Chronique d'un temps si lourd
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Fractures

Enquête plutôt bien nommée que publie et analyse le Monde de ce soir (21-jan-14) et qui à sa manière confirme ce que donnait déjà celle de l'IFOP évoquée il y a quelques jours.

Amateurs de bonnes nouvelles , passez votre chemin écrit F de Montvalon ; il n'a pas tort. C'est que plusieurs indices témoignent d'une société qui souffre, dont l'unité est en péril.

Rupture avec le monde politique d'abord que l'on estime corrompu - ce qui est assez drôle quand on songe que l'honnêteté n'est reconnue que par un tiers des sondés comme une valeur à transmettre (IFOP) - et, de toute manière mal représenter la société, et ne se préoccuper que de ses propres intérêts.

On a ici, surtout si l'on rajoute la défiance grandissante à l'égard de l'Europe, et notamment du fonctionnement démocratique de ses institutions, et tous les ingrédients de ce que fut le maurrassisme (refus des corps intermédiaires, culte du prince etc) et qui fera le lit du fascisme. *

Ce sentiment que la crise emporte tout - et la démocratie surtout - avec elle, l'impression d'une machine qui tournerait à vide ajoutés au sentiment du déclin et de la nécessité de se protéger dessinent un paysage délétère, passablement confus mais surtout terriblement dangereux. Un pays qui se fracture ou qui se fissure ? on a l'impression en tout cas d'un organisme affaibli par la maladie qui ne supporterait plus rien qu'il percevrait comme une agression. D'où un FN perçu par un tiers des sondés - quand même - comme un parti répondant aux problèmes ; d'où, même légèrement en baisse, un appel aux valeurs du passé, cette défiance manifeste à l'endroit de l'islam ....

Lecture tragique de tout ceci : un pays qui se révélerait à lui-même pour ce qu'il est, centré sur sa grandeur passée, méfiant à l'égard de tout ce qui lui est extérieur, aisément raciste ; mais on pourrait tout aussi bien en faire une lecture plus ouverte : un pays qui se fait confiance pour sortir de la nasse et qui regimbe quand l'égalité est en péril et que la démocratie paraît ne plus fonctionner.

Je ne suis pour ma part pas un fervent partisan de la dénégation systématique et si je n'ignore pas ce que nos cultures occidentales peuvent avoir d'ethnocentrique et de suffisance douteuse à l'endroit de ce qui n'est pas elles, je ne puis pour autant pas tenir pour nulles les immenses révolutions qui les secouèrent depuis un siècle : deux guerres qui sapèrent définitivement l'hégémonie européenne dans le monde ; une révolution technique et scientifique qui sapèrent le fond agricole de la France pour la jeter dans une industrialisation sitôt remise en question que débutée ; une mondialisation qui ouvrit les frontières tant aux hommes qu'aux marchandises et crée une société plus cosmopolitique que jamais en tout cas sans commune mesure avec celle, finalement très homogène de 1914 .... on pourrait à l'infini retracer tout ce qui aura bouleversé les fondamentaux de la société française.

Trop viscéralement démocrate, je ne puis pas oublier que ce peuple, volontiers irascible et si aisément susceptible de soubresauts colériques, a conservé quelque chose de sa révolte révolutionnaire. Ne jamais oublier que, plutôt conservateur, il est, en même temps capable, pour cette raison même, de ces grandes turbulences qui balaient tout sur leur passage et réinventent une nouvelle donne. Peuple trop vieux désormais pour de tels accès, ou plus sûrement, colère qui monte, et qui ne manquera pas d'éclater sous une forme qu'il est impossible de prévoir ? Je sais seulement que les mutations qui l'affectent sont trop profondes, mais trop brusques et brutales aussi, que la crise économique puis sociale trop longue - quarante ans déjà - pour ne pas l'ébranler. Cette dépression, parce que c'en est une, cache peut-être une explosion à venir. C'est que ce peuple croit encore en son avenir et, à sa façon, sa natalité encore dynamique, en témoigne.

Nous payons le prix de nos grandes aspirations universalistes : oui bien sûr la tentation de tout ramener à soi pour s'être cru modèle ; mais, en même temps ce grand rêve fou que nous refusons de désapprendre. Le sentiment cruel d'impuissance n'est peut-être que la part d'ombre de l'exorbitance de nos rêves ; l'atonie veule que celle de cette longue patience d'un peuple qui ne tardera pas, demain, à s'ébrouer. On peut l'espérer au moins.

 

Que les pouvoirs en place aient à s'inquiéter, assurément. Ils sont le visage, désormais ridicule, de la coquille vide. Et le contraste violent entre un régime qui s'est présidentialisé à outrance, et l'impuissance qu'il manifeste à pouvoir seulement donner l'impression qu'il a prise sur le réel, ne peut qu'avoir demain des effets redoutables.

Mais oui, c'est vrai, pour le moment, ne reste que l'espoir d'un réveil qui tarde à présenter ses prémices ...

Reste ce qui fonde une cité et, à l'autre extrême, la détruit. Le comprendre est malaisé et demanderait de longs développements que je réserve à cette politique que je voudrais écrire après ma métaphysique et ma morale.

Et se consoler ... Poursuivre la lecture des séminaires de Castoriadis ....

 


1) relire