Textes

Guillaume d'Ockham
Si la création ou la conservation [1]
diffère réellement des choses absolues ? [2]


(Le rasoir d'Ockham [3])
Quodlibet 7, question n°1

Qu'il en est ainsi : parce que la création est une relation [4], mais une chose absolue n'est pas une relation ; donc, etc.

À l'opposé : si elle diffère réellement, cette chose qu'est la création est créée ; donc ou par une création qui est une autre chose, ou non ; si oui, alors il y aura régression à l'infini ; si non, pour la même raison, il faut s'arrêter à la première.

[Sur la question]

Je réponds : cette question comporte une difficulté générale au sujet de la création-action et de la création-passion, de la conservation-action et de la conservation-passion, c'est pourquoi je dis d'une manière générale que ni la création-action [5], ni la création-passion, ni la conservation-action, ni la conservation-passion ne désignent en dehors de l'esprit une chose autre que les choses absolues.

Ce que je prouve par une unique raison, parce que quand une proposition est vérifiée en raison de certaines choses, si trois choses ou deux suffisent pour la vérité de cette proposition, une quatrième est superflue ; mais ces deux propositions sont de cette sorte : « une pierre est créée », « une pierre est conservée », parce qu'elles sont vérifiées en raison de certaines choses, et pour vérifier cette proposition : « une pierre est créée », il suffit de Dieu, de la pierre, et du premier instant où elle a été créée, parce que ces choses étant posées, il est impossible que cette proposition ne soit pas vraie : « une pierre est créée » ; donc la création n'est rien d'autre que ces choses. De la même manière, pour vérifier cette proposition : « une pierre est conservée », il suffit de Dieu, de la pierre, et d'un quelconque instant postérieur à l'instant de la création ; donc la conservation, action ou passion, n'est rien d'autre que ces choses.

[Doute n°1]

Mais il y a ici deux doutes : le premier est au sujet de la création, car on voit qu'elle est autre chose que les choses absolues, puisque Dieu et la pierre restent, et que la création ne reste pas. Ce qui est manifeste après le premier moment de la création. Donc, etc.

En outre, si aujourd'hui du feu produit du feu, que demain Dieu annihile le feu produit, et que le troisième jour Dieu restaure le feu annihilé par une création, ce feu est créé le troisième jour, et pas auparavant par accident ; et cependant toutes les choses absolues qui ont existé le troisième jour, ont existé le premier jour par accident ; donc la création désigne quelque chose, outre les choses absolues.

[Doute n°2]

Le second doute est relatif à la conservation, car Dieu existe, et la pierre également, quand la pierre n'est pas conservée, si l'on distingue la création de la conservation. Ce qui est évident au premier instant, quand la pierre est créée. Donc la conservation est quelque chose en plus de Dieu et de la pierre.

[Sur le doute n°1]

Sur le premier point, je dis que la création de la pierre, active ou passive, ne signifie pas quelque chose de positif distinct de Dieu et de la pierre, mais emporte et signifie que la négation de la pierre précède immédiatement l'existence de la pierre, c'est-à-dire emporte que la pierre existe maintenant et qu'elle n'existait pas immédiatement avant. Et il en est ainsi à chaque fois que, sans aucun autre rapport, on dit que Dieu crée une pierre ou qu'une pierre est créée par Dieu. Et cela seulement au premier instant de la création de la pierre.

Sur le deuxième point, je dis que le feu est créé le troisième jour, et non le premier, parce qu'à un moment donné du troisième jour, il n'y avait absolument rien, puisque le feu était annihilé selon sa matière et sa forme, et qu'immédiatement ensuite, il a existé. Et c'est pourquoi il a été créé, parce que le troisième jour soudain, il n'y avait rien d'abord, et qu'ensuite il a existé. Tandis qu'au premier jour, il n'était pas créé, mais produit, parce que ce premier jour, il ne reçut pas tout son être par sa production, puisque nous avons présupposé qu'il a été objet d'une production.

Et si vous dites : nous posons que seule la forme [6] du feu a été annihilée, et qu'ensuite, le troisième jour, elle a été restaurée par une création. Qu'alors il reste la même matière le premier jour et le troisième, et que cependant il est créé le troisième jour, et non le premier.

Je réponds : la forme du feu est créée le troisième jour, parce qu'alors elle est produite par Dieu seul, qui seul agit à l'extérieur par la création. Mais le premier jour, elle n'a pas été créée par Dieu seul, mais par le feu ; c'est pourquoi elle n'est pas créée.

D'où ce nom de « création », quand on l'utilise simplement au sujet de la pierre, de la même manière qu'on dit que la pierre ou le feu a été créé, et non produit, signifie que le feu juste avant n'existait pas, ou que le feu juste avant n'était rien, et que le feu a été produit par Dieu seul.

[Sur le doute n°2]

Sur le second doute, je dis que la conservation, active ou passive, ne désigne rien d'autre que Dieu et la pierre, mais, de même que la création de la pierre emporte, outre Dieu et la pierre, que la pierre immédiatement avant n'ait pas existé, la conservation de la pierre emporte, outre Dieu et la pierre, que la pierre existe maintenant et ait existé auparavant. Et puisque cela n'est pas vrai au premier instant de la création de la pierre, alors pour cette raison elle n'est pas conservée, mais créée.

Sur l'argument principal, je dis que, bien que « création » soit un nom relatif, il peut cependant signifier et supposer pour des choses absolues. Et c'est pourquoi, en vertu du langage, on doit concéder ces propositions : « la création-action est Dieu » et « la création-passion est la pierre ».