Bloc-Notes 2016
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Un moment … juste un moment

Ai toujours regardé ces photos avec une grande émotion peut-être simplement parce que je n'ai pas oublié ceux d'entre les miens qui étant ouvriers connurent alors leurs premières vacances mais surtout quelque chose comme une fierté retrouvée qu'ils n'évoquèrent jamais devant moi sans un tremblement.

Inutile de refaire l'histoire du Front Populaire mais comment ne pas considérer cette - courte période - avec une nostalgique langueur. Voici des hommes qui firent plus en à peine un an que d'autres en cinq ans ; une période, bien trouble cependant et tellement menaçante, où réforme signifiait encore progrès. Nous vivons encore sur cet acquis-là. Ultime écho des incantations du XIXe - il est vrai qu'on y croirait presque entendre encore les envolées lyriques du grand Jaurès - ou prémisses d'une modernité tellement secouée par la barbarie qu'on avait peine à s imaginer un avenir ? Comment savoir ?

 

L'histoire cependant réserve parfois de ces interstices heureux : l'été 36 en fut un ! Les ennuis, les déceptions, les décisions impossibles à prendre viendront bien assez tôt. Le peuple, ce printemps-là, impatient mais soucieux surtout de prendre la parole qu'on lui avait si souvent refusée ; méfiant à l'endroit du pouvoir ? pas même ! seulement décidé à prendre les choses en main. Petite révolution joyeuse finalement : ce l'est toujours quand le peuple se lève : intense, dramatique parfois ; décisive toujours. Eux n'attendirent pas pour être debout !

L'histoire pourtant est tragique et les grandes espérances s'épuisent bien vite dans les ressacs des égoïsmes ordinaires.

Ceux-là surent qu'ils bouleversaient l'ordinaire mais on venait de si loin. La gauche n'est pas si souvent au pouvoir et rarement en temps calmes. Il aura pourtant fallu bien du recul pour s'apercevoir que les années Mitterrand ne furent pas vaines même si elles s'achevèrent sur un goût de cendres ; il en fallut un peu moins pour réaliser que la mandature Jospin fut décisive même si elle s'épuisa dans une incompréhensible défaite. Mais aujourd'hui ? Certes sans recul, je n'arrive pas même à retenir une décision, une seule réforme dont on puisse être fier, que l'on peut espérer durable ; que l'on puisse dire de gauche …

Il nous faudrait un Jaurès, un Blum plutôt que ces contre-façons de technocrates honteux ... Je crois bien ne pas leur pardonner de n'avoir pas vu les périls qui menacent, tant écologiques qu'économiques, ou de n'avoir pas voulu les combattre.

Pourtant la mondialisation, telle qu'entendue par les libéraux, en tout cas, rabote nos droits et l'égalité avec une précision si scientifique et un entêtement tellement obsessionnel qu'on ne peut même plus dire que nous serions trop repus pour avoir encore besoin de nous battre. Pourtant, aussi menaçantes que des guerres, les mutations environnementales que tout le monde voit mais que nul ne sait véritablement penser, obscurcissent l'horizon comme jamais. Entre la récession et la montée des fascismes, Blum était identiquement écartelé ; il ne temporisa pourtant pas. On a écrit parfois d'un ton furieusement méprisant, que les français s'offrirent une récréation plutôt que de regarder la réalité nazie en face. Rien n'est plus faux : c'était au contraire être farouchement réaliste que de tenter d'affronter tout, en même temps. Heureux temps où politique rimait avec volonté et projet !

Il y a bien une leçon à tirer de tout ceci, quand bien même on ne les entende jamais, que ce grand politique que fut Blum nous aura donnée : réalisme et prudence sont sans doute des vertus mais en politique équivalent presque toujours à renoncements.

La gauche, aujourd'hui exsangue, se meurt sans honneur mais dans l'ennui, de n'avoir eu le courage de se battre. Il faudra bien l'entendre un jour : la gauche n'est légitime qu'intempestive. Quand elle se croit raisonnable, elle trahit.