Bloc-Notes 2017
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Il y a 100 ans : St Pétersbourg

Ce documentaire sur Arte hier soir retraçant la révolution russe qui allait en deux temps amener les soviets au pouvoir et présider à la naissance de l'URSS, une histoire qui allait marquer à plusieurs titres le XXe siècle mais dont, à bien y regarder il ne reste rien ou presque. Ce mastodonte qui pourra prétendre les longues années de la guerre froide au statut de superpuissance et qui semblera, aux yeux du monde dit libre, une aberration mais surtout une horreur politique, sur la survie de quoi personne en 17 n'aurait parié, que personne ne compris d'ailleurs sur le moment tant les yeux portaient ailleurs - il y avait une guerre à poursuivre - que beaucoup s'acharneront à ruiner en excitant tous les ferments de guerre civile dans les années vingt … s'effondrera pourtant tout seul comme si sa monstrueuse protubérance avait fini par avoir raison de lui.

Deux toutes petites réflexions au détour de ce docu :

Qu'elles sont loin de nous désormais les interprétations empreintes des principes de la philosophie de l'histoire - que ce fût Hegel, Marx, Comte ou l’École des Annales - où il s'agissait de sonder les entrailles de la société - forces productives, rapports de production - pour tenter ce qui agitait la ligne de flottaison. Jamais de si gros événements touchant l'appareil d’État, l'idéologie, les mentalités ne semblèrent pouvoir résulter d'autre chose que des contradictions agitant l'infrastructure et les grands acteurs de l'histoire ne le seraient que d'avoir su saisir les occasions offertes par le vent de l'histoire. Or, ici, certes, la volonté est bien de dénouer les mythes, parfois savamment construits par la propagande notamment, mais aussi tout simplement par ce qu'il est convenu désormais de nommer récit national.

C'est le mythe Lénine que le documentaire cherche à déconstruire : on en reste presque uniquement dans le registre psychologique d'un homme obsédé par son idée fixe d'insurrection et de vengeance sourde de la mort de son frère, d'un homme mis à l'écart et en exil et qui serait à peu près systématiquement passé à côté de l'événement et n'aurait du la réussite finale qu'à un concours de circonstances qu'il n'aurait su ni prévoir, encore moins orchestré.

Que l'URSS naissante eut besoin de construire sa saga, et donc besoin de héros, c'est incontestable et l'utilisation notamment des films d'Eisenstein mais aussi de la propagande, de la retouche des photos y ait pourvu, nul ne le discute. Il ne faut jamais oublier que l'histoire est toujours, plus ou moins consciemment la reconstruction du passé à partir des schémas dominants du moment - la seule différence avec la politique est que cette dernière est reconstruction de l'événement à partir de ses intérêts propres.

L'histoire est donc en elle-même le récit de cette construction du mythe, mais dans cette que l'on nous raconte comme si l'on avait découvert un secret enfoui depuis toujours, apparaît avec une évidence cruelle combien désormais, il n'est plus question que de l'acteur et non plus de l'événement ; de petite psychologie un peu enfantine.

 

L'autre réflexion tient au côté insaisissable de tout moment révolutionnaire. Que ce soit en 1789, 1792 ou 1917, à chaque fois le même enchevêtrement de causes qui, certes, s'appuient sur un mouvement populaire, bien sûr sur un pouvoir fragilisé, mais qui à chaque instant menacent de tourner autrement. Que ce soit révolution ou circonstance, ces mots disent le contour, l'orbe bien plus que la rupture. Il y a peut-être quelque vanité à vouloir s'en tenir à la lecture dialectique qui veut toujours que de la confrontation naisse un troisième terme qui poursuive le processus : en réalité demeurent seulement la logique de la confrontation et les jeux d'esquive, de contorsion, de retournement de situation. On y pare les coups en se retournant, on y déplace les forces pour qu'elles fassent tourner la roue plutôt que s’annihiler en s'opposant ; demeure, impériale, la logique du pouvoir. Alexandre et Diogène jouent la même partition. Tout n'est affaire seulement que de juste position, d'habile disposition. Ce n'est jamais qu'après coup que l'événement présente une cohérence : sur le moment, une spirale folle. Chacun croit pouvoir en arrêter le cours mais n'en scrute pourtant qu'un tout petit entrebâillement. Qui perd ? le peuple, le plus souvent ! qui gagne ? celui qui après coup, raconte. Le vainqueur est celui qui raconte : le politique n'est qu'affaire de discours, c'est pour cela qu'il se pique si souvent d'écrire le roman national.

Il y a bien une martingale !

Alors simplement cette constatation : que tours ou détours, stances ou circonstances, évolution ou révolution, l'histoire toujours tourne court : tragique ? oui peut-être ! il faut être bien enthousiaste en tout cas pour espérer jamais que chantent bientôt les lendemains ; bien désespéré pour imaginer qu'on ne puisse pas au moins un petit peu rompre la vieille chanson qui berçait la misère humaine. Ce n'est jamais qu'affaire de regard : tourner autour, regarder et raconter autrement, c'est vrai, selon, la bouteille paraîtra toujours mi-pleine ou vide.

Alors seulement, ne pas être dupe : c'est un récit ; il en est d'autres. Tous ne se valent pas.