Textes

Guillaume d'Ockham
Si le premier objet connu par l'intellect
est le singulier ou l'universel ? [11]

 


Quodlibet 1, question n°13

[Raison en faveur du « non » :]
Non : parce que l'universel est l'objet premier et propre de l'intellect : donc, il est connu en premier selon la primauté d'engendrement.

[Raison en faveur du « oui » :]
En sens contraire : la même <chose> tout entière est l'objet du sens et de l'intellect ; or, le singulier est le premier objet du sens selon une telle primauté : donc, etc.

Ici, il faut premièrement donner le sens de la question ; deuxièmement, <il faut répondre> à la question.

<Premier article>

Relativement au premier <point>, il faut savoir que l'on prend ici « singulier » non pour tout ce qui est numériquement un, car en ce sens toute chose est singulière, mais on le prend pour la chose qui est numériquement une et n'est pas un signe, naturel ou volontaire ou conventionnel, commun à plusieurs <choses>, de sorte que le mot écrit, le concept et le son vocal significatif proféré ne sont pas des singuliers, mais seulement la chose qui n'est pas un signe commun.

Deuxièmement, il faut savoir que cette question n'est pas comprise au sujet de toute connaissance du singulier, parce que toute connaissance de l'universel est connaissance du singulier — car rien n'est connu par une telle connaissance, sinon le singulier et les singuliers —, mais cependant cette connaissance est commune : or, la question est comprise au sujet de la connaissance propre et simple du singulier.

<Second article : première conclusion>

Au sujet du second <point>, étant supposé que la question est comprise au sujet de la connaissance singulière propre, je dis alors, premièrement, que le singulier, compris au sens susmentionné, est connu en premier selon une connaissance simple et propre à lui.

Ce que l'on prouve <ainsi> : ce qui est intelligé en premier selon une telle connaissance, c'est la chose à l'extérieur de l'âme, laquelle n'est pas un signe ; or, toute chose à l'extérieur de l'âme est singulière : donc, etc. En outre, selon la primauté d'engendrement, l'objet précède l'acte propre et premier ; or, rien <d'autre> que le singulier ne précède un tel acte : donc, etc.

<Deuxième conclusion [le singulier]>

Deuxièmement, je dis que la connaissance simple propre au singulier et première selon une telle primauté est la connaissance intuitive. Que cette connaissance soit première, cela est manifeste, parce que la connaissance abstractive du singulier présuppose l'intuitive au regard du même objet, et non l'inverse. Qu'elle soit propre au singulier, cela est manifeste, parce qu'elle est immédiatement causée ou apte à être causée par une chose singulière, et elle n'est pas apte à être causée par une autre chose singulière, même de même espèce.

<Troisième conclusion [l'universel]>

Troisièmement, je dis que la première connaissance abstractive simple, selon la primauté d'engendrement, n'est pas une connaissance propre au singulier, mais est parfois une connaissance commune, bien plus toujours.

La première <caractéristique> est manifeste, car on n'a pas une connaissance propre et simple d'un singulier au moment où on ne peut pas avoir une connaissance spécifique de ce <singulier>. Or, il en est parfois ainsi, comme il est manifeste dans le cas d'une <chose> qui vient au loin : elle cause une sensation en vertu de laquelle je peux seulement juger que ce qui est vu est un étant. Dans ce cas, il est manifeste que la connaissance abstractive que j'ai en premier, selon la primauté d'engendrement, est une connaissance de l'étant et d'aucune <chose> inférieure : par conséquent, <cette connaissance> n'est pas un concept spécifique ni un concept propre du singulier.

La seconde caractéristique est manifeste, car aucune connaissance abstractive simple n'est davantage la similitude d'une chose singulière que d'une autre qui lui est maximalement semblable, et <la connaissance abstractive simple> n'est pas causée ni apte à être causée par une chose : donc, aucune <connaissance> de ce genre n'est propre au singulier, mais toute <connaissance de ce genre> est universelle.