’autorisait à sauter la case primaire. Fillon a, lui, réussi la synthèse parfaite dont rêvait secrètement son électorat : se débarrasser de Nicolas Sarkozy et revendiquer une droite résolument à droite. Sans se préoccuper d’après-demain. La conséquence est presque mathématique : le jeu politique s’ouvre (un peu). Le programme de François Fillon est de nature à la fois à rebuter une partie du centre, à remobi­liser une gauche en morceaux et à renforcer la ligne souverainiste et étatiste de Florian Philippot au FN. Surtout, il est minoritaire dans le pays.

Le plus dur commence maintenant pour lui. Il va devoir convaincre une majorité d’électeurs qu’il est urgent d’embrasser sa ré­volution libérale et conservatrice. Certes, la droite se droitise. Certes, beaucoup de Français n’ont plus peur des solutions brutales, seuls gages, selon eux, de sortie de crise. La France rêve-t-elle pour autant de grand soir ultralibéral ? Ce sera tout l’enjeu de la campagne.

A la fois moins et plus d'Etat


Aujourd’hui, la colère sociale des Français charrie des aspirations contradictoires. Chacun peut souhaiter tout à la fois de la protection (pour eux) et de la flexibilité (pour les autres), des services publics de proximité et moins d’impôts. Une quête de liberté mais une exigence d’égalité. A la fois moins et plus d’Etat. Les principaux marqueurs du programme économique de Fillon sont plébiscités par la droite et largement rejetés par le reste du pays. Notre sondage Viavoice du mois d’oc­tobre (comme d’autres après lui) avait relevé que la suppression de «500 000 fonctionnaires», la mort de l’ISF ou l’allongement de la retraite à 65 ans sont rejetés par plus de 60 % des Français. Ils étaient même 70 % à s’opposer à une hausse de la TVA pour diminuer les charges sociales des entreprises. Des niveaux de rejet qui signent un potentiel et dangereux désaveu de la politique que veut mener Fillon s’il devait accéder à l’Elysée.

Les Français semblent d’autant moins prêts à accepter un nouveau quinquennat d’effort qu’ils sortent de dix ans de rigueur et que le pouvoir socialiste devrait laisser derrière lui des finances publiques largement assainies. La tripartisation de la vie politique française impose désormais une nouvelle règle d’or : le représentant de chaque camp (droite, gauche et Front national) a, de fait, les deux tiers des Français ­contre lui. En toute logique, Fillon devrait donc profiter de ces quelques semaines pour arrondir les angles de son programme et se recentrer avant d’entamer sa cam­pagne présidentielle. Mais ce serait alors revenir sur son serment de radicalité et d’intransigeance qui a été sa marque de fabrique politique. En clair, se renier.