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- >2016
Abîmes …désastres et dérives
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Je sais bien que rien, jamais, ne fut inscrit dans le marbre un an avant les échéances mais s'il est trop tôt pour augurer des résultats de l'an prochain, il est déjà presque trop tard pour commencer un premier bilan de ce quinquennat.
Souvenons-nous : une gauche qui détient toutes les grandes villes : presque toutes les régions ; une grande majorité de départements ; majoritaire à l'Assemblée, mais, fait inédit sous la Ve, aussi au Sénat ! Une présidentielle gagnée avec un score honorable mais pas explosif, c'est vrai. Quatre ans après et une succession de défaites électorales - même s'il est vrai que le quinquennat précédent connut les mêmes déboires électoraux - une seule réforme sociétale comme on dit désormais - le mariage pour tous - de gauche, certes, mais qui ne coûta pas grand chose à personne et depuis, ou des réformes à rebours dignes de la droite, ou, pire encore une incapacité à faire passer ses projets autrement que par un 49.3 ou sans heurts dans les rues et blocages divers. Une majorité divisée ; une gauche désemparée et une extrême-droite triomphante. Sans compter une cote d'impopularité sidérale ! Qu'un président sortant ne soit pas certain d'être réélu à l'issue de son premier mandat est dans l'ordre démocratique des choses ; qu'il ne soit même pas certain d'être en mesure de se représenter en dit long sur le désastre. Qu'on en vienne à nous présenter Juppé comme un moindre mal, qui n'est quand même pas un perdreau de l'année, laisse rêveur.
On en peut tirer plusieurs leçons :
- circonstantielle : décidément la posture de président normal ne fonctionne pas et laisse plutôt à voir un amateurisme dans la mise en place des réformes qui peut étonner. Loin d'être une question de personne, on y comprend qu'il y a loin entre un chef de parti et la présidence de la république ; que les compétences de l'un ne sont décidément pas celles de l'autre.
- politique : où l'on retrouve un des refrains les plus détestables de la IVe. Quand la gauche au pouvoir se pique de réalisme, elle ne fait rien d'autre qu'une politique de droite.
- constitutionnelle : le quinquennat décidément est une catastrophe qui, avec l'inversion du calendrier, ne ménage plus aucun contre-pouvoir. Même divisée, cette majorité ne peut rien faire d'autre qu'amèrement se coucher. Peut-on vraiment reprocher aux frondeurs de ne pas pouvoir voter une censure avec la droite ? Mais alors, nul éventuel recours que la rue. Un système qui ne laisse d'autre alternative politique que la contestation dans la rue est un système pervers et moribond.
- constitutionnelle encore : l'esprit de la Ve - primat de l'exécutif et de la présidence - n'est pas sorti de la configuration de l'homme providentiel et charismatique. Que vienne l'heure des seconds couteaux et le système s'enraye. Que de surcroît, mondialisation et Europe conduisent à un affaiblissement des prérogatives nationales et alors le roi est nu ; inutile ou parasite
- électorale : tout converge, avec le scrutin majoritaire, vers la bipolarisation. Que vienne l'heure d'une logique tri-partite et ici encore tout dérape. Un FN à score élevé bloque la pertinence des résultats.
- idéologique : il faudra bien un jour prendre à bras le corps la question de la montée des extrêmes-droites qui prévaut dans toute l'Europe. Les réflexes identitaires, vite nauséabonds, sont bien un symptôme inquiétant de l'incapacité du politique à proposer des projets, de répondre aux menaces tant économiques, idéologiques que géopolitiques.
A avoir voulu être pragmatique, à s'être vautré avec complaisance dans la seule grille de lecture économique, on a oublié que le politique consiste non pas à gérer mais à proposer des alternatives. Nous payons cher cette complaisance technocratique.
Je ne peux pas écouter ceci sans colère.
Nous savions bien que ce discours était un gage donné à l'aile gauche du parti et un appel du pied aux électeurs de l'ultra-gauche, nous ne pouvions deviner à quel point ce n'était là que paroles en l'air.
Dérives
Voici qui n'est rien d'autre que trahison de la démocratie : faire comme si une campagne électorale n'était qu'une dramaturgie à correctement mettre en scène, ne se soucier en rien de la cohérence de ses promesses et de son projet, dire l'un et promettre son contraire, qui était jusque là surtout la marque de fabrique de Sarkozy, oui, c'est non seulement dangereux mais c'est surtout un parjure et une trahison. (Relire Agamben)
Détestable impression d'amateurisme dans la manière dont les actions sont engagées mais ceci provient peut-être d'une absence de perspective. Cette équipe n'a jamais vraiment donné l'impression de savoir où elle voulait aller au contraire de Sarkozy qui n'a cessé de vouloir renverser la table quitte à le faire brutalement. Ceux-là décidément ont confondu politique et gestion !
Détestable impression de mépris de classe aussi : l'épisode des « sans dents » n'a pas laissé de traces mais était déjà assez troublant. Voici l'épisode des T-shirt et costume. Macron, lançant à un manifestant qui le dérangeait : «Vous n’allez pas me faire peur avec votre tee-shirt. La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler.» , cela vous a un de ses airs insupportables qui traduit l'invraisemblable fossé qui s'est désormais creusé entre le pays réel et les élites.
Il serait sans doute cruel de rappeler la manière dont de Gaulle gérait les questions d'argent [1] et de rémunération de ses collaborateurs : quoiqu'on en pense, et même si cette austérité-là avait elle aussi quelque chose de profondément bourgeois, on y peut en tout cas mesurer la distance, cinquante ans plus tard, avec ce qui se pratique. De quand date la dérive ? je ne sais ! sans doute des années d'argent facile et l'ère Mitterrand n'y fut pas pour rien : il n'est qu'à voir comment fut réglée la question des anciens présidents, par une simple lettre du Premier Ministre d'alors - L Fabius. En tout cas, le coût des anciens présidents, révélé par Médiapart, souligne cruellement ce que les cris d'orfraie poussés autour des rémunérations des dirigeants de grandes entreprises, peuvent avoir sinon d'hypocrite en tout cas d'insincère ; ce que la notion de service public a désormais de désuet.
Ce qui demeure certain : rien n'est plus dangereux que ces moments où un peuple a l'impression que ses représentants le trahissent de n'agir que pour leurs propres intérêts. Oe, quand on commence à regarder d'abord ce qu'ils gagnent et non ce qu'ils font, on y est. Quand, faute de perspective et de projet clair, l'impression domine que cette élite se contente de gérer, on y est. Quand on ne propose rien d'autre que des efforts supplémentaires, de se serrer la ceinture, quand à l'inverse les élites paraissent se goinfrer ; on y est !
Mais ce qu'un Macron révèle[2], gendre idéal, propre sur lui, si fixement tiré à quatre épingles, si admirable de sa réussite fulgurante, mais ce que le choix aussi d'un tel homme au secrétariat général de l’Élysée d'abord, puis au ministère de l'économie ensuite, qu'est-ce que cela peut bien signifier d'autre que l'emprise bourgeoise sur le pouvoir ? Et que dire de ce silence sur l'anniversaire du Front Populaire à quoi l'on préfère la célébration de Jeanne d'Arc ?
Mais qu'ont-ils donc à courir après ce mythe sulfureux ? Barrès qui n'a jamais été de gauche y croyait puiser quelque chose de la race française. Macron qui se croit au delà, qui donc est de droite, y trouve un modèle d'énergie nationale. Si j'osais, je dirais que ce n'est encore qu'une histoire de voix : que l'une entend, que l'autre sollicite. Mais ce serait trop facile. On ne va jamais chercher ses symboles impunément/ Celui-ci a trop servi des causes douteuses, trop servi aux fantasmes macabres et aux outrances de l'extrême-droite pour être honorable. Qu'un ministre s'y frotte qui aurait pu célébrer 36 en dit long sur les trahisons idéologiques à venir ...
Fallait-il en plus ce mépris sidéral ?
Demeure révélateur que désormais, lorsqu'on évoque des revendications sociales, qu'on en appelle à la justice sociale ou pire encore à l'égalité, l'on soit immédiatement écorniflé des stigmates honteuses de l'anachronisme. Dans la bataille de la désidéologisation du politique, les libéraux ont gagné moins de haute lutte, d'ailleurs, que par abdication lâche et honteuse de la gauche. Effets de classe ? Sans doute aussi : de part et d'autre, les thuriféraires étaient les mêmes. L'anecdote est connue d'une Rachida Dati, jeune promue, allant chercher des soutiens politiques et des postes d'abord au PS avant de se tourner vers la droite, ne les y trouvant pas. Comme si les convictions politiques pesaient pour rien ou que le politique ne fût rien de plus que le promontoire d'une carrière brillante.
Au fond, résumer cette période est assez aisé :
Après le déni du politique, le déni du peuple. [3]
1) voir cet extrait de de Gaulle notre président
2) ai évoqué la figure de Macron à quatre reprises
- à l'occasion du départ de Taubira
- dans Parasite
- dans Désarroi
- dans Raccourcis vertigineux
3) ce que j'écrivais dans Du peuple