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Le déni du politique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1 / Une si vieille histoire 2 / déni politique
du politique
3 / déni philosophique
du politique
4 / retour
du politique ?

 

 

1- Une si vieille histoire

Petite réflexion qui m'est venue, presque par mégarde, en entendant le désintérêt chez les uns, le mépris chez les autres, la suspicion presque toujours que suscite le politique. Qui ne sont pas ceux des jeunes générations seulement, mais furent, de tout temps, ceux des philosophes aussi.

J'eusse aimé pouvoir écrire que ce déni fût le fait des jeunes générations, gavées de richesses et de technologies diverses, trop éprises de ses propres jouissances pour s'enquérir du destin commun ; trop individualistes et trop insoucieuses des leçons du passé pour rien entendre de ce qui se jouerait ici.

J'aurais aimé pouvoir écrire que ceci heurtât tellement cette vieille passion française nourrie à l'endroit du politique que c'en marquerait une rupture peut-être définitive, à nul doute douloureuse, avec ce qui en fut la grandeur, la noblesse enfouie - ou le rêve trop vite éteint. J'eusse préféré, vraiment, mettre ce déni sur le compte d'un mécontentement passager provoqué par la vacuité de nos politiques, leurs légèretés et parfois leurs désinvoltures contrastant si cruellement avec les échos désormais lointains de nos derniers grands hommes que nous ne parvenions même plus à le leur pardonner, encore moins à nous en attendrir.

Le déni philosophique du politique

Las ! C'est de bien plus loin, du plus profond de notre tradition philosophique, culturelle, religieuse aussi que sourde cet écart.

Un vrai paradoxe

D'un côté, cette évidence qu'il ne saurait y avoir de projet politique, d'organisation de la cité qui ne se fonde sur une conception de l'homme, sur une philosophie préalable. Que ce soit en terme d'égalité ou d'inégalité, de liberté ou d'indépendance, ou même seulement d'organisation spatiale de la cité, on imagine mal un projet politique qui ne suppose une philosophie qui la fonde - au moins implicitement.

Au même titre que pour le langage, il n'est de politique sans métaphysique implicite qui ne dispose du rapport de l'homme au monde, à l'être, à l'espace comme au temps. Cela est si vrai que, de Platon à Sartre, il n'est peut-être qu'un seul philosophe qui ne s'en préoccupa point : Descartes ! même si l'homme participa aux événements de son époque dans leur manifestation la plus crûe : la guerre. Platon, évidemment avec l'expérience de Syracuse; Aristote précepte d'Alexandre ; Sénèque ; tous les philosophes des Lumières, de Montesquieu à Rousseau en passant par Voltaire qui y inventa la figure de l'intellectuel engagé, Marx évidemment, mais aussi Kant, Hegel, Sartre ...

Comment d'ailleurs imaginer un philosophe qui, épistémologie mise à part, a pour métier de penser le rapport de l'homme au monde puisse s'écarter véritablement du politique ... qui en est quand même la traduction immédiate - ou médiate ? Comment douter que même le silence politique de certains bruisse du même fracas politique que les autres ?

D'un autre côté, pourtant, une extraordinaire méfiance, un déni profond du politique dont témoignent à la fois un Serge Cantin (1) mais aussi H Arendt dans cet extrait de son ITV de 62 à la TV allemande.

Il faut dire que les exemples ne sont pas véritablement probants que nous offrent ainsi nos grands ancêtres : c'est bien au service d'un tyran que Platon se sera placé - Denys ; fût-il éclairé c'est bien un despote - Frédéric II- que Voltaire servit ; que Robespierre se mît sous la tutelle de Rousseau eut de quoi en effrayer plus d'un ; et que dire d'un Hegel qui crut voir en Napoléon une incarnation de l'Esprit, même s'il se reprit rapidement ?

Que dire encore de l'inspiration nietzschéenne d'un Hitler même s'il est vrai que ce fut sur la base de textes tronqués par les mains, expertes, d'une Elisabeth Forster-Nietzsche mais que les concepts de forts ou de volonté de puissance rendirent en tout cas possibles.

Il faut néanmoins reconnaître que le plus grand traumatisme viendra d'Heidegger dont le ralliement au parti nazi laisse pantois. Quoi, toute cette intelligence, toute cette culture ne lui aurait servi de rien et pas même à reconnaître dans la démarche nazie un simulacre de pensée, une pantomime de la haine, une boursouflure de l'horreur, mais, surtout, une réalité politique monstrueuse ?

Comment oublier, au reste, ces grands intellectuels de gauche, organiques, comme on disait alors, qui mirent tellement de temps avant de cesser d'encenser le modèle stalinien ? qui, au nom du communisme furent prompts à avaler tant de couleuvres ... et parfois si tard (2) .

Risque de la tentation ou tentation du risque ?

Comment s'étonner alors qu'Arendt préférât le vocable de politilogue, de spécialiste des théories politiques plutôt que de dire qu'elle se préoccupait de philosophie politique ? de se reconnaître même comme philosophe préférant affirmer qu'elle en avait abandonné les rives ?

Arendt pointe juste quand elle affirme combien les rapports entre philosophie et politique sont surchargés, sur-investis par la tradition et l'histoire. Mais c'est sans doute aussi une question de posture ...

En effet, comme Arendt l'indique dans cet extrait ci-contre, quand il se préoccupe de politique, le philosophe ne bénéficie pas de cette position d'extériorité dont il tire parti, au même titre que tous, quand il s'occupe de science voire de métaphysique ... : il y est, à la fois, celui qui cherche à prendre distance et qui est pleinement engagé dans l'objet même qu'il cherche à cerner. En sorte qu'il ne peut pas à l'instar de la philosophie des sciences, parler au nom de toute l'humanité, mais seulement de son propre point de vue ; engagé ! On pourrait croire, à première vue que ce fût ici le même reproche que celui qu'adressa en son temps A Comte à ce qui ne s'appelait pas encore sciences humaines et à quoi il déniait la moindre once de scientificité en ce que l'on n'y pouvait bénéficier de ce recul absolument nécessaire à l'analyse, et que l'on y fût obligatoirement juge et parti. Mais objection contournable et qui le fut - Comte se sera tellement trompé ! - par les sciences sociales .

En vérité il est question de bien plus dirimant que l'on soupçonne à la mention faite ici par Arendt de Platon : le philosophe se sera toujours déjà engagé dans le grand barnum politique et il ne peut pas ne pas le faire, ne serait-ce que par son silence. En dépit qu'on en ait, l'aboutissement logique de toute philosophie sera toujours le politique en quoi celle-ci ne peut que considérer la tentative de mise en pratique de sa démarche.

Et de la tentative à la tentation le chemin n'est pas si long : l'espace est si ténu de la coupe aux lèvres ! Le chemin est ardu, assurément, qui dénoue les liens et autorise la sortie de la caverne et la contemplation du Souverain Bien ... mais il est si pur ! Redescendre, parcourir les dédales ombreux du réel si frustre, si décevant ; fréquenter les ombrageux trabans du pouvoir tellement dangereux et ingrat ; mais si délicieuse la perspective de transformer ainsi le monde en laboratoire serf de ses hypothèses ! Il n'y avait pas sottise, dans l'esprit de Platon, à vouloir ainsi conférer le pouvoir à ceux qui étaient le moins enclins à le vouloir exercer ; mais maligne mégalomanie (3) à croire pouvoir dessiner ainsi une ligne parfaite et pure qui du savoir rejoindrait ainsi sans anicroche le pouvoir.

Principe de précaution ou veulerie ?

Alors oui : d'un côté la tentation du pouvoir qui progressivement aura glissé de son exercice pur au conseil, de l'inspiration à l'influence, voire au lobbying ; tentation qui aura suscité les vocations de l'engagement intellectuel (dont Sartre et Voltaire demeurent des paradigmes) ; de l'autre une méfiance passablement timorée qui produit le tonitruant silence actuel. Ne disait-on pas à une époque qu'il valait mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron ? C'est qu'ils se seront tous tellement trompés ... Mais aujourd'hui avec quel Sartre pourrais-je courir le risque d'avoir tort ?

Car, indéniablement, et au moins depuis 81 en France, et depuis le milieu des années 70 où avec Soljenitsyne et son Archipel du Goulag (1973), il devint impossible de défendre, ne fût-ce que du bout des lèvres, le système soviétique ; où il devenait criant que, par aveuglement passionnel ou paresse, trop nombreux furent ceux qui s'égarèrent, oui depuis 30 ans les intellectuels se turent - et notamment les philosophes qui, sous couvert de nouvelle philosophie s'acharnèrent à scier la branche sur laquelle ils étaient assis en ne se contentant plus tant de dénoncer le totalitarisme, ce qui en soi restait parfaitement honorable quoiqu'à cette date assez facile, mais en sapant avec sourde obstination la légitimité de toute pensée philosophique en dénonçant dans l'acte même de la pensée le risque totalitaire.

Ainsi aura-t-on abandonné la philosophie du soupçon pour entrer dans l'ère de la suspicion en s'offrant le plus systématique travail de déminage, de sape et de démolition qu'on eût jamais pu croire possible. Dès lors, ne restait plus à nos fonctionnaires de la pensée qu'à se replier sur des terrains moins minés, plus tranquilles ... On délaissa ainsi le politique pour se vautrer dans la morale, supposée moins compromettante ... ou dans la dénonciation des moindres prémices de totalitarisme dans la pensée des autres où excellent des contempteurs atrabilaires comme Finkielkraut ou dans le lobbying politique comme BHL quitte, parfois, à se compromettre avec le diable ... ou avec le ridicule. Ainsi, pour parler comme Marx, aura-t-on jeté l'enfant avec l'eau du bain ...

La question du politique pourtant toujours ouverte ...

Si la philosophie semble ne pas s'être (encore ? ) remise de son déni du politique ni de la trahison de ses clercs, il n'en va parallèlement pas beaucoup mieux du politique. C'est que les politiques paradoxalement, auront eux aussi, sempiternellement, obsessionnellement, oeuvré à dépolitiser leurs propres pratiques

2- Le déni politique du politique

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La politique a mauvaise presse ! On pourrait imaginer à première vue que ceci s'expliquât par la foire aux ambitions, le manège des vanités qui s'y étale parfois de manière si flagrante que c'en devient obscène. En réalité, non ! D'aucuns en viendraient presque à regretter les régimes monarchiques où la place du pouvoir était nativement tenue ! Las, ceci n'empêchait pas pour autant les servilités courtisanes.

En réalité, et d'emblée, le politique aura toujours usé de plusieurs biais pour se purifier des scories indignes qui le menacent.

L'argument de la nature

Assis sur le couple fallacieux que la philosophie connaît bien - nature vs culture - cet argument a le mérite de la simplicité - et le mérite populaire d'une redoutable efficacité. Déjà repéré en son temps par Marx, il se donne pour péremptoire et irréfragable, rejoignant, en outre, le sentiment spontané que nourrit toute classe dominante de la légitimité naturelle de sa position. Argument utilisé pour la propriété privée à quoi on affectera immédiatement un instinct pour la justifier, pour la maternité avec la même propension à y voir un comportement naturel, instinctif, quasi animal ; que l'on retrouvera même dans les discours répétés sur la théorie du genre, pour l'affirmation d'une identité sexuelle naturelle.

A chaque fois la même distribution le long d'une ligne idéologique qui sépare la cohérence de deux problématiques irréconciliables - sauf peut-être dialectiquement. D'un côté on fonde la légitimité de l'état actuel des choses sur un ordre supposé naturel ; de l'autre on s'attachera à montrer que ce qui passe pour instinctif ou produit par les lois de la nature est en réalité déjà produit par l'histoire, par les rapports que les hommes entretiennent entre eux et avec le milieu extérieur.

Sous les polémiques parfois oiseuses que les temps de campagne électorale peuvent produire - et ce fut bien le cas pour ces contenus pédagogiques faisant mention de la théorie du genre dans les manuels scolaires - demeure une véritable ligne de front, idéologique, certes mais épistémologique surtout, qui dessine une oscillation plusieurs fois répétée entre le tout nature et le tout culture. Et si le balancier penche désormais plutôt du côté du tout génétique, n'oublions pas que les sciences avancèrent toujours, non par le choix de l'un des deux termes de cette alternative, mais bien plutôt via la confrontation systématique, dialectique, entre ces deux termes.

Il n'y a donc pas à s'étonner de retrouver les ultimes rémanences de ce débat dans les luttes politiques, non plus que dans les fondements de ce que l'on nomme gauche et droite. A ce titre, tout à fait caractéristique demeure ce texte déjà ancien, qui repérait la tentative de dépolitisation du discours par le biais du langage.

Trois modalités écrivait F Brune en 95 :

- le langage de la nature : nous y voici ! avec des métaphores toujours savoureuses du type maladie du chômage ou l'inénarrable fracture sociale. A ce registre appartiennent aussi toutes les connonations biologiques voire génétiques : tissu social ; atomisation ; corps ou organisme social etc. Lui appartiennent aussi toutes les métaphores météorologiques du type tempête monétaire que l'on retrouve désormais sous la rubrique des catastrophes naturelles comme tsunami financier ...

- le langage de la morale : mis au goût du jour, lors de la campagne de 2007, on l'aura particulièrement repéré dans l'antienne sarkozyste sur la valeur travail. Revaloriser le travail donnera travailler plus pour gagner plus qui fustigeait, sans le dire, ceux qui privilégiaient la qualité de la vie, ou le temps libre en les croquant sinon en paresseux au moins en hédonistes peu scrupuleux du sort commun.

L'argument de la technique

Le troisième argument repéré relève de la technique que F Brune nomme

- langage de la fonction : à ce registre appartiennent tous les concepts pseudo-scientifiques, de préférences atroces anglicismes exhalant fort la domination géopolitique d'une mondialisation qui nous aura échappé. A l'évidence, la crise financière offre pléthore de ces subprimes, traders, benchmarcking ... auxquels répondent sans difficulté des mondialisation, taille critique, délocalisation, dégraissage, performance, lois du marché ...

C'est que la technique est neutre qui n'est jamais qu'un biais inventé par l'intelligence humaine pour rendre plus efficace l'action. La technique est l'essence même de la ruse mais le risque aussi de la démesure. Toujours est-il qu'il n'est pas une façon de gauche ou de droite d'uniner une pièce, de cultiver un champ... La technique devient ainsi le paravent pratique derrière quoi se protéger pour travestir un choix politique en un simple processus technique, anodin, sans enjeu et, surtout, incontournable. Pour peu, en effet, que l'on se rappelle que dans l'action, la volonté humaine n'est pas libre du but à atteindre - elle incline nécessairement vers le bien, le mieux pour soi - et que l'on présente conjointement le choix des moyens comme celui, invariable du processus récent le plus efficace, on observe qu'alors c'est effectivement le champ même de la liberté de la volonté qui se trouve réduit à sa plus simple expression : pas choix du but, pas vraiment des moyens ... en vérité l'argument flirte avec délices avec celui de la nature comme avec celui de la morale (la fin justifie-t-elle les moyens)

C'est l'argument de la technocratie et il est ancien. Resurgi tout de suite après la Révolution Française, en même temps que la première révolution industrielle, il vise toujours à laisser entendre combien les processus économiques seraient désormais devenus tellement complexes qu'assurément ils échapperaient aux compétences du citoyen lambda. Argument que l'on retrouve chez un A Comte - la triade positiviste de l'entrepreneur, du banquier et du prêtre de l'humanité - mais qui n'est jamais que la reprise du projet platonicien de confier le pouvoir à ceux qui savent. C'est le gouvernement des experts, des savants ou des techniciens. C'est devenu aujourd'hui celui des gestionnaires. Le fascisme y a nourri son volet politique qui n'était qu'une technocratie, se révélant pour ce qu'elle était : un gouvernement des choses et non des hommes.

On remarquera qu'historiquement le projet politique technocratique est étroitement lié aux révolutions industrielles et économiques. Il n'est donc pas étonnant que l'offensive technocratique se fasse plus violente encore avec la mondialisation d'une part, le basculement du capitalisme vers le financier, d'autre part.

On remarquera enfin, que le libéralisme est la traduction contemporaine parfaite de cette tendance technocratique puisqu'il y s'agit invariablement de limiter le champ de compétence des Etats et donc du politique au profit d'instances autonomes : agences de notation, banques centrales indépendantes ... où l'expertise technique, supposée apolitique, se veut le garant même de l'indépendance.

Au reste l'argument de la technique ne se contente pas de dépolitiser de manière institutionnelle, organique ; il est surtout parfaitement, intrinsèquement, explicitement, antidémocratique. Dans la grande tradition démocratique le souverain populaire tient son autorité de sa place même et le citoyen a légitimité à porter sa voix en tant que tel, parce qu'il est citoyen, et certainement pas au nom d'une quelconque compétence ou d'un supposé savoir. Estimer que le pouvoir, parce que devenu trop complexe, ne puisse être exercé que par des spécialistes revient, ni plus ni moins, qu'à le confisquer au souverain populaire.

Ce que nous observons de plus en plus c'est alors effectivement des Etats qui auront conservé leurs rituels démocratiques, désormais vidés de leur sens, au profit des grandes conférences internationales et d'instances supranationales (G7, G20 ... ) qui exercent la réalité du pouvoir et sur quoi les électorats n'ont en fait plus aucune prise. Ce que nous observons c'est bien que, de réformes en toilettages constitutionnels, les transferts de compétence sont tels, et les effets de la mondialisation si puissants, que le pouvoir même de nos dirigeants s'en trouve considérablement réduit au point d'offrir l'argument retors et une égitimation a posteriori en forme de cercle vicieux : puisque le pouvoir est désormais une affaire d'expertise, confions-le à des experts.

Quand on veut se débarrasser d'un chien, on l'accuse de la rage, non ?

L'argument du héros

Sans doute l'argument le plus ambivalent. A première vue l'on pourrait penser que la personnalisation du politique, sa propension à laisser émerger des hommes d'exception, des hommes providentiels serait l'accomplissement de la politique parce que la parousie même d'une volonté se confrontant aux éléments et parvenant à les faire plier.

Le héros, chez Bergson, est bien celui qui parvient à renverser le cours des choses, de la pensée comme de l'histoire, de telle manière qu'il y introduise une telle coupure qu'on puisse la considérer irréversible.

Dans sa version militaire, c'est bien d'un tel système, d'une telle inspiration, que se classe le régime de la Ve République dont on ne peut rien comprendre si on oublie combien son fondateur se pensait lui-même - lui qui n'hésitait pas à parler de lui à la trosiième personne - comme tirant sa légitimité de l'histoire, des mille ans de la nation française, beaucoup plus assurément que du suffrage populaire, même si de Gaulle, indéniablement, sut toujours respecter aussi cette légitimité électorale, ce dont sa démission en 69 témoigne bien sûr autant que celle de 46.

Paradoxal parce que, si d'un côté il y a ici exhaussement de la volonté et prééminence affirmée du politique (ne pensons qu'au célèbre La politique de la France ne se fait pas à la corbeille ) d'un autre côté, en revanche, il y a bien confiscation de la volonté populaire au profit de la sagacité, du sens de l'histoire, du charisme ou de l'exceptionnelle compétence d'un seul - du chef.

Argument aux confins du mythe (quand il s'agit d'un de Gaulle, d'un Clemenceau) et du technocratique (quand il s'agit d'un acteur plus ordinaire ( souvenons-nous d'un Barre présenté comme le Joffre de l'économie ou d'un Giscard qui se sera présenté - à l'instar au reste d'un Juppé - comme une mécanique intellectuelle exceptionnelle, un économiste hors pair etc.

Argument aux confins du religieux, du métaphysique en tout cas, dont de Gaulle sut se jouer avec un indéniable talent et une faconde inoubliable, mais qui ne parvient pas à camoufler combien l'on se situe ici dans la théologie du chef, dans l'allégorie du Maître, dans une démarche quasi mystique où l'on n'hésite jamais vraiment à nous jouer la thématique de l'Incarnation ( de la France, de l'Histoire, de la Nation ) .

Que de Gaulle fût indéniablement démocrate n'ôte rien au fait que le régime qu'il inventa, s'il est démocratique, reste en revanche à la limite de la tradition républicaine laquelle est plus collective, et donc parlementaire, en ce qu'elle aspire à réaliser liberté et égalité, non à partir de l'excellence d'un seul, mais à partir des débats, des confrontations de ce qui exprime la diversité de la volonté du souverain populaire. Que de Gaulle fût éminemment légitime, n'ôte rien au fait - et il le dit dans ce passage de la conférence de 65 déjà cité - qu'il puise cette légitimité plus dans l'Histoire qu'il prétend incarner que dans la souveraineté populaire au point, précisément, de vouloir conférer à ses successeurs qui ne pourront pas s'appuyer sur cette légitimité historique, une assise populaire suffisante pour demeurer efficace.

D'où, au reste, le flop de Hollande à propos du président ordinaire parce que comme l'aurait souligné Sarkozy on ne fera jamais croire aux français que ce soit un job ordinaire. Remarquons au passage la traduction très technocratique de cette exception présidentielle.

L'argument du héros est effectivement dépolitisant parce qu'il suppose toujours, implicitement ou explicitement, que la nation s'en remette aux talents d'exception de cet homme providentiel et se laisse guider ( le mot guide est utilisé par de Gaulle). Vraiment pas loin de la logique messianique ou prophétique, décidément ! Nous n'y sommes jamais loin non plus du Sauveur, de celui qui rachète nos péchés ; jamais loin de Pétain et de sa logique de Père Fouettard - vous avez souffert, vous souffrirez encore... ces mensonges qui vont ont fait tant de mal ...)

A ce titre, la logique mystique du hérosflirte toujours avec celle plus soft, plus moderne de l'expert dont elle est la version légendaire. En réalité il ne saurait être un hasard, de ce point de vue, que le projet politique du fascisme soit technocratique. Au fond l'argument du héros est le volet mystique d'un argument plus séculier qu'est la technocratie.

Paradoxe politique du politique

C'est ainsi, peut-être, ce qu'il y a de plus étrange dans ce déni : paradoxal assurément parce qu'on voit mal à première vue ce qui peut pousser le politique à se dénigrer ainsi lui-même quitte à saper toute autorité ou légitimité dont il eût pu et du se prévaloir... alors qu'en même temps l'assaut mené contre lui sourde à la fois du bon sens populaire vite enclin à pourfendre l'impuissance, l'incompétence ou la prévarication de ces trop beaux parleurs pour être honnêtes ; mais sourde en même temps du côté des beaux quartiers de la rive gauche où l'on pense de plus en plus, avec la moue d'un mépris à peine policé, que, décidément, politique est chose à peine pensable, tout juste bonne à y tremper quelque inavouable ambition ou inévitable compromission.

Etrange, oui, cette propension du politique à ne jamais s'avouer tel, à la malheureuse exception de Sarkozy près, qui tenta bien en 2007 de réconcilier les français et la politique et y parvint, mais, est-ce un hasard, en se jouant à la fois de son image de marque d'hyper-actif et d'un lyrisme emprunté à Guaino qui lui permit de colorer d'un peu de rêve, de charisme un projet qui demeurait tout juste technocratique.

D'où l'on peut tirer trois leçons - provisoires :

- la Révolution n'est toujours pas finie, que la bourgeoisie bien pensante a toujours désiré clore avant même qu'elle n'eût réellement débuté. Elle consiste dans cette lutte incessante, toujours à recommencer, invariablement à poursuivre ; dans cette vigilance à sempiternellement exercer contre la tendance, pas du tout naturelle, contre la paresse intellectuelle, la défense systématique des puissants de leurs privilèges ou prérogatives visant invariablement à confisquer le pouvoir au peuple qui le leur eût ravi - quitte à maintenir les formes démocratiques - faute de mieux.

- l'irruption du peuple demeure vraiment la grande peur de la bourgeoisie que celle-ci tentera toujours de contenir ; qui y parvint parfois à coup de représailles politiques, parfois de projet social quand il devenait impossible de faire autrement ( on songe au projet de l'après guerre qui dut bien faire la part du feu au social après l'inavouable compromission avec le fascisme ) et qui ne manque pas d'y parvenir désormais en abusant de son cache-sexe technocratique.

- faire de la politique revient ainsi à lutter contre l'a-politique, contre la sourde propension des classes possédantes à toujours vouloir dépolitiser pour conserver ses positions et prérogatives.

 

3- Des rapports complexes entre politique et philosophie

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du politique
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du politique
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du politique ?

 

 

Il faut revenir sur les rapports entre philosophie et politique parce que nous n'avons fait que les effleurer en introduction - tout juste pour marquer un paysage et un contexte.

Trois figures nous semblent devoir être explorées si l'on veut comprendre les rapports complexes que la philosophie entretient avec le politique. Car, manifestement, la question ne peut se réduire aux éventuels égarements de tel ou tel.

Trois questions se posent effectivement en préalable auxquelles la philosophie a pu donner des réponses très différentes mais croisées en ceci au moins qu'elles posaient le problème d'une solution de continuité entre théorie et pratique.

- Platon, d'abord, cherche manifestement la solution à une décadance d' Athènes et la voit dans la formation des élites, dans le fait de confier le pouvoir aux philosophes, supposés savoir, supposés surtout aguerris contre les tentations sommaires et sensibles, avertis en matière de dialectique.

- Marx ensuite, dont toute la contradiction sur cette question peut se résumer à la XIe thèse sur Feuerbach qui mise tout sur la transformation du monde - et donc sur le politique - alors même que son oeuvre visera à donner à cette transformation une assise théorique qui la rende possible au moins autant que pensable.

- A Comte, presque à la même époque, qui dans une démarche résolument scientiste, cherche un fondement scientifique à l'organisation politique de la cité et, comprenant qu'il ne pouvait la trouver totalement dans cette physique sociale qu'il appelait de ses voeux, ira chercher dans la religion de l'humanité de quoi l'asseoir.

Chacun, à sa manière, pose différemment la même question de l'incompatibilité de la de la pensée et de l'action, mais de la non moins évidente impossibilité de celle-ci sans celle-là.

Platon

Il ne saurait être hasardeux que la démocratie fût présentée dans ce monde grec qui pourtant l'inventa, comme le pire des régimes politiques et ceci tant par Platon que par Aristote. Trop de peuple, trop de passions ... si peu de raison. Le projet de Platon se donne pour ce qu'il est : une Cité Idéale, un paradigme qui en dit long sur le déni du politique, mais tout autant sur les dangers que représente toute utopie.

Trois caractéristiques dominent

- une conception cyclique du temps propre au monde grec qui a pour conséquence une approche tragique de l'histoire humaine : loin de toute idée de progrès, le grec n'envisage jamais vraiment le meilleur, mais seulement les moyens de lutter contre une dégradation inéluctable; le meilleur c'est à dire le Bien étant réservé à ce que Nietzsche nommera arrière-monde. Ainsi en politique le Livre VIII de la République analysera comment l'on passe invariablement de l'aristocratie à la timocratie ou timarchie puis à l'oligarchie, la démocratie et enfin la tyrannie.

- une représentation du monde résolument idéaliste au sens philosophique du terme où prédomine la pensée sur l'être, où surtout un dualisme métaphysique radical dispose d'un monde séparé des Idées en conséquence de quoi le monde sensible ne saurait être qu'entâché de faux-semblants, d'apparences, d'inessentiel ... Représentation pas très éloignée de la représentation judéo-chrétienne d'un monde distribué entre au-delà divin et en-deçà matériel, ce pourquoi le platonisme sera si aisément compatible avec le christianisme. Mais une représentation où, par voie de conséquence, le politique ne saurait être qu'une application, stricto sensu du Souverain Bien - αγαθον - et donc, au mieux une technique qu'il est préférable de confier à ceux qui approchent le plus du Soleil, et qui, au pire mais de manière inéluctable, ne saurait qu'être perturbée par l'irruption incessante des passions sensibles qui la dévoieraient vers l'exclusif assouvissement de convoitises empiriques.

- une distribution des tâches étroitement liée aux qualités de l'âme : selon qu'y dominent soit le coeur - le courage - soit la tête - l'esprit - soit enfin le ventre - les passions - l'on sera gardien de la cité, philosophe ou laboureur. Une distribution qui recoupe assez étroitement la tripartition repérée par G Dumezil - ce qui n'est pas étonnant mais révèle combien le projet antique, résolument idéaliste, est dominé par cette recherche du souverain Bien, de la Vérité où l'édification des âmes importe évidemment beaucoup plus que le gouvernement des choses.

Ambitions, poursuite des richesses et des honneurs représentent ainsi la borne extrême des périls politiques distribués le long d'une ligne où à l'autre extrémité se trouvent désintérêt, service et contemplation. Inévitablement, au même titre que dans la représentation chrétienne, le politique subit la même dévaluation que le monde sensible à quoi il appartient. Monde d'apparences, voire de tentations, monde sinon du faux en tout cas du fallacieux, du mal sinon de l'erreur. Un monde avec lequel il faut faire des compromis, faire la part du feu dont le Mon Royaume n'est pas de ce monde du Christ fait écho fidèle à l'existence séparée des Idées de Platon ; où son Rendez à César ce qui appartient à César suggère le peu d'intérêt accordé au temporel à quoi l'absence d'envie du philosophe de redescendre dans la caverne fait également écho.

Une conséquence : la dévalorisation du politique

Cette stricte distribution entre royaume spirituel et temporel aura un intérêt : tout au long des temps féodaux et monarchiques, le pouvoir des puissants sera au moins tempéré par celui, spirituel, des papes, évitant peu ou prou à ces pouvoirs d'être totalitaires pour n'être qu'absolus !

Mais, parallèlement, parce que la direction d'une Cité ne saurait être que le prolégomène d'une édification spirituelle, et que l'illusion ne saurait prévaloir, même fugacement, que l'Idéal pût descendre dans la caverne et l'utopie se réaliser ; que, par ailleurs, les hommes semblent nécessairement rivés à leur nature et dominés par l'instance qui les caractérise (tête, coeur ou ventre), le politique ne saurait avoir d'objectif résolument spirituel, mais tout au plus celui, moral, de fixer des lignes, des directions et donc seulement celui, déterminant sans doute mais accessoire nonobstant, d'organiser la cité de telle sorte qu'on puisse tirer de chacun le meilleur possible.

On passe donc insensiblement du gouvernement des âmes à celui des choses et il n'y a ainsi rien d'étonnant à ce que l'on inventât ici ce que bien plus tard on nommera technocratie. Il n'y a donc rien d'étonnant non plus à ce que, le politique correctement entendu par l'esprit des philosophes, se réduise en réalité à de l'organisation. Rien d'étonnant au fond, parce que le ver est dans le fruit depuis le début, que la politique s'échoue sur les rives du marketing ... et le politique sur celles d'une théorie des organisations.

Au même titre que la pensée, si l'on suit la démarche esquissée dans le Livre VII de la République, consiste en une contemplation θεωρία, une heureuse disposition de l'âme face à l'éclosion de l'être, au même titre une saine politique consiste en une heureuse disposition des âmes au service de l'harmonie commune, du souverain Bien. Et ceci passe, invariablement, par le peu d'importance accordé à l'individu : l'absence de propriété privée, la communauté des femmes et des enfants en sont une illustration flagrante.

K Marx

Transformer le monde

 

Heidegger a raison s'agissant de la XIe thèse sur Feuerbach : il ne saurait être question de transformer le monde sans une représentation préalable de celui-ci. Cette formule, célébrissime qui fit mine de déconsidérer la valeur de la philosophie face à l'urgence et à l'imminence d'une transformation radicale de la société humaine, affirme en réalité, résolument, son contraire.

Certes, nous avons bien ici un renversement matérialiste de la perspective philosophique et ceci non seulement vis à vis de Hegel mais aussi de Platon. Ce n'est plus l'Esprit qui domine le monde, encore moins les Idées, séparées ; certes, c'est bien l'économie i.e. les rapports de production qui déterminent en dernière instance l'appareil d'Etat, le Droit et l'idéologie dominante ... pour autant cette transformation du monde que Marx appelle de ses voeux, ne se fera pas d'elle-même, ne serait-ce que parce qu'elle se heurte aux intérêts bien compris de la classe dominante.

Et cet enjeu est double, à la fois théorique et politique. Ce sera bien une des erreurs des réformistes, des révisionnistes et autres dissidents et traitres que l'orthodoxie marxiste ne manquera pas de pourfendre et d'exclure : le capitalisme ne s'effondrera pas de lui-même en dépit de ses contradictions internes. Le coup de pouce, romantique à sa manière, du soir du grand soir, de l'action révolutionnaire est indispensable. Et, de ce point de vue, ce sera toute l'originalité de Marx d'avoir su être à la fois philosophe et économiste d'une part, et acteur politique de l'autre. On comprend bien alors combien l'action politique et ce d'autant plus qu'il ne s'agit pas d'une simple gestion de l'ordre politique et économique mais au contraire d'une exigence forte de refondation, de renversement, combien cette action a besoin de ligne directrice, de modèles et donc d'un corpus théorique qui formalise, justifie et explicite, ce par quoi elle veut transformer l'état actuel du monde.

Renversement il y a, et il est profond, puisqu'aussi bien ce n'est plus le soleil qui éclaire le monde, mais la caverne qui permet de comprendre notre vision du soleil ; puisqu'en même temps l'action dans le monde sensible n'est plus perçue comme un pis-aller, une perte de temps dans l'inessentiel, mais au contraire comme le seul champ d'action possible. Innovation il y a, assurément, en ce que la relation entre théorie et pratique est envisagée non plus de manière linéaire mais résolument dialectique dans cette spirale en feed-back qui veut que si la théorie détermine l'acte, ce dernier, en retour ne laisse jamais celle-là indifférente. Certes, la philosophie est hâtivement rangée du côté de l'attirail petit-bourgeois d'une classe enivrée de l'obsession à préserver ses intérêts particuliers ... pour autant Marx n'échappe pas à la nécessité de la théorie non plus, ses successeurs en tout cas, qu'à la tentation de l'ériger en absolu.

La sinistre Diamat de la glose stalinienne est encore assez présente à l'esprit pour aider à comprendre combien il n'est de système - de pensée d'ailleurs autant que d'action - qui n'ait besoin de principes, d'axiomes qui le justifient ; combien la tendance est lourde de transformer ces principes en absolu quitte à oublier l'un des principes de la démarche scientifique - la falsifiabilité - et que donc nulle théorie ne se peut revendiquer comme absolument et définitivement fondée sauf à sombrer dans la catéchèse et le dogmatisme.

Mais déni du politique quand même

 

Marx se trouve donc, mais il en a parfaitement conscience, à l'intersection de deux extrêmes qu'il voit identiquement dangereux :

le tout théorique, réduit à l'impuissance voire au dogmatisme - ne disait-il pas lui-même qu'il n'était pas marxiste ? -

ou le tout pratique dont la pointe extrême demeure le totalitarisme à quoi l'histoire allait donner la double illustration de Staline et d'Hitler. Est-il si étonnant que dans l'épisode sinistrement fameux de l'autodafé de 33 Goebbels affirme en finir avec l'intellectualisme - juif, évidemment - pour accomplir le règne de la volonté ?

Ce qu'illustre le dilemme marxiste

Qui tient à ceci : d'un côté dogmatisme et totalitarisme ; de l'autre impuissance ... ou triomphe de la volonté

La suite le montrera aisément : quand il s'agira non plus seulement de penser le monde capitaliste mais d'essayer de le renverser, apparaîtront des figures fortes, autoritaires dont Lénine est évidemment la forme éponyme. Des figures qui n'auront de cesse de créer la rupture et l'institueront de manière autoritaire (21 conditions par exemple) mais demeureront invariablement déchireés entre le souffle romantique voire métaphysique de l'irruption du peuple et la nécessité un jour d'en finir et d'en revenir à l'ordre politique des choses. Lénine c'est à la fois l'homme du Que faire ? et celui de la NEP ! Et il n'est pas de politique sans cette valse-hésitation, sans cet atermoiement incessant, sans ce tragique dilemme !

Car la révolution est bien l'inverse du politique, son bord extrême si l'on préfère, cet interstice où le peuple bouscule tout mais se doit bientôt, de rentrer dans le rang.

 

A.Comte

Dans le souci qui fut le sien de parachever l'échelle encyclopédique, Comte avait évidemment repéré que manquaient ce que désormais nous nommons sciences humaines et sociales dans la scientificité de quoi il ne croyait pas faute que l'homme y pût prendre le recul nécessaire à l'objectivité étant en la matière à la fois le sujet et l'objet de connaissance.

L'avènement progressif à la scientificité des différentes disciplines à mesure que l'évolution de l'esprit humain se faisait de l'état théologique à l'état positif via l'état métaphysique, avènement plus ou moins rapide en raison des simplicité et abstraction de l'objet concerné, devait néanmoins permettre selon lui la fondation d'une physique sociale qui fût au corps social ce que la biologie était devenue pour le vivant, la première science susceptible d'appréhender un objet qui eût une histoire. L'achèvement de l'échelle encyclopédique permettait de clôturer la philosophie positive et de fonder un véritable système de politique positive. La médecine avait enfin sa science - la biologie ; la politique allait avoir la sienne : la La médecine avait enfin sa science - la biologie ; la politique allait avoir la sienne : la physique sociale.

Mais à l'instar de Marx, même si ici l'on se trouve ici dans une problématique idéaliste dans la mesure où c'est la pensée qui détermine le réel et non l'inverse, on comprend bien que la scientificité préalablement acquise de la connaissance du monde réduit inévitablement la politique à n'être plus qu'une simple technique, facilitée par la constitution de petits états, mieux gérables ; une technique mise en oeuvre non par des élus mais par des institutionnels désignés ex cathedra - entrepreneurs, banquiers et prêtres de l'humanité assurant chacun pour leur part la synthèse entre la sensibilité, l'action, et la pensée. Où l'on retrouve d'ailleurs la tripartition dumézilienne autant que celle de Platon.

Dès lors, le politique cesse d'être le lieu d'un débat, d'une alternative puisqu'aussi bien l'on n'a plus affaire ici qu'à des phénomènes déterminés et connus. La politique cesse d'être une technique orpheline : elle a bien une science correspondante : la physique sociale. Le seul choix pouvant éventuellement demeurer, où s'exercerait l'apparence de liberté politique, serait celui des ouvriers de cette technique; or, manifestement, la rigueur inclinera à désigner plutôt des experts qu'à choisir des amateurs. Exit la liberté politique. Sitôt évacuée que posée. Démarche que l'on retrouvera dans le marxisme soviétique où, la science posée de l'histoire et de la société - le matérialisme historique Diamat - justifiera la candidature unique aux élections, rien ne justifiant plus le pluralisme, le parti étant dépositaire à la fois des intérêts du prolétariat dont il forme l'avant-garde et de la science.

Et c'est bien tout le problème politique que nous tentons de dégager ici : entre ordre et liberté il y a manifestement une contradiction que ni le technicisme ni le scientisme ne peuvent résoudre parce qu'à tout prendre la seule différence entre la solution de gauche et celle de droite, c'est que l'on a là une science qui se fait technique quand ici c'est une technique qui se veut ériger en science.

Et si, résolument, c'était plutôt Rousseau qui eut raison ? et qu'il y eût, quand même, une alternative au dilemme implacable nous déchirant entre déni techniciste et scientiste du politique ?

Au bilan

Trois démarches différentes mais trois logiques convergentes : au nom de la philosophie, de la science économique ou de la science sociale, une politique qui se rapetasse en simple technique d'application

De la liberté

Trois démarches qui posent en filigrane la question de la liberté humaine - de manière plus ou moins implicite.

Il n'est évidemment pas question ici de traiter philosophiquement la question de la liberté mais seulement d'en rappeler les termes :

- il n'y a de science que de l'universel comme aimait à le rappeler Aristote. Or, l'universel suppose la répétition. Il n'y a donc de science que des phénomènes déterminés. Ce déterminisme pour qui la succession des événements et des phénomènes est due au principe de causalité renvoie à une nécessité calculable en fait, en droit ou en hypothèse.

- si le paradigme d'un déterminisme universel tel que Laplace avait pu l'imaginer est désormais réfuté par des sciences qui n'envisagent que des déterminismes locaux, il n'empêche que la conséquence immédiate en est néanmoins, le primat du tout sur la partie, et, notamment en matières de sciences sociales et humaines, la primauté de la société sur l'individu. Dès lors il y a tout lieu de reprendre la remarque faite par Spinoza et de réfuter que l'homme puisse être un empire dans un empire. En sorte que toutes les philosophies classiques auront tenté de concilier l'exigence de la liberté avec la réalité du déterminisme - la solution la plus fréquente restant encore de supposer que le sentiment que nous aurions de notre liberté tiendrait surtout à l'ignorance des causes qui nous font agir. Quelles que soient, en tout cas, les réponses proposées, et celle de Spinoza demeure la plus étonnante de ce point de vue, il n'empêche que demeure entière la contradiction initiale entre science, savoir, et donc déterminisme d'un côté ; et liberté de l'autre.

- le paradoxe, où se noue assurément, le déni du politique que nous essayons ici de cerner, se joue en réalité dans l'impossibilité d'organiser une société et donc de définir des règles et des lois autrement qu'avec des individus responsables et donc libres, quand, en même temps et de manière apparemment totalement contradictoire, tout dans la connaissance plaide pour un déterminisme qui ne puisse que rendre cette liberté illusoire. C'est d'ailleurs la même aporie qu'aura rencontrée le christianisme qui ne peut pas ne pas poser le libre arbitre humain faute de quoi Dieu serait responsable du Mal dans le Monde - ce qui est impensable, mais qui ne le peut qu'en édictant au préalable combien cette volonté libre ne saurait aboutir qu'à l'obéissance aux Volontés divines sans d'ailleurs résoudre l'énigme d'un Dieu qui fût soit impuissant à vaincre le Mal dans le monde soit suffisamment retors pour l'y insérer afin de tester et donc tenter la fidélité humaine - ce qui au fond revient au même - le diable se définissant précisément par la tentation.

- Entre entre science et politique, il y a ainsi une contradiction in adjecto : une science progressant ne le peut qu'en dénichant et prouvant des déterminismes là où l'on imaginait qu'il n'y eût que hasard ou désordre. De la sorte une science avançant ne le peut qu'en réduisant le champ de la liberté. Un Comte se navrant de ce que le politique fût une pratique sans science n'a d'autre perspective, en fondant la physique sociale, que de réduire l'autonomie de chacun ce qu'illustre chez lui l'affirmation qu'une société n'est pas composée d'individus mais de familles. La dictature du prolétariat ne dira pas autre chose. La communauté des femmes et des enfants chez Platon, non plus.

- contradiction répétée entre ordre et liberté qu'avait parfaitement repérée JJ Rousseau, ce pourquoi il répugnait d'ailleurs à toute démocratie représentative, lui préférant celle directe de petits états où le peuple pût se déterminer sans intermédaire - rejoignant en ceci Comte mais pour d'autres raisons, qui avait parfaitement deviné qu'un gouvernement ne manquerait jamais, ne serait-ce que par souci d'efficacité, mais le plus souvent par dérive naturelle, de se poser en tant que volonté particulière face à la volonté générale. Ce pourquoi encore Rousseau posa le droit - et Robespierre le pensa même comme un devoir - de révolte sitôt qu'une loi cesserait de défendre l'intérêt général pour ne se consacrer qu'à des intérêts particuliers.

Ordre ou liberté ?

Je crois bien, avec tous les dangers que ceci suppose, que c'était Rousseau qui vît juste : il faut toujours se demander, dans l'organisation politique que l'on imagine, conçoit et met en place, où se trouve le centre de gravité, ou, si l'on préfère, le principe. Ce qui est hors de cause, hors champ, hors jeu, qui justifie tout et le rend possible mais ne peut, en soi être remis en cause.

- ou bien l'ordre, et c'est après tout le propre de tout pouvoir en exercice que de le garantir, promouvoir et étendre, quitte, parfois, quand l'exigent des circonstances graves, à rogner la liberté ou la suspendre.

- ou bien la liberté, et ici c'est bien la voix du peuple qui s'ébroue, quitte à supporter l'inévitable désordre que l'expression autonome ne manquera pas de produire. ( c'est bien ce qu'exprime le droit à l'insurrection que pose la Constitution de 93)

Je crois bien, même si ce n'est pas ici l'essentiel de la question, que c'est ceci qui, dans le champ républicain, distribue les positions de gauche et de droite, celle-là privilégiant spontanément la liberté quand celle-ci préférera toujours asseoir d'abord l'ordre d'abord.

Mais surtout : ceci rend compte de ce déni, invariable du politique. Autant l'exécutif en acte, parce qu'il a la charge de l'organisation de la cité, que le penseur politique parce qu'il tente de faire oeuvre de science, semble condamné à ne plus considérer le politique que comme une technique plus ou moins efficace au service d'un impératif : l'ordre pratique ou la rationalité théorique, qu'importe, puisque ceci revient au même.

L'aporie politique tient tout entière dans cet espace étroit qui dissocie le virtuel du réel, le principe de l'acte, la puissance du pouvoir : le politique est affaire de volonté ; la politique d'ordre. La politique ne peut qu'épuiser le politique.

Ce pourquoi n'est ici question que de tragique bien plus angoissant que le seul risque de l'abus de pouvoir.

Certes le pouvoir corrompt ! Plus insidieux, le pouvoir est un serpent qui se mord la queue ! Le pouvoir tue la puissance !

Deux leçons pour finir

La première renvoie à l'indice de la grandeur. Il ne saurait être hasardeux que Comte comme Rousseau préférassent des entités petites, seul espace possible pour l'exercice du politique . On voit bien, dans les entreprises comme dans la géopolitique contemporaine de la mondialisation combien la taille critique qu'il faudrait nécessairement atteindre est justement, et toujours, le prétexte avancé pour le glissement insensible du politique vers le technique.

La seconde tient à la conscience vite acquise par Comte de l'impossibilité d'asseoir la cohérence d'une société uniquement sur le savoir, sur la rationalité et combien il fallait pour assurer le lien, le liant, d'une instance qui participât à la fois du rationnel et du sensible, instance qu'il crut trouver dans la religion de l'Humanité.

A Comte avait vu, quoiqu'à une place extravagante, ce qui de métaphysique se nichait sous la politique qui constitue le politique

4- Le retour du politique ?

1 / Une si vieille histoire 2 / déni politique
du politique
3 / déni philosophique
du politique
4 / retour
du politique ?

 

Au fond, et si l'on comprend bien ce qui fut énoncé plus haut, le politique, systématiquement, se trouve écartelé entre déraison et technocratie, entre passions et totalitarisme sans qu'il lui semble possible de s'inventer d'autre espace que celui, subreptice et tellement provisoire, d'une inventivité révolutionnaire, ou encore condamnée à la sinistrose d'un despotisme mou ou la déception.

Si l'on comprend bien, le politique serait réservé au sacré ... ou au crises.

Vraiment ?

Deux dangereux oublis

On a tendance, désormais, à présenter la démocratie à la fois comme l'état normal et final de l'évolution de nos sociétés faisant ainsi preuve d'une étonnante amnésie politique et d'une ignorance trop massive pour être honnête. Ultime relent de l'après communisme où maladroitement on eût pu croire avec Fukuyama que l'histoire se fût enfin achevée ou bien encore effet technocratique de cette pensée unique qui a tendance toujours à considérer l'état actuel des choses pour son état normal, naturel ? Toujours est-il qu'une telle présentation est fautive deux fois.

D'abord parce qu'elle oublie que la démocratie n'a pas toujours eu cette connotation positive et que, bien au contraire, tant dans l'espace grec, qui pourtant l'inventa, que dans la société féodale et ce jusqu'en 89 qui la rejeta vivement, elle s'assimilait plutôt au vulgaire désordre de la populace qu'à une quelconque vertu libératrice ; que, même en 1870, pour des raisons certes circonstantielles tenant à la succession des révolutions de 89, 30 et 48, sans compter la Commune, la république était encore plutôt assimilée au désordre et à la guerre ce qui produisit aux premières élections de l'après défaite une forte majorité monarchiste et bonapartiste. Que c'est oublier aussi que la démocratie grecque était réservée aux seuls citoyens et que, en tout cas, ses rares modèles antiques ressemblaient assez peu au paradigme que la modernité s'en forme désormais.

En conséquence de quoi il faut toujours garder présent à l'esprit que la démocratie elle-même a une histoire, et donc une évolution très liée évidemment aux conditions historiques, idéologiques et politiques de son instauration - à partir de quoi elle reste seule compréhensible. Que c'est aussi une erreur monumentale de prendre le mot pour la chose parce que la compréhension de ce concept est très variable. Qu'enfin, pour reprendre le titre de cet ouvrage de Rosanvallon, la démocratie est toujours inachevée et, sans doute inachevable. Que c'est enfin une erreur non moins monumentale, qui fleure bon son ethnocentrisme, que d'imaginer que l'Europe en eût la définition et l'application seule valide, juste et universelle.

Ensuite, parce que c'est imaginer que la démocratie serait définitivement installée. Or c'est, de manière subreptice mais non moins insidieuse, se placer dans une philosophie non seulement de l'histoire mais de la fin de l'histoire qui ressemble par trop à l'Esquisse d'un Tableau historique des progrès de l'esprit humain de Condorcet pour qu'il ne faille point s'en méfier quelque peu. Que, même si nous avons abandonné depuis longtemps les sirènes d'un progrès nécessaire garanti par on ne sait quelle loi de l'évolution de l'esprit humain (cf: Comte) pour l'appréhender plutôt comme assise sur des déterminismes réels, concrets et, pour tout dire avec Marx mais pas seulement avec lui, économiques ; que même si nous savons que l'histoire avance à coups de conflits, de heurts, de contradictions pas toujours dépassées et qu'on peut ainsi la mieux penser de manière dialectique plutôt que continuiste, que demeure cette fugace tentation de penser une fin de l'histoire dont la démocratie serait la forme accomplie. Hegel, décidément, tu n'es pas mort !

Car c'est oublier que la démocratie se sera, au moins au long de cet étonnant XXe siècle, épuisée au moins deux fois en occident, dans des formes avérées, et monstrueuses, du totalitarisme. Que c'est bien par les urnes qu'Hitler accéda au pouvoir, même si l'on peut considérer que les lâches accointances et illusions de la droite parlementaire allemande le facilitèrent, en même temps que l'imbécile division de la gauche accrue par l'intransigeance stalinienne ; que c'est bien sur la base d'une réelle aspiration à la liberté, d'un soulèvement prolétarien, certes limité, mais avéré, que l'autocratie russe fut renversée pour donner lieu si vite et si systématiquement au totalitarisme soviétique en dépit du si rapide intermède parlementaire Kerensky et de la NEP de Lénine. C'est oublier ainsi que la démocratie n'est pas un hâvre définitif et qu'à sa manière, elle demeure un projet à toujours reconstruire, revivifier, réinventer. Qu'en tout cas, et l'histoire l'aura ainsi cruellement prouvé par deux fois, elle ne saurait être un certificat de vaccination contre quelque dictature ou totalitarisme que ce soit, et peut même, à l'occasion, y introduire. Que le plus grand danger, pour la démocratie, consiste peut-être précisément dans la croyance fallacieuse que cette fois ça y est, que son instauration serait définitive.

Une fausse évidence

Elle a tenu dans les années 90, avec l'effondrement du bloc soviétique, en l'illusion que la démocratie était irrémédiable au point qu'on fît de la démocratisation non seulement un idéal politique mais une politique tout court. N'oublions pas, en effet, que la guerre contre l'Irak fut non seulement pensée comme une guerre contre l'axe du Mal, mais comme l'occasion de forcer par la guerre la carte politique du Moyen-Orient. Nul doute que de telles illusions refleuriront après ce qu'on a appelé le printemps arabe.

Il y eut sans doute autant de mépris post-colonialiste à avoir prétendu longtemps que certains peuples n'étaient pas faits pour la démocratie qu'il n'y a aujourd'hui d'ethnocentrisme présomptueux et furieusement hégémoniste à imaginer qu'en les y aidant un peu, pour reprendre l'expression de Woolsey, ce passage à la démocratie pourrait s'opérer sans embages. Jusqu'à la très récente intervention en Libye, dont on peut approuver en soi le principe quand il s'agissait de prévenir des représailles et des massacres qui ne fut en réalité justifiée que par le principe sacro-saint de la démocratie.

Aveuglement ? C’est bien le mot. L’histoire de ces trente dernières années a été vécue dans le monde occidental avec le présupposé satisfait que la démocratie était un bien qu’il possédait, qu’il avait adéquatement théorisé et réalisé. Le fait de devoir concéder que l’Inde était « la plus grande démocratie du monde » ne suffisait pas à entamer cette certitude et à faire sortir l’Occident de son nombrilisme. L’interroger, c’est-à-dire dénoncer l’écart de la réalité à l’idéal, noter l’inachèvement d’une promesse, a du même coup longtemps conduit à franchir le Rubicon et à adopter le catéchisme contraire du relativisme *

Ce que Rosanvallon montre parfaitement c'est combien peu la démocratie fut, en France ou aux USA le résultat d'un programme clair et prédéfini mais combien plutôt le résultat de réels tâtonnements tant sur la question de la souveraineté, de la citoyenneté que de la représentation. Combien la démocratie, présentée comme un idéal-type ne fait finalement qu'escamoter et son histoire et les contradictions qui ont structuré son histoire :

- les conflits sociaux d'abord que le projet politique républicain semble avoir oublié ou cru dissoudre dans l'unanimisme de ce peuple dont il proclamait et la fraternité et la souveraineté.

- le peuple, lui-même, entité abstraite qui ne semble pouvoir être acceptable que pour autant qu'il s'exprime au travers de représentations filtrées et redevient très vite l'ombrageuse menace du désordre sitôt qu'il fait irruption sur la scène

- le suffrage universel encore qui met tant de temps à s'imposer tant il semble contrevenir à l'idéal rationnel et positiviste d'une science triomphante qui ne saurait se compromettre avec l'opinion fût-elle majoritaire

- l'idéal de liberté enfin qui ne peut que légitimer l'individu - au risque de l'atomiser - alors même qu'il s'agit de faire oeuvre commune suscitant une inévitable contradiction entre le droit qui justifie l'autonomie et le politique qui cherche à le dépasser.

Une vraie question

Celle que pose Lefort : la prodigieuse attente que suscite la démocratie, attente qui oscille incessamment entre religieux et une dérive prométhéenne, quasi eschatologique, se proposant ni plus ni moins que la création d'un homme nouveau.

l’énigme que nous lègue le totalitarisme réside dans la conjonction de la violence et de la croyance. **

Où derechef on peut voir que la question n'est définitivement pas dans l'aveuglement de tel ou tel qui ne sut reconnaître dans l'URSS une illustration parfaite du totalitarisme, ou ne put se résoudre à l'y voir ; pas plus que dans l'égarement de tel autre qui crut voir dans le nazisme la forme moderne par excellence qui accomplît l'essence de la technique.

Non, décidément, c'est de quelque chose de plus profond dont il s'agit, qui structure même l'idée du politique.

Qui se joue dans les axes mêmes qui constituent la crise de la modernité, qui sont nés de cette modernité elle-même, la structurent autant que la menacent :

- le sentiment d'une puissance transcendante dominant tout et tous que l'on va entrevoir soit dans la technique, soit dans l'Etat - sous la forme de la bureaucratie - soit dans l'argent - sous celle des marchés, de la finance

- la crainte de l'éclatement de la communauté sous l'effet des conflits d'intérêts entre classes sociales

- la certitude, par l'interconnexion des relations économiques autant que politiques, que cette mondialisation réduit les marges de manoeuvre de chacun, ruine l'efficacité éventuelle des politiques en se soumettant au désordre mondial de l'économie mondialisée.

- l'effarement devant un temps qui se précipite et avec lui les cultures et traditions qui autorisaient au moins une identité

- la déception devant une démocratie dont on perçoit de plus en plus clairement qu'elle ne serait que formelle en nous soumettant en réalité à des contraintes économiques et des sujétions sociales de plus en plus criantes.

Qui se joue dans cette certitude de plus en plus criante qui les résume tous : qu'il n'est ni plus possible de revenir en arrière que de préparer le futur.

D'où ce sentiment, si caractéristique des périodes de crises, si éloquemment révélateur de notre époque - que la montée des périls ne fait que renforcer - que nous serions à la croisée, où la barbarie n'est plus si éloignée que cela, mais où la civilisation semble plus floue, incertaine et fragile que jamais.

Ce qui se nomme aporie

L'exigence démocratique

On pourrait de ceci reprendre l'analyse d'E Morin et supposer que c'est de la complexité même de la situation, de l'impasse même où nous nous sommes placés que naîtra la réponse.

Ce qui est sûr c'est qu'aucune société, atomisée comme elle l'est devenue désormais, n'a d'avenir. Qu'elle ne peut se dépasser qu'en se réunissant autant de ce qui la fonde, et qui, en république, se nomme reconnaîssance de la volonté générale, respect de la loi qui la garantit.

Nous ne saurions oublier les leçons philosophiques sur la liberté qui apparaît moins comme un état que comme un processus par quoi la volonté tente sinon de contre-carrer en tout cas d'utiliser les déterminismes pour asseoir sa position - n'est-ce pas, après tout exactement ce en quoi consiste la technique ? que la liberté ne saurait être une réalité garantie mais demeure un désir, si violent, qu'il anime la totalité de nos actions ; qu'en conséquence le politique est moins affaire de pouvoir que de puissance.

Dire de la démocratie qu'elle est une exigence c'est à la fois dire qu'elle n'est jamais réalisée mais aussi qu'elle demeure toujours à réinventer. Que l'essence du politique gît en ceci : le refus de la soumission, le rejet de tout fatalisme et la noblesse ambivalente de la révolte et de la sujétion à l'intérêt commun.

Oui la démocratie est histoire, est une création continuée que seule la soumission ou le repli lâche vers des certitudes apaisantes et protectrices peut interrompre.

Or, pour autant qu'il est de l'humain, il y a ce refus, cette révolte, cette rage d'inventer. Où, en toute logique, le désordre approche l'ordre ; le nouveau, l'ancien ; l'individuel, le collectif.

Le politique est cette croisée-ci ; improbable ; impossible ; nécessaire.

Ce pourquoi le politique, en dépit de tout, tel Phénix, renaît de ses cendres.

 


1) Serge Cantin, Le philosophe et le déni du politique. Marx, Henry, Platon , Presse Unisersité de Laval, 1992

2)Est-ce cruel de rappeler ceci ?

Eluard Ode à Staline (1950)


Staline dans le coeur des hommes
Sous sa forme mortelle avec des cheveux gris
Brûlant d'un feu sanguin dans la vigne des hommes
Staline récompense les meilleurs des hommes
Et rend à leurs travaux la vertu du plaisir
Car travailler pour vivre est agir sur la vie
Car la vie et les hommes ont élu Staline
Pour figurer sur terre leurs espoirs sans bornes.

Et Staline pour nous est présent pour demain
Et Staline dissipe aujourd'hui le malheur
La confiance est le fruit de son cerveau d'amour
La grappe raisonnable tant elle est parfaite


3) Platon , République (lire)

Imagine encore que cet homme redescende dans la caverne et aille s'asseoir à son ancienne place : n'aura-t-il pas les yeux aveuglés par les ténèbres en venant brusquement du plein soleil?

Assurément si, dit-il.

Et s'il lui faut entrer de nouveau en compétition, pour juger ces ombres, avec les prisonniers qui n'ont point quitté leurs chaînes, dans le moment où sa vue 517 est encore confuse et avant que ses yeux se soient remis (or l'accoutumance à l'obscurité demandera un temps assez long), n'apprêtera-t-il pas à rire à ses dépens (462), et ne diront-ils pas qu'étant allé là-haut il en est revenu avec la vue ruinée, de sorte que ce n'est même pas la peine d'essayer d'y monter? Et si quelqu'un tente de les délier et de les conduire en haut, et qu'ils le puissent tenir en leurs mains et tuer, ne le tueront-ils pas (463)?

Sans aucun doute, répondit-il.

(...)

Chacun d'entre vous doit donc descendre, à son tour, dans la demeure commune et s'habituer à regarder ce qui est obscur. Cette accoutumance vous permettra en effet de voir infiniment mieux qu'eux, et vous reconnaîtrez chaque image pour ce qu'elle est et ce qu'elle représente, puisque vous aurez vu la vérité des choses belles, justes ou bonnes. Ainsi, le gouvernement de la cité deviendra, pour nous et pour vous, une réalité et non un rêve, comme le sont la plupart des cités actuelles d'où les chefs ne combattent entre eux que pour des ombres et se disputent pour s'emparer du pouvoir, comme s'il s'agissait d'un grand bien. Voici sur ce point la vérité : la cité que gouverneront ceux qui cherchent le moins à exercer le pouvoir aura nécessairement le gouvernement le meilleur et le moins susceptible de rébellions. La cité dont les chefs agiront autrement connaîtra la situation inverse.

4) N'oublions d'ailleurs pas que le référendum raté sur l'Europe n'avait pas d'autre sens que le refus de ce déficit démocratique de la Communauté Européenne.

voir à ce sujet et à l'occasion des crises répétées de la zone Euro ce texte de J Habermas

5) lire Engels Dialectique de la nature

et ce texte inénarrable, sur le matérialisme dialectique : Diamat

6) Pierre-Simon Laplace, Essai philosophique sur les probabilités (1814)

Nous devons donc envisager l’état présent de l’univers comme l’effet de son état antérieur et comme cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome; rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir comme le passé, serait présent à ses yeux. L’esprit humain offre, dans la perfection qu’il a su donner à l’astronomie, une faible esquisse de cette intelligence. Ses découvertes en mécanique et en géométrie, jointes à celle de la pesanteur universelle, l’ont mis à portée de comprendre dans les mêmes expressions analytiques, les états passés et futurs du système du monde. En appliquant la même méthode à quelques autres objets de ses connaissances, il est parvenu à ramener à des lois générales les phénomènes observés et à prévoir ceux que des circonstances données doivent faire éclore. Tous ses efforts dans la recherche de la vérité tendent à le rapprocher sans cesse de l’intelligence que nous venons de concevoir, mais dont il restera toujours infiniment éloigné.

7) A Comte ( à lire )

La décomposition de l'humanité en individus proprement dits ne constitue qu'une analyse anarchique, autant irrationnelle qu'immorale (...) Ces cas maladifs confirment donc eux-mêmes l'axiome élémentaire de la sociologie statique: la société humaine se compose de familles et non d'individus. Selon le principe philosophique posé depuis longtemps, par mon ouvrage fondamental, un système quelconque ne peut être formé que d'éléments semblables à lui et seulement moindres. Une société n'est donc pas plus décomposable en individus qu'une surface géométrique ne l'est en lignes ou une ligne en points.

de Rosanvallon lire Universalisme démocratique

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