Chronique d'un temps si lourd

Ce déclin que je ne saurais voir


LE MONDE | 21.01.2014 à 18h58 • Mis à jour le 21.01.2014 à 19h05 |
Par Arnaud Leparmentier



L'affaire nous rappelle Les Animaux malades de la peste et ce pauvre âne, victime expiatoire idéale, qui avait eu le malheur de tondre un pré de la largeur de sa langue. « A ces mots, on cria haro sur le baudet », raconte la fable de La Fontaine. Début janvier, on cria haro sur Newsweek, et sur sa journaliste téméraire Janine di Giovanni. Son crime ? S'être trompée sur le prix d'un demi-litre de lait à Paris, évalué à 3 euros, ou s'être émue, un brin puritaine, que la sécu lui offre des séances de rééducation périnéale après son accouchement, pour être rapidement désirée par son mari. La journaliste fut bien vite traduite devant le tribunal médiatique pour avoir dénoncé « The Fall of France », la chute de la France.

Un vrai tabac : 517 commentaires ont été postés sur l'excellent blog des décodeurs du Monde.fr, « les mille et une erreurs d'un article de “French bashing”». Une cause nationale : « C'est le pompon », proclama le ministre des finances Pierre Moscovici, tandis que la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, invitait sur Twitter « tous les lecteurs de Newsweek à visiter la France telle qu'elle est. Loin des clichés, elle n'en est pas moins digne de fantasmes. »

Si les détails de Newsweek sont inexacts, la musique est juste. Mais peu importe, l'intérêt de l'affaire ne réside pas dans l'article, mais dans les réactions qu'elle suscite. Les Français ne supportent plus le French bashing, surtout venu d'ailleurs. Ils n'ont pas aimé la tribune de David Cameron brocardant en cadeau de Nouvel An les déboires du socialisme français. Faute de pouvoir attaquer le premier ministre de Sa Majesté, le Quai d'Orsay a vite trouvé une victime et envoyé son ambassadeur contester en dix points le french bashing irritant d'un journaliste inconnu au bataillon, Allister Heath.

En ces temps de vaudeville élyséen, ces indignations outragées frisent la tartufferie : couvrez ce déclin que je ne saurais voir ! Et elles n'empêchent pas les Français de continuer de penser le pire d'eux-mêmes. Ad nauseam. C'est ce qui ressort de l'étude Ipsos réalisée en juillet 2013 pour Crédit agricole-assurances dans sept pays européens. La France qui tombe, depuis Nicolas Baverez en 2003, n'en finit pas de dégringoler : 60 % des Français ont le sentiment d'être en régression sociale par rapport à leurs parents (contre 7 % des Allemands, un tiers des Britanniques et la moitié des Italiens). La situation s'est fortement dégradée en un an : 61 % craignent de basculer dans la précarité (+ 11 points) et 48 % (+ 7) de perdre leur emploi. Les Français broient du noir, tels les Espagnols écrasés par le chômage et les Polonais rattrapés par la crise après des années de cavalier seul heureux.

Patriote, Brice Teinturier, directeur général d'Ipsos, a affiné la question du déclin français en s'interrogeant sur son irréversibilité. Divine surprise ! Sur les 85 % de Français qui pensent que la France est en déclin, 20 % estiment que celui-ci est irréversible et 65 % qu'il ne l'est pas (enquête de janvier 2014). Il est donc permis d'espérer. Et en ce début d'année, chacun se donne le mot, à l'exception du FN qui n'aime pas la France. Dès ses voeux du Nouvel An, François Hollande a donné le ton : « Plus que jamais, il faut aimer la France. Rien n'est pire que le dénigrement de soi. Etre lucide n'a jamais empêché d'être fier. » Le patronat a approuvé le pacte de confiance proposé par Hollande tout comme les centristes.

FATIGUÉS DE DIRE DU MAL

L'heure est si grave qu'elle est à l'union nationale. Mieux, elle est à l'union européenne. Au lendemain de la conférence de presse du 14 janvier, nos voisins étaient dithyrambiques sur le virage élyséen. « 30 milliards d'euros de coupes d'impôts pour doper l'économie », applaudit à Londres le Financial Times. « Des réformes en profondeur », salue la Frankfurter Allgemeine Zeitung, le grand quotidien conservateur allemand, à l'unisson avec le parti d'Angela Merkel. « Mieux vaut tard que jamais. Ce sont des projets courageux », a salué le député chrétien-démocrate Gunther Krichbaum, avant de trancher : « La France n'a pas le choix. » Lui et ses acolytes n'ont guère le choix non plus. Après avoir dénoncé le retour partiel de la retraite à 60 ans, la taxe à 75 % sur les hauts salaires, les envies de nationalisation de Montebourg, nos voisins sont fatigués de dire du mal de la France. Ils veulent aussi se raconter une autre histoire de France. Croire en elle.

Mais celle-ci a-t-elle vraiment bougé ? Comme naguère Sarkozy, Hollande ne cesse de changer : rapport Gallois de l'automne 2012, conférence proeuropéenne de mai 2013, virage de janvier 2014. A chaque fois, l'on s'esbaudit, saluant le virage « à la Schröder » du président, enfin social-démocrate.

Vraiment ? L'affaire a un petit goût de déjà-vu. En Allemagne, lors du premier mandat de Gerhard Schröder, l'on scrutait les petits progrès : une réformette des retraites, une once de rigueur budgétaire. Tout cela était homéopathique, jusqu'à ce que le chancelier décide de s'atteler réellement à la réforme de son pays. Entre la restauration de la compétitivité et le retour à l'équilibre budgétaire, Schröder avait sacrifié la seconde à la première, Hollande a lui aussi commencé par sacrifier l'orthodoxie budgétaire. Le retour à l'équilibre est sans cesse reporté, et la Commission de Bruxelles ne pipe mot. Quant au choc de compétitivité, il reste timoré avec un effort supplémentaire pour les entreprises limité à 10 milliards d'euros. Ajoutons-y une remise à plat fiscale mort-née, une réforme des retraites aussi vite adoptée que creuse. Le French bashing a de beaux jours devant lui.