Il y a un siècle....

Le « Programme pour la paix » de Bethmann-Hollweg (septembre 1914)

 

 

1° France. L’état-major aura à décider s’il est nécessaire d’exiger de l’ennemi la cession de Belfort, du versant occidental des Vosges, le démantèlement des fortifications et la cession d’une bande côtière, de Dunkerque à Boulogne. Elle devra en tout cas nous céder le bassin de Briey, son minerai étant nécessaire à notre industrie lourde. De plus, elle devra verser une indemnité de guerre payable par fractions : celle-ci sera assez forte pour que la France ne puisse songer, pendant quinze à vingt ans, à consacrer des moyens importants à son réarmement. Enfin, un traité de commerce plaçant la France sous la dépendance économique de l’Allemagne, qui en fasse une zone d’exportation de nos produits et nous permette d’évincer le commerce anglais en France. Ce traité devra nous assurer toute liberté d’action financière et industrielle en France et empêcher toute différence de traitement entre entreprises françaises et allemandes.

2° Belgique. Annexion de Liège et de Verviers à la Prusse ; remise d’une partie de la province belge du Luxembourg au grand-duché de Luxembourg. L’annexion d’Anvers et d’un couloir d’accès reliant cette ville à Liège n’est pas certaine. En tout cas, si la Belgique garde apparemment son indépendance, elle deviendra un Etat vassal, devra reconnaître à l’Allemagne un droit d’occupation militaire de ses ports, mettre à sa disposition la côte belge pour des fins militaires et devenir, économiquement, une province allemande. Cette solution, qui présente les avantages de l’annexion sans ses inconvénients en politique intérieure, permettra d’annexer à la Belgique la Flandre française avec Dunkerque, Calais et Boulogne. Les autorités militaires auront à juger de la valeur stratégique de cette position en face de l’Angleterre.

3° Le Luxembourg devient un Etat confédéré allemand, reçoit une partie du Luxembourg belge et, éventuellement, le triangle de Longwy.

4° Il faut créer une union économique de la Mitteleuropa par des accords douaniers communs avec la France, la Belgique, la Hollande, le Danemark, l’Autriche-Hongrie, la Pologne et, éventuellement, l’Italie, la Suède et la Norvège. Ce groupement, probablement sans couronnement institutionnel commun, avec égalité extérieure de droits pour ses membres mais effectivement sous direction allemande, doit stabiliser la prépondérance économique allemande dans la Mitteleuropa.

5° La question des acquisitions coloniales, et particulièrement la création d’un empire centre-africain allemand, ainsi que celle des buts de guerre en Russie, seront traitées plus tard. Comme base de futurs accords économiques avec la France et la Belgique, il sera nécessaire de trouver une formule provisoire, convenant à une éventuelle paix préliminaire.

6° Hollande. Il faudra également étudier les moyens de lier plus étroitement la Hollande à l’Allemagne. Cette liaison ne devra donner à la population hollandaise aucune impression de contrainte. Rien ne devra être changé à la vie de ce pays, ni lui imposer des charges militaires accrues. Elle devra garder son indépendance apparente, mais devenir en réalité dépendante de nous. On pourra peut-être envisager un pacte d’alliance offensive et défensive incluant les colonies, en tout cas une union douanière étroite, éventuellement la cession d’Anvers à la Hollande contre la reconnaissance à un droit d’occupation par l’Allemagne des fortifications d’Anvers et de l’embouchure de l’Escaut. »

Document resté confidentiel. Publié par l’historien Fritz Fischer dans Les Buts de guerre de l’Allemagne impériale (Griff nach der Weltmacht ; Die Kriegszielpolitik des kaiserlichen Deutschland, Düsserldorf, Droste Verlag, 1961).