Il faut
admettre que le pouvoir s’exerce plutôt qu’il ne se possède, qu’il n’est pas
le privilège acquis ou conservé de la classe dominante, mais l’effet
d’ensemble de ses positions stratégiques - effet que manifeste et parfois
reconduit la position de ceux qui sont dominés. Ce pouvoir d’autre part ne
s’applique pas purement et simplement, comme une obligation ou une
interdiction, à ceux qui “ne l’ont pas”; il les investit, passe par eux et à
travers eux; il prend appui sur eux, tout comme eux-mêmes, dans leur lutte
contre lui, prennent appui à leur tour sur les prises qu’il exerce sur eux.
[…]
Peut-être faut-il aussi renoncer à toute une tradition qui laisse imaginer
qu’il ne peut y avoir de savoir que là où sont suspendues les relations de
pouvoir et que le savoir ne peut se développer que hors de ses injonctions,
de ses exigences et de ses intérêts. Peut-être faut-il renoncer à croire que
le pouvoir rend fou et qu’en retour la renonciation au pouvoir est une des
conditions auxquelles on peut devenir savant. Il faut plutôt admettre que le
pouvoir produit du savoir ( et pas simplement en le favorisant parce qu’il
le sert ou en l’appliquant parce qu’il est utile); que pouvoir et savoir
s’impliquent directement l’un l’autre; qu’il n’y a pas de relation de
pouvoir sans constitution corrélative d’un champ de savoir, ni de savoir qui
ne suppose et ne constitue en même temps des relations de pouvoir. Ces
rapports de “pouvoir-savoir” ne sont donc pas à analyser à partir d’un sujet
de connaissance qui serait libre ou non par rapport au système du pouvoir;
mais il faut considérer au contraire que le sujet qui connaît, les objets à
connaître et les modalités de connaissance sont autant d’effets de ces
implications fondamentales du pouvoir-savoir et de leurs transformations
historiques.
En bref, ce n’est pas l’activité du sujet de connaissance qui produirait un
savoir, utile ou rétif au pouvoir, mais le pouvoir-savoir, les processus et
les luttes qui le traversent et dont il est constitué, qui déterminent les
formes et les domaines possibles de la connaissance. |