Qu'est donc le pouvoir du plus riche des riches à côté du
pouvoir d'un capitaine? Le genre d'esclavage qui résulte de la pauvreté
laisse toujours la disposition de soi, le pouvoir de changer de maître, de
discuter, de refuser le travail. Bref, la tyrannie ploutocratique est un
monstre abstrait, qui menace doctrinalement, non réellement. Le plus riche
des hommes ne peut rien sur moi, si je sais travailler; et même le plus
maladroit des manœuvres garde le pouvoir royal d'aller, de venir, de dormir.
C'est seulement sur la bourgeoisie que s'exerce le pouvoir du riche, autant
que le bourgeois veut lui-même s'enrichir ou vivre en riche.
Le pouvoir proprement dit me paraît bien distinct de la richesse; et,
justement, l'ordre de guerre a fait apparaître le pouvoir tout nu, qui
n'admet ni discussion, ni refus, ni colère, qui place l'homme entre
l'obéissance immédiate et la mort immédiate; sous cette forme extrême, et
purifiée de tout mélange, j'ai reconnu et essaie de faire voir aux autres le
pouvoir tel qu'il est toujours, et qui est la fin de tout ambitieux. Quelque
pouvoir qu'ait Harpagon par ses richesses, on peut se moquer d'Harpagon. Un
milliardaire me ferait rire s'il voulait me gouverner; je puis choisir le
pain sec et la liberté.
Disons donc que le pouvoir, dans le sens réel du mot, est essentiellement
militaire, et qu'il ne se montre jamais qu'en des sociétés armées, dominées
par la peur et par la haine, et fanatiquement groupées autour des chefs dont
elles attendent le salut ou la victoire. Même dans l'état de paix, ce qui
reste de pouvoir, j'entends absolu, majestueux, sacré, dépend toujours d'un
tel état de terreur et de fureur. Résister à la guerre et résister aux
pouvoirs, c'est le même effort. Voilà une raison de plus d'aimer la liberté
d'abord. |