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- >2016
Parasite
rhizomes d’un système institutionnel à bout de souffle
Pouria Amirshahi
Je l'ai évoqué à plusieurs reprises déjà - dont ici - mais voir un député renoncer à se représenter demain parce qu'il juge le système bloqué a manifestement de quoi faire réfléchir. Que cette crise soit à plusieurs étages ne fait pas l'ombre d'un doute et c'est ce qui en constitue l'extrême gravité :
crise économique endémique que personne n'aura vraiment réussi à endiguer depuis 73 : qu'elle favorise toutes les forces centrifuges se constate à chaque instant : le délitement du tissu social aura fini par rompre les traces de la plus élémentaire solidarité - ce qu'à l'extérieur l'incapacité des européens à traiter convenablement la question des migrants est une illustration aussi déplorable que délétère.
- crise institutionnelle provoquée, mais on n'en constate les effets dévastateurs que depuis deux mandats, à la fois par le quinquennat et par l'inversion du calendrier qui prive le système de tout contre-poids ou alternative et réduit par ailleurs le rôle du parlement à une portion encore plus subalterne que celle que lui avait réservée de Gaulle
- crise des partis qui se sont vus progressivement dépossédés de leurs prérogatives programmatiques au profit des think tank, de la désignation de leurs candidats au profit des primaires - qui se résument à des grosses machines électorales ayant cessé depuis longtemps d'être des partis de masses pour n'être presque plus que des groupes de pression. La Constitution les avaient déjà écornés en ne leur attribuant plus que le rôle de contribuer à l'expression de la volonté publique - on atteint désormais la vacuité.
- crise politique due en partie mais en partie seulement au manque de charisme de Hollande. Assurément ce dernier, voulant prendre le contre-pied de l'hyper-présidence de Sarkozy, aura manqué ce qui fait l'essence de la Ve : un mixte d'efficacité militaire et d'héroïsme magique. A avoir voulu contrefaire l'ordinaire, il parut simplement médiocre. N'est pas Queuille qui veut !
- crise idéologique : ce troisième passage de la gauche au pouvoir - après la double période mitterrandienne 81-86 puis 88-93 et la cohabitation Jospin 97-2002 - aura été l'occasion d'un virage idéologique d'autant plus désastreux que non avoué. On sera passé de la pause ou de la parenthèse de 83, à la social-démocratie de 97, puis enfin au social-libéralisme. Je veux bien que l'on nomme cela modernisation - c'est le terme préféré des journalistes qui n'imaginent pas le socialisme autrement que comme un résidu archaïque du XIXe, qui présupposent ainsi qu'il n'y ait pas d'autre voie que celle libérale du consentement au système - pour autant un tel changement idéologique ne peut qu'être dévastateur dès lors qu'il n'aura été ni débattu, ni même avoué. Les crispations, à l'intérieur même du PS, autour de la politique de Macron et de la figure de Valls, en témoignent ainsi que de l'impuissance dans un tel système de pouvoir faire bouger les lignes ne serait ce qu'à la marge. Et je n'évoque même pas l'incapacité à prendre le virage de la transition écologique qui aurait pourtant pu être une aubaine idéologique autant que politique. L'aurait dû.
Dans toute société, se rassemblent des individus qui nourrissant des projets alternatifs se rassemblent pour les porter. C'est une des gloires de la République, d'ailleurs, que d'avoir su le rendre possible via la loi de 1901. Mais il est grave que ceux-ci, que l'on nomme parfois les forces vives de la Nation, répugnent soudain à emprunter la voie politique pour lui en préférer d'autres. C'est là signe de cette crise non point seulement politique mais républicaine. Le déni du politique a achevé de dérouler ses effets pathogènes. Ce corps est malade, autant celui social que politique.
Nous voici parvenus à ce point si particulier où tous les intermédiaires supposés faire fonctionner le système, où les relais censés transmettre, forment subitement blocage. Où le traducteur se fait traître. Rien n'est plus passionnant que ce moment-ci qui constitue la bordure où peut basculer le politique.
Je l'ai évoqué dans ces pages, intitulé Du peuple : l'histoire montre en tout cas que ne manquent jamais de surgir des bourrasques quand le peuple a le sentiment - justifié ou non - que l'instance représentative ne remplit pas son rôle, ou, pire encore, joue son propre jeu.
Nous y sommes !
Je ne suis pas sûr qu'une réforme constitutionnelle permette demain de résoudre la question, quand même elle soit indispensable. Il y faudrait préalablement, mais sans doute surviendra-t-elle, auparavant, imprévisible, au risque d'être dévastatrice, une mue idéologique. Théorique.
Je demeure convaincu que nous n'avons pas - plus - les outils théoriques pour penser le monde de demain et le type de société que nous voulons, pouvons encore construire. Je répugne néanmoins à penser que, pour trouver sa source au XIXe, le socialisme fût une idée archaïque. J'ai toujours supposé que ce fût du côté de Jaurès qu'il faudrait chercher , lui qui tenta l'improbable synthèse qui le tint à l'écart du dogmatisme de Guesde. Mais, ce m'est une certitude, la voie ne saurait être seulement militante quelques légitimes fussent les bonnes volontés ; l'effort devra être théorique pour pouvoir affronter les périls en partie inédits qui montent.
Les élections de 2012 auront montré, de manière plutôt classique, qu'à côté de la gauche réformiste, même brouillonne, même divisée, subsistait une gauche radicale qui, désormais peut se proclamer gauche tout court tant l'autre aura déserté ses rives natives. Elle n'est qu'une partie de la réponse mais il n'y aura pas d'avenir sans elle qui est la seule à pouvoir demain lutter contre la peste brune même si elle n'est pas bien armée encore pour affronter la transition écologique.
Ce peuple, décidément, a besoin d'espérances et je ne pardonne pas à cette gauche tellement conventionnelle, si empêtrée dans ses illusions technocratiques, trop prise aux pièges de ses préjugés de classe, d'avoir tant désespéré le peuple qu'aujourd'hui celui-ci, déprimé, sans issue visible, se mette à trébucher à toute dignité en s'apprêtant à se vendre à l'extrême-droite. Quand la gauche ne rime plus avec espoir, alors montent les périls.
Je n'en veux même pas à Hollande qui, en petit monsieur, se sera contenté de gérer, qui n'avait rien promis et d'ailleurs n'aura finalement rien tenu : il est à la mesure médiocre des temps et de cette caste qui s'est appropriée la Nation comme autrefois les édiles giscardiens le firent. Qui a oublié le ridicule Au revoir d'un Giscard d'Estaing incapable de comprendre qu'on l'eût désavoué ? ou d'un Chirac qui parla deux années durant de l'expérience socialiste comme si l'arrivée de la gauche au pouvoir ne pouvait être qu'un accident de l'histoire et résulter d'un profond malentendu ! Autre temps autre mœurs ? Pas vraiment : sans doute se la jouait-on alors sur l'air de la rupture : Mitterrand avait appris en 71 à parler socialiste ; sans plus !
Sans doute étions nous sots, ou bêtement naïfs, ou joliment rêveurs d’imaginer que quelque chose de radical pût surgir d'un suffrage électoral si magnifique fût-il après les vingt-trois années gaulliennes ... Pour autant, je le crois, ces années ne furent pas vaines, même si décevantes, qui apportèrent leur lot de réformes. Sans doute, quelque chose se sera perdu, dans le passage à l'acte de pouvoir : les soirs ne sont grands et beaux que rêvés. Mais cette génération qui s'étonnait encore de se retrouver dans les palais dorés de la République n'avait pas encore oublié d'où elle venait. 20 années d'exercice du pouvoir auront balayé presque tout de cette générosité initiale. Restent des édiles, coupés de tout, affairés de leur propre suffisance. Tristement et bourgeoisement banalisés.
Le pouvoir, décidément, abîme.
Il est temps sans doute de reprendre les choses en main ! Grand temps même.