Bloc-Notes 2017
index précédent suivant

Accueil ->bloc-notes->2015

- >2016

Fillon le pénitent ou le grand retour de Tartuffe

Comment réussir quand on est, tel celui-ci, fils de notaire dans un département improbable - la Sarthe - qui semble n'avoir été créé que pour servir d'antichambre même pas ornementale, de vain vestibule vers la douceur angevine ? Contrée ingrate, hormis sans doute, au Sud, mais qui appartient déjà au Maine, la délicieuse ville médiévale de La Flèche qui vit en son temps passer un jeune Descartes s'épuiser à conquérir un savoir déjà dépassé ; région de forêts et d'élevage qui ne brilla jamais que pour de bien trop grasses charcuteries glorifiées en son temps par quelque sarcasme publicitaire et assurément pas par des gloires locales. Ah si quand même : j'allais oublier cet improbable Aventin à la gloire vaine et sotte de l'automobile …

Peu de gloires locales, vraiment si peu : Joseph Caillaux, connu encore pour les frasques assassines de sa femme, pour avoir inventé l'impôt sur le revenu, essuyé les foudres vengeresses de Clemenceau durant la 1e guerre mondiale et enfin, plus tard, pour avoir provoqué à deux reprises au Sénat - où sa morgue l’avait reclus - la chute du cabinet de Front Populaire de Léon Blum. Rien de bien reluisant.

César déclarait préférer être le premier dans son village que le second à Rome : aimable formule pour qui renversant la république fut - et de quelle manière - le premier en son temps, qui donna son nom à tous les empereurs qui suivirent et assura lui-même sa gloire posthume en publiant ses hauts faits d'armes. Non décidément ! demeurer le premier en quelque boueuse bourgade sarthoise dut ne pas être si désirable que cela pour ce fils de notable cossu dont la vocation pas même sociale ne fut jamais que d'authentifier, en y prélevant sa dîme, les affaires, petites ou grandes, sordides ou banales de ses pairs en bourgeoisie replète.

On dit souvent qu'il faut être un tueur pour se hisser en politique, un chasseur ou un carnassier. Il y a quelque chose chez cet homme, qui se terre sous la falote piété du fidèle tout affairé à concéder les signes ostentatoires de la profondeur dont il espère quelque subside de respect sinon d'admiration, quelque chose, oui, du chasseur ; du prédateur sans doute. Il ne détesterait pas nous laisser accroire que son royaume n'est pas de ce monde et adopte aisément la posture du thaumaturge qui seul saurait, parce qu'il en eût reçu la mission, sauver le pays de ses périls sans lui dirimants et assurer le destin de la Nation. Il a un programme assurément, minutieux, cohérent ; en réalité dogmatique. Il y égrène avec une méticulosité effrayante chaque perle d'un dogme d'autant plus fervent qu'il ne supporte aucun écart, nulle adaptation et que tout arrangement qu'on y mettrait équivaudrait à une trahison, une lâcheté - pire même un blasphème. A n'y pas regarder de trop près, on pourrait y voir un mystique de la politique balayant tout sur son passage pour prix du triomphe de la règle et de l'avènement, enfin, de la Cité de Dieu.

C'était par-dessus tout un opiniâtre. Il se servait de la méditation comme on se sert d'une tenaille ; il ne se croyait le droit de quitter une idée que lorsqu'il était arrivé au bout ; il pensait avec acharnement.
V Hugo, Quatre-vingt treize

Las ! on ne s'extirpe pas si aisément de la grisaille poussiéreuse de l'étude notariale ; on ne tergiverse pas impunément entre autel et glaive, entre sabre et goupillon, pour aller finalement, dos voûté et plume acérée, sur quelque contrat s'affaler et scruter l'ultime anicroche à déjouer qui lui vaudrait l'estime et la reconnaissance des notables du cru. On aura beau concéder aux temps et à la couleur locale une dilection pour la mécanique automobile, la glaise et la poussière collent aux semelles : elles ont un nom - bourgeoisie de province ! Oui, on se demande vite si ne s'appliquerait pas à cet homme ce qu'Hugo affirmait de Cimourdain.

Le fils et ses frères s'écartèrent bien vite de cet ombrageuse antre à mesquineries mais - d'un peu - d'école publique à établissement confessionnel, embrassèrent tous solides carrières bourgeoises quitte à concéder quelque lâche soulagement à leurs rêves d'enfants en sacrifiant à l'automobile le peu de passion dont ils furent capables.

Des études de droit - porte d'entrée universelle pour qui bénéficie de quelque entregent - et le voici, fruit de quelque conviction politique sans doute mais d'autant de recommandation opportune sans doute, assistant parlementaire - tiens déjà - de J Le Theule solidement arrimé sur sa circonscription. La mort brutale de ce dernier lui ouvrira en 81 la porte de la députation. Le voici benjamin de l'Assemblée, malheureusement au moment malencontreux où la gauche accédait au pouvoir mais tout vient à qui sait attendre ! il était assez jeune pour savoir patienter. L'affaire était bien emmanchée : il ne quittera la circonscription qu'en 2012 pour Paris, la devinant menacée par la gauche qui l'emportera effectivement.

Bon appétit, messieurs ! –
Tous se retournent. Silence de surprise et d'inquiétude. Ruy Blas se couvre, croise les bras, et poursuit en les regardant en face.
Ô ministres intègres !
Conseillers vertueux ! Voilà votre façon
De servir, serviteurs qui pillez la maison !
Donc vous n'avez pas honte et vous choisissez l'heure,
L'heure sombre où l'Espagne agonisante pleure !
Donc vous n'avez ici pas d'autres intérêts
Que remplir votre poche et vous enfuir après !
Soyez flétris, devant votre pays qui tombe,
Fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe !
– Mais voyez, regardez, ayez quelque pudeur.
V Hugo, Ruy Blas, III, 2

Mais derrière l'homme qui arbore volontiers sa main sur le cœur comme pour mieux arguer de sa (bonne) foi, sous la virginale posture de l'intégrité prompte à fustiger chez les autres la moindre séquelle de corruption, l'ultime tentation de concussion, sous la panoplie de vertu dont il a fait, pire qu'un programme, un reproche vivant, oui sous cette aimable comédie qu'il dut bien un peu avoir répétée et répétée encore pastichant effrontément Hugo- oui, encore, ici dans Ruy Blas, il y a, en réalité, l'ombrageux qui se camoufle derrière quelque futaie, prompt à s'élancer sur la proie qu'il s'est choisie, l'atrabilaire qui veut bien contrefaire la charité mais répugne à rien partager d'autre que de vaines paroles ou images, le suspicieux invétéré qui soupèse et soupèse encore, compte par ce que dans ces milieux-là l'on ne sait faire que cela, la sincérité de l'appui et la probabilité de la trahison à venir ; le taciturne qui mégote son temps de parole pour ne se consacrer qu'aux discours de vérité !

Qui a oublié, aux tout débuts de son gouvernement en 2007, son je suis à la tête d'un État en faillite ? Volontiers Cassandre, à l'apocalypse facile, aisément donneur de leçons, rétif, on le sentit assez vite, à la vulgarité ostentatoire et tapageuse de son bling bling de Président, il escompta manifestement sortir par le haut et la vertu dont il allait faire sa marque de fabrique du piège où il s'était mis de servir un président au tapage facile, mais de la nasse aussi où ses provinciales origines n'allaient pas manquer de l'engluer.

Il faut regarder l'homme : sa foi peut bien être sincère - pourquoi en douter ? - il n'empêche qu'en bon bourgeois qu'il ne sait pas ne pas être, il s'en servira comme d'une arme, d'une armure , d'un étendard. Cet homme-là est un guerrier, à la triste figure sans doute : il a quelque chose à se faire pardonner. Quoi ?

Le regard par en dessous projeté tel un vulgaire adolescent qui n'aurait pas oublié ses misérables et conformistes révoltes - doit on mentionner que l'une de ses rares manifestations de jeune homme fut pour revendiquer le renvoi d'un enseignant qu'il estimait incompétent ? - le sourcil obliquement relevé, la moue moins perplexe qu'ourlée de complots à ourdir ou à déjouer, l'homme ne parait jamais vouloir s'en laisser compter ni laisser écorner le lisse profil de gendre idéal.

Aurait-il quelque chose à cacher ? Non ! ah si quand même : sous l'homme de Dieu, ivre de salut et de rédemption, pointe, plus trivial, le bourgeois de province , âpre au gain, et qui, s'il s'engage à ne pas servir deux maîtres à la fois, nonobstant fut toujours trop naturellement assis sur ses certitudes et une - pas toujours discrète - opulence pour ne pas considérer comme un signe d'élection et un hommage obligé, toutes ces portes qui s'ouvrent si aisément, ni ces espaces cossus où se repaître et retirer. Il est en son fief comme un seigneur d'autrefois, tenant terre et identité de la main de Dieu, d'un côté et de l'autre, des règles d'un monde que le croquant ordinaire ne saurait ni comprendre ni faire fructifier.

Il s'installe en ses terres comme en son dû : tout autre eût acquis quelque villa cossue, certes, mais à l'image d'une notabilité somme toute assez ordinaire en quelque centre ville de la sous-préfecture …

Pas lui !

Un manoir, un château, lit-on sur les registres du cadastre, lui seyait au mieux. Et ceci en dit long non tant sur l'ambition que sur les traces honteuses, presque méprisables, de bourgeoisie ordinaire que ce triste sire, désemparé de n'être pas de naissance noblement caparaçonné, cherche désespérément à effacer. Il faudrait un Balzac ou un Daumier pour dessiner portrait du bourgeois dont cet homme ne parvient décidément pas à gommer les stigmates. Coincé entre une aristocratie à quoi il rêve d'appartenir mais qui le répudiera sempiternellement d'un coup de pied sarcastique ou méprisant et d'autre part ce peuple d'où il est issu mais dont obstinément il se démarque en se calfeutrant derrière les grilles et murailles de son opulence toute neuve, imitateur replet de certitudes et de suffisance d'une noblesse qu'il ne parvient pas même à caricaturer, le bourgeois, empressé - telle une catin sachant ses attraits éphémères - de faire fructifier son misérable pécule, court d'un seul tenant à simplement s'asseoir. Position, situation : les maîtres mots de l'inconscient bourgeois !

Est-ce le respect qu'il quête ? Non, mais la respectabilité parce qu'il est obsédé par les convenances, les apparences. Il donnera ainsi des gages à sa piété contrefaite : le culte de la famille, de nombreux enfants - au moins quatre puisqu'il faut croître et multiplier - on honorera la mère en l'épouse mais on l'aura, quand même, préalablement cantonnée dans les tâches ordinaires du foyer ; on exhibera à l'occasion - mais discrètement pour ne pas faire people - les enfants surtout pour faire nombre et signaler aux foules ébahies qu'on aura bien sacrifié aux exigences bibliques. S'il y a quelque arrangement possible, il demeurera dans le cercle étroit de la famille : il faut bien assurer une position à sa descendance ! Mais chut ! ceci restera discrètement murmuré aux tréfonds du parc de six hectares, à l'ombre des murs et du portail.

Chez ces gens-là, toujours s'entremêlent en un délicieux, mais pas honteux pour autant, concubinage de culpabilité originaire et d'ambition messianiquement consacrée, la certitude d'une position à quoi il faut tout sacrifier ; l'assurance trempée par des générations de réussites mais mâtinée de ce corset de devoirs intangiblement imposés par la grâce ; mais enfin, mais surtout, la conviction chevillée au corps, bien plus qu'à l'âme, que le salut viendra de l'effort - de préférence celui des autres … Il faut bien faire payer au peuple d'en être le surgeon honteux même si on fera toujours tout pour l'occulter. Il faut lire son programme : s'y trouve, pas même subliminal, quelque chose du lointain écho du Vous souffrez, vous souffrirez encore du Pétain de Juin 40.

Tout chez cet homme signale qu'il n'est pas comme nous ni de notre monde et que donc les règles vulgaires ne sauraient s'appliquer à lui, ni en tout cas de la même manière que pour nous. Son ambition ? D'être à part et bientôt au-dessus !

C'est bien ceci qui est pathétique chez cet homme : il ne comprend pas. Il est d'un autre monde que des siècles de suffisance ont protégé à l'écart de tous et de tout, signe ostensible d'une grâce et d'une position. Telle est, au reste, la signature du bourgeois : la sécheresse de cœur. Les belles paroles de charité, d'amour ou de solidarité resteront toujours encastrées à la commissure de leurs lèvres pudibondes ni ne s'échapperont de leurs chapelles privée. Aimer son prochain ? Soit mais de là à le côtoyer sûrement non ! Ne lui fait-on pas déjà l'honneur d'assister avec lui à la même messe ? Ne lui fit-on pas, déjà, l’aumône de sa présence et s'il le faut vraiment, de quelque pièces ou œuvres patronnesses ? On veut bien, puisqu'il le faut, puisqu'on est en République, solliciter ses suffrages mais de là à s'en croire le mandataire … A-t-on oublié que seuls devoir, travail et obéissance demeurent la voie royale pour se faire pardonner la culpabilité originelle ? Sous l'homme qui se signe humblement à la messe, il y a du Bossuet - celui-là même qui avait justifié l'obéissance absolue au monarque par la malignité des hommes.

Ces gens-là, décidément, ont bien compris ce que privilège signifiait : cette loi, privée, particulière, qui ne saurait engager que les élus, ceux, les meilleurs, que l'on a placés, ici, pour guider les croquants. On comprend mieux le score invraisemblable obtenu à la Primaire : il signalait le retour en force de cette bourgeoisie rance et rancunière, arc-boutée sur son catholicisme et ses positions sociales, sûre d'elle-même et des chemins de croix, des pénitences à infliger.

Alors fi des petits arrangements ou de pseudo-scandales ! A savoir s'y prendre correctement, l'entêtement finira bien par revêtir les atours d'un chemin de croix et l'ambition élyséenne pour un pieux devoir.

Ne frappez pas trop sur l'animal - en tout cas ne croyez pas trop pouvoir ainsi l'abattre. Il y prendrait plaisir - inavoué, s'entend ! Le catholique en lui aime la souffrance, les plaies béantes ou les cicatrices purulentes où il verra toujours signes prometteurs d'un ministère divin !

Pauvres de nous !