Il y a un siècle....

Lettre de Stresemann au Kronprinz (7 septembre 1925)

 

 

« ... Voici posée la question de notre entrée dans la Société des Nations. À mon avis, la politique de l'Allemagne a, pour le prochain avenir, trois grands buts. D'abord la solution de la question rhénane dans un sens tolérable pour l'Allemagne et l'assurance de vivre en paix, sans quoi l'Allemagne ne pourra pas recouvrer toutes ses forces. En second lieu, la protection des dix à douze millions d'Allemands qui vivent maintenant sous le joug étranger. Troisièmement, la rectification de nos frontières orientales, reprise de Dantzig, du corridor polonais et modifications du tracé de la frontière de haute Silésie. À plus longue échéance, rattachement de l'Autriche à l'Allemagne, bien que je me rende compte que ce rattachement ne soit pas de nature à n'apporter à l'Allemagne que des avantages, car il compliquera beaucoup le problème de notre organisation.

Si nous voulons atteindre ces buts, il faut faire converger vers eux nos efforts. De là le pacte de sécurité qui doit nous assurer la paix, notre frontière ouest étant dorénavant garantie par l'Angleterre et même, si Mussolini se met de la partie, par l'Italie. Ce pacte comportera de notre part un abandon, en ce sens que nous renonçons à un conflit armé avec la France pour reconquérir l'Alsace-Lorraine; mais cet abandon n'a qu'un intérêt théorique puisqu'en fait, nous n'avons aucune possibilité de faire la guerre à la France...

... Entrer dans la SDN ne signifie pas que nous options pour l'Ouest en tournant le dos à l'Est. On ne peut opter que quand on a derrière soi une force militaire. Malheureusement nous ne l'avons pas. Nous ne pouvons, ni être le mercenaire au service de l'Angleterre sur le continent, comme le croient certains, ni nous prêter à une alliance avec la Russie. Chercher les bonnes grâces du bolchevisme me paraît une utopie dangereuse. Si les Russes s'installent à Berlin, il commenceront par arborer sur le château le drapeau rouge; puisque la Russie souhaite la révolution universelle, elle sera très heureuse d'avoir bolchevisé l'Europe jusqu'à l'Elbe et donnera le reste de l'Allemagne en pâture à la France. Nous sommes d'ailleurs parfaitement prêts à nous entendre sur une autre base avec l'État russe, qui, je crois, n'est pas au bout de son évolution, et nous n'avons pas du tout l'intention de nous vendre à l'Europe occidentale en entrant dans la SDN; c'est un fait au sujet duquel je serais heureux de m'entretenir un jour verbalement avec Votre Altesse impériale. Mais l'essentiel est le premier des points que j'énumérais tout à l'heure, la libération de notre sol, la disparition des troupes d'occupation; il faut tout d'abord que nos étrangleurs lâchent prise; c'est pourquoi la politique allemande devra pour commencer suivre la formule que Metternich, je crois, adoptait en Autriche après 1809 : finasser et se dérober aux grandes décisions. »

in Les papiers Stresemann, Paris, Plon, 1932, t. II.