Textes

Guillaume d'Ockham
Si la connaissance intuitive et la connaissance abstractive diffèrent ? [13]


Quodlibet 5, question n°5

[Raison en faveur du « non » :]
Non : parce que la pluralité ne doit pas être posée sans nécessité ; or, la même connaissance, selon sa substance, peut être dite intuitive quand la chose est présente — parce que l'intuitive connote la présence de la chose — et abstractive quand la chose est absente : donc, etc.

[Raison en faveur du « oui » :]
En sens contraire : une proposition contingente peut être connue avec évidence par l'intellect, par exemple : « cette blancheur existe » ; or, <elle n'est> pas <connue avec évidence> par une connaissance abstractive, car celle-ci abstrait de l'existence ; donc, <elle est connue avec évidence> par une <connaissance> intuitive : par conséquent, <l'intuitive et l'abstractive> diffèrent réellement.

<Réponse à la question>
[Position de G. d'Ockham : oui]
La conclusion de cette question est certaine et on peut la prouver par la séparabilité de ces actes <que sont les connaissances intuitive et abstractive>.

Mais <à savoir> comment elles diffèrent, il y a un doute. Et je dis à présent qu'elles diffèrent doublement : d'une <première> façon, <elles diffèrent> en ce que l'on donne son assentiment à une première <proposition> contingente par la connaissance intuitive, mais non par l'abstractive ; d'une autre façon, <elles diffèrent> en ce que, par la connaissance intuitive, non seulement je juge qu'une chose existe, quand elle existe, mais aussi qu'elle n'existe pas, quand elle n'existe pas ; par l'abstractive, je ne juge selon aucun de ces deux modes.

<Première objection> [14]

Mais en sens contraire : cela étant admis, il s'ensuit que Dieu ne pourrait pas causer en nous un acte de connaître par lequel une chose qui est absente nous apparaît être présente : ce qui est faux, puisque cela n'inclut pas de contradiction. La supposition est prouvée <de la manière suivante> : cette connaissance [15] n'est pas intuitive, selon toi, car par la <connaissance intuitive> une chose apparaît exister, quand elle existe, et ne pas exister, quand elle n'existe pas ; <cette connaissance n'est pas> non plus abstractive, car par la <connaissance abstractive> une chose n'apparaît pas être présente.

[...]

<Réponse à la première objection>

À la première de ces <objections>, je dis que Dieu ne peut pas causer en nous une connaissance de cette sorte, par laquelle il nous apparaît avec évidence qu'une chose est présente quand elle est absente, car cela inclut contradiction, parce que la connaissance évidente implique que la proposition pour laquelle est produit l'assentiment désigne vraiment ce qui est dans la réalité. Par conséquent, puisque la connaissance évidente de cette proposition : « une chose est présente » implique que la chose soit présente, il faut que la chose soit présente, autrement il n'y aura pas connaissance évidente. Or, tu supposes que <la chose> est absente, et ainsi, de cette supposition et de la connaissance évidente résulte une contradiction manifeste, à savoir qu'une chose est présente et n'est pas présente. C'est pourquoi Dieu ne peut pas causer une telle connaissance évidente.

Cependant, Dieu peut causer un acte créditif par lequel je crois qu'une chose qui est absente est présente. Et je dis que cette connaissance créditive sera abstractive, non intuitive. Et par un tel acte de foi, une chose peut apparaître être présente quand elle est absente, mais pas cependant par un acte évident.

[...]