Il y a un siècle....

L'Allemagne encerclée...
Prinz von Bülow
chancelier du Reich de 1897 à 1909.



"Nous étions encerclés. Notre voisin occidental, le peuple français, est le plus agité, le plus ambitieux, le plus vaniteux de tous les peuples d'Europe et, dans la pleine acception du terme, le plus militariste et le plus nationaliste. Depuis la dernière guerre franco-allemande, nous en sommes séparés par un fossé, dont un éminent historien français m'écrivait qu'il était absolument infranchissable. À l'est, nous sommes entourés de peuples slaves, pleins d'aversion pour les Allemands qui les ont initiés à une civilisation supérieure; ils les poursuivent de la haine méchante qu'un écolier récalcitrant et d'instincts brutaux éprouve pour un précepteur sérieux et digne. Ceci s'applique aux Russes, davantage aux Tchèques et surtout aux Polonais, qui revendiquent une partie de l'Allemagne orientale.

Les relations entre Allemands et Anglais ont varié au cours des siècles. John Bull daignait favoriser et protéger son pauvre cousin allemand, et même l'employer, de temps en temps, à quelque grosse besogne, mais il ne voulait pas admettre qu'il eût les mêmes droits que lui. Au fond, personne ne nous aimait. Cette antipathie était ancienne, mais la jalousie que suscita l'oeuvre de Bismarck, la puissance et la richesse de l'Allemagne l'avaient singulièrement augmentée. Ce manque de sympathie avait encore une autre cause : notre mépris de la forme. Déjà le philosophe grec avait fait remarquer que la grande majorité des hommes ne jugent des choses que sur l'extérieur et non d'après le fond ; mais cette façon de penser et de sentir était difficile à comprendre pour l'Allemand sérieux, grave, allant toujours au fond des choses et trop indifférent à leur apparence."

Mémoires du Chancelier-Prince de BULOW, tome II, Plon, Paris, 1931.

 

Mémoires , T. III. Plon, 1931.

 

"La plupart des gens que je rencontrai dans les jours qui suivirent étaient enclins à considérer la tragédie de Sarajevo comme un débarras. Le comte Szoegyényi, ambassadeur d'Autriche, serviteur profondément loyal des Habsbourg, fils d'un chevalier de la Toison d'or, lui-même chevalier de cet ordre, me dit, lorsque je lui fis mes condoléances, que, comme chrétien et gentilhomme hongrois, il déplorait la destinée de l'archiduc et de sa noble épouse ; mais que politiquement l'élimination de l'héritier de la couronne lui semblait " une grâce de la Providence ". Le caractère passionné de l'archiduc, sa haine contre les Magyars, sa prédilection aveugle pour les Tchèques et les Slaves du sud, son cléricalisme outré auraient pu entraîner des secousses graves et peut-être la guerre civile. A l'extérieur, son fanatisme, son emportement et son entêtement en auraient fait un allié incommode. Requiescat in pace , conclut avec onction l'ambassadeur impérial et royal..."

 

Sur le traité de Versailles

Jamais n'a été infligée à un peuple, avec plus de brutalité une paix aussi accablante et aussi ignominieuse qu'au peuple allemand la paix honteuse de Versailles. Dans toutes les guerres des derniers siècles, des négociations entre vainqueur et vaincu avaient précédé la conclusion de la paix. (...)

Mais une paix sans négociations préalables, une paix dictée comme celle de Versailles, est aussi peu une vraie paix qu'il n'y a transfert de propriété quand un brigand renverse à terre un malheureux et le contraint ensuite à la lui remettre son porte-monnaie.

La paix de Versailles nous a ravi plus de soixante-dix mille kilomètres carrés et plus de sept millions d'habitants.

(...) Pour garder le géant enchaîné, on a mis deux sbires à ses flancs, la Pologne et la Tchécoslovaquie, qui ont reçu le droit, conservé aussi par les Etats vainqueurs, d'augmenter librement leurs forces militaires, tandis que notre armée, autrefois la plus forte et la plus brave du monde, était réduite à n'être qu'une force de police à peine suffisante; pour maintenir l'ordre intérieur."

BÜLOW, Mémoires, t. 3. Plon, 1931.