Textes

Guillaume d'Ockham
Connaissance intuitive et connaissance abstractive [8]

 

C'est pourquoi je dis que la connaissance intuitive et la <connaissance> abstractive diffèrent par elles-mêmes et non pas en vertu des objets ni en vertu de leurs causes respectives, bien qu'il ne puisse pas naturellement y avoir une connaissance intuitive sans l'existence de la chose, laquelle est vraiment la cause efficiente médiate ou immédiate de la connaissance intuitive, comme on le dira ailleurs. Mais il peut naturellement y avoir une connaissance abstractive alors que la chose connue est absolument détruite. Et si celui qui pose les différences présentées ci-dessus a compris <les choses> de cette manière, il semble avoir la vérité quant à cette matière, bien que certains <de ses propos>, qui se rapportent à d'autres difficultés, ne contiennent pas la vérité, <propos> dont on parlera en temps et lieu.

<Premier corollaire>

Il s'ensuit qu'il peut y avoir une connaissance intuitive, tant sensitive qu'intellective, d'une chose non-existante. Et je prouve cette conclusion, autrement qu'auparavant, de la manière suivante : toute chose absolue, distincte selon le lieu et le sujet d'une autre chose absolue, peut exister sans celle-ci par la puissance divine absolue, car il ne semble pas vraisemblable que, si Dieu veut détruire une chose absolue existant dans le ciel, il soit nécessité à détruire une autre chose existant sur la terre ; or, la vision intuitive, tant sensitive qu'intellective, est une chose absolue, distincte de l'objet selon le lieu et le sujet ; par exemple, si je vois intuitivement une étoile existant dans le ciel, cette vision intuitive, qu'elle soit sensitive ou intellective, se distingue de l'objet vu selon le lieu et le sujet ; par conséquent, cette vision peut demeurer alors que l'étoile est détruite : donc, etc.

Il est manifeste aussi, à partir de ce qui a été dit auparavant, comment Dieu a une connaissance intuitive de toutes <choses>, qu'elles existent ou n'existent pas, parce que, tout comme il sait que les créatures existent, quand elles existent, de même il sait avec évidence qu'elles n'existent pas, quand elles n'existent pas.

Il est manifeste aussi qu'on peut connaître intuitivement une chose non-existante, si tant est que le premier objet de cet acte n'existe pas — contre l'opinion de certains <auteurs> [Scot] —, parce que la vision sensitive d'une couleur peut être conservée par Dieu alors que cette couleur n'existe pas et, cependant, cette vision se termine à la couleur comme à son premier objet : et, pour la même raison, <il en est de même pour> la vision intellective.

<Second corollaire>

Il est manifeste aussi que notre intellect, dans l'état présent, non seulement connaît les <choses> sensibles, mais il connaît <aussi> en particulier et intuitivement certaines <choses> intelligibles qui ne tombent d'aucune façon sous un sens, pas plus qu'une substance séparée ne tombe sous un sens : et de ce genre sont les intellections, les actes de la volonté, le plaisir qui les accompagne et la tristesse, et <les choses> de ce genre, dont l'homme peut faire l'expérience qu'elles sont en lui, lesquelles cependant ne sont pas des <choses> sensibles et ne tombent pas sous un sens. En effet, que de telles <choses> soient connues par nous en particulier et intuitivement, cela est manifeste, parce que cette <proposition> m'est connue avec évidence : « moi j'intellige ». Donc, ou bien cette <proposition> est première et immédiatement dérivée de la connaissance incomplexe des termes (ou des choses), ou bien elle est connue par une <proposition> antérieure plus connue. Si c'est de la première façon, puisque <la proposition> est contingente, il faut donc qu'un terme (ou une chose désignée par un terme) soit vu intuitivement, parce que s'il était exclusivement intelligé de manière abstractive, puisqu'une telle connaissance, selon tout le monde, abstrait de l'ici et maintenant, par elle on ne pourrait pas connaître une vérité contingente qui concerne une modalité temporelle distincte : donc, une connaissance intuitive est requise pour que <la vérité contingente> soit connue avec évidence. Mais il est manifeste qu'une connaissance intuitive du moi ne suffit pas ; donc, une connaissance intuitive de l'intellection est requise. [...]

En outre, comme nous en avons touché mot, la connaissance reçue par expérience ne peut pas exister sans connaissance intuitive ; or, de ces <choses intelligibles>, la science est reçue par expérience, parce que nous faisons aussi bien l'expérience de ces <choses> en nous que de n'importe quelle <chose> sensible, et personne ne doute davantage <du fait> qu'il aime ou non que <du fait> qu'il a chaud ou qu'il voit : donc, etc.

Donc, tout comme des choses corporelles on peut avoir une connaissance par laquelle on peut connaître une vérité contingente et une autre par laquelle on ne peut pas connaître <la même vérité contingente> de même <en est-il> des choses spirituelles : et ainsi, l'une et l'autre de ces connaissances seront intellectives.