Claude LÉVI-STRAUSS (1908/2009)

Biographie Bibliographie Textes

 

La vie de Lévi-Strauss

lsNé à Bruxelles en 1908, Lévi-Strauss entreprend d'abord des études de philosophie, avant de se découvrir une vocation d'ethnologue. Nommé professeur de sociologie à l'Université de Sâo Paulo en 1934, il organise sa première expédition chez les Indiens Nambikwara du Brésil, qu'il racontera plus tard dans l'inoubliable Tristes tropiques (1955).
C'est pendant la guerre, au contact de Roman Jakobson, tenant de la linguistique structurale, qu'il prend conscience de la fécondité scientifique d'une telle approche appliquée aux faits sociaux. Ainsi la « structure » entre en ethnologie avec Les Structures élémentaires de la parenté (1949), où la prohibition de l'inceste est interprétée comme relevant de la règle fondamentale de d'échange qui est à l'oeuvre dans toute société humaine.
Rentré en France dés 1948, Lévi-Strauss étend considérablement son audience avec la publication, en 1958, de ce que l'on considère comme le premier manifeste du structuralisme (extra-linguistique) : l'Anthropologie structurale. Directeur d'études à l'École pratique des hautes études, Lévi-Strauss travaille alors à la rédaction des Mythologiques qui paraissent, en quatre volumes, entre 1964 et 1971. Élu en 1973 à l'Académie française, il enseigne l'anthropologie structurale au Collège de France de 1974 à 1982, date de son départ à la retraite. Il a, ces dernières années, publié de nombreux livres qui prolongent ou précisent l'analyse des mythes commencée dans la série des Mythologiques. Citons notamment La Potière jalouse (1985) et Histoire de lynx (1991 ).

Nature et culture

La grande fécondité de la méthode structurale tient à ce qu'elle est censée s'appliquer à des contenus extrêmement divers. On peut cependant dégager un trait commun aux nombreux objets auxquels s'est intéressé Lévi-Strauss : leur caractère apparemment irrationnel et gratuit. Qu'il s'agisse des mythes, des manières de table ou des règles de politesse, on a toujours affaire à des aspects de la vie sociale dont la raison échappe totalement à ceux-là mêmes qui les adoptent. Si l'on demande à un Européen les raisons pour lesquelles il mange avec un couteau et une fourchette, il invoquera sans doute l'usage et le poids des traditions, mais il aura bien du mal à justifier rationnellement cet usage. L'ambition de l'ethnologie, on l'aura compris, est de découvrir la logique qui sous-tend ces conduites et, en dernière instance, de montrer l'ordre véritable sous le désordre apparent.
Le tabou qui, dans toutes les sociétés humaines, pèse sur l'inceste constitue, à ce titre, un véritable « scandale » pour l'ethnologue. En effet, voilà un interdit qu'on pourrait croire naturel (précisément parce qu'il est universel), mais dont les modalités précises varient pourtant en fonction du groupe considéré ce qui le situerait plutôt du côté de la culture. Universelle mais d'extension différente, la prohibition de l'inceste « présente sans la moindre équivoque, et indissolublement réunis, les deux caractères où nous avons reconnu les attributs contradictoires de deux ordres exclusifs » : ceux de la nature et de la culture. Comment expliquer cette contradiction ?
L'hypothèse de Lévi-Strauss est que la règle qui prohibe les relations sexuelles avec de proches parents sert un vaste réseau d'échange et de communication, au sein duquel circulent des femmes, mais aussi des biens et des messages. En obligeant en effet la femme à quitter son milieu « naturel » (ses frères de sang) pour se marier dans un milieu « culturel » (étranger à sa propre famille), l'interdit de l'inceste constitue non seulement la démarche fondamentale « en laquelle s'accomplit le passage de la Nature à la Culture », mais il amorce une série d'échanges (avec la pratique de la dot notamment) qui préfigurent la structuration économique de la société. Par où l'on voit qu'un tabou en apparence irrationnel est un moyen positif d'assurer rationnellement la communication entre les différentes familles du groupe et, par là, de perpétuer l'existence même du groupe.

La pensée sauvage



Dans son Anthropologie structurale (1958), Lévi-Strauss précise la méthode qu'il appliquera désormais aux mythes et à la pensée totémique. À partir de l'observation et de la description exhaustives de milliers de faits bruts et encore inintelligibles se rapportant à un même phénomène social, l'anthropologue tentera de construire un modèle formel capable de mettre au jour les structures qui rendent intelligible la réalité étudiée. Appliquée au totémisme et à ce qu'on appelle la « pensée sauvage », cette méthode permet d'établir que, loin d'avoir affaire à une pensée primitive et« pré-logique » (à une pensée « de sauvages », serait-on tenté de dire), on est en présence d'une pensée guidée par une logique rigoureuse et par le souci constant de classer, d'ordonner, de ranger, de mettre « chaque chose à sa place ». La pensée sauvage, en ce sens, s'apparente tout à fait à notre démarche scientifique.
Il y a pourtant une différence de taille entre la science expérimentale, telle que nous la connaissons dans nos sociétés, et la pensée sauvage : cette dernière, contrairement à la science, n'est quasiment d'aucune efficacité pratique. C'est que, précise Lévi-Strauss, ces deux activités ne visent guère le même but. Alors que la science ambitionne de fournir à l'homme les moyens de maîtriser la nature, la pensée sauvage « répond à des exigences intellectuelles, avant ou au lieu de satisfaire à des besoins ». Il s'agit en effet pour elle de construire une vision cohérente du monde, d'introduire un début d'ordre dans le divers phénoménal. On peut dire que, d'une certaine façon, la pensée mythique est à la science ce que le bricolage est au travail de l'ingénieur — une synthèse spontanée de matériaux hétéroclites et limités (on bricole avec ce qu'on a sous la main). Cependant, « comme le bricolage sur le plan technique, la réflexion mythique peut atteindre, sur le plan intellectuel, des résultats brillants et imprévus ».

Les mytho-logiques



Avec les récits mythologiques, il semble qu'on atteint le fond irrationnel de toute société. N'oppose-t-on pas, depuis l'Antiquité, le muthos et le logos, le mythe et la raison ? Règne présumé de l'arbitraire et de l'imagination débridée, le mythe constitue, comme l'interdit de l'inceste ou la pensée totémique, un défi exemplaire pour l'analyse structurale. Aussi Lévi-Strauss va-t-il entreprendre, dans la série des Mythologiques ainsi que dans les ouvrages qui suivront, l'étude de plusieurs milliers de mythes amérindiens, en vue de dresser une« grammaire générale des mythes ».
Les mythes, tout comme les énoncés linguistiques, se laissent décomposer en unités élémentaires que l'on appelle des « mythèmes » (par rapprochement avec les « morphèmes » que le linguiste isole dans la phrase). Une fois ces mythèmes classés et mis en relation les uns avec les autres, Lévi-Strauss est en mesure de montrer que les mythes sont loin, eux aussi, d'être irrationnels. En effet, ils se présentent comme des jeux de variantes logiques qui mobilisent les structures universelles de l'esprit humain. Reposant sur des relations d'opposition, de transformation ou d'inversion, le mythe vaut donc davantage pa les structures sous-jacentes qu'il véhicule que par les personnages qu'il me explicitement en scène. Ainsi, lorsqu'un mythe raconte les origines fabuleuses de tel ou tel animal, il élabore une véritable taxinomie (table des lois d'après les quelles on classe les êtres vivants) qui relève, non pas de l'imaginaire le plus débridé, mais bien déjà de la science. Lévi-Strauss est donc autorisé à conclure que, dans les activités qui n'ont pas de fonction pratique précise (comme c'est le cas pour le mythe ou pour la pensée totémique), l'esprit est en quelque sorte « livré en tête à tête avec lui-même ». Quand il n'est pas mû par l'obligation de composer avec la réalité des choses, c'est sa propre logique interne que l'esprit de l'homme décrit et met à nu : il « avère ainsi sa nature de chose parmi les choses ».

©Encyclopaedia Universalis 1998

 

Textes

 

A-D E-I J-Q R-Z audios-vidéos
Barbarie écriture miel et cendres Recherche scientifique ITV Garcin en 84 (vidéo en 7 parties)
bricoleur Férocité? Nature Culture sciences humaines ITV J Chancel 1988 (audio)
Communication Hasard progrès notion de structure Vernant/Levi-Strauss
  Homme   Sur Rousseau ITV 1956 (audio)
  inceste   sur Mauss ITV Pivot 1984
  inceste      
         
L'ethnologue est un bricoleur     Le triangle culinaire  
La biologie, science exemplaire (Sur François Jacob)     La difficulté croissante de vivre ensemble  
Interviews
A contre-courant Un coup de foudre (sur Jacobson) Plaidoyer pour le Nouveau Monde Etes-vous surréaliste?  
Ce que je suis Freud chez les Jivaros (à propos de la Potière jalouse) Réconcilier sensible et intelligible Je hais les voyages  
Don Quichotte anthropologue Une grâce miraculeuse (sur Michel Leiris)      

 

 

 

Interview

Père Noël supplicié

notion de structure

Œuvres de Claude Lévi-Strauss


• La Vie familiale et sociale des Indiens Nambikwara , Société des américanistes, Paris, 1948 ;
Les Structures élémentaires de la parenté , P.U.F., Paris, 1949 (nouv. éd. revue, Mouton, La Haye-Paris, 1968) ;
Race et histoire , U.N.E.S.C.O., Paris, 1952 ; « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss », in M. Mauss, Sociologie et anthropologie , P.U.F., 1950 ;
Tristes Tropiques , Plon, Paris, 1955 ; Anthropologie structurale , ibid. , 1958 ;
Le Totémisme aujourd’hui , P.U.F., 1962 ; La Pensée sauvage , Plon, 1962 ;
Mythologiques , t. I : Le Cru et le Cuit , ibid. , 1964 ; t. II : Du miel aux cendres , ibid. , 1967 ; t. III : L’Origine des manières de table , ibid. , 1968 ; t. IV : L’Homme nu , ibid. , 1971 ;
Anthropologie structurale deux , ibid. , 1973 ;
La Voie des masques , 2 vol., Skira, Genève, 1975 (nouv. éd. augmentée et rallongée de Trois Excursions , Plon, 1979) ;
Myth and Meaning , Routledge & Kegan Paul, Londres, 1978 ;
Le Regard éloigné , Plon, 1983 ;
Paroles données, ibid. , 1984 ;
La Potière jalouse , ibid., 1985.
Entretiens avec Claude Lévi-Strauss , de G. Charbonnier, Plon et Julliard, 1961
De près et de loin , entretiens avec C. Lévi-Strauss par D. Eribon, éd. Odile Jacob, Paris, 1988.

Études
• N. & T. HAYES dir., Claude Lévi-Strauss, the Anthropologist as Hero , M.I.T. Press, Cambridge (Mass.), 1970
• M. HÉNAFF, Claude Lévi-Strauss , Belfond, Paris, 1991
• M. IZARD & P. SMITH dir., La Fonction symbolique , Gallimard, Paris, 1979
• E. LEACH, The Structural Study of Myth and Totemism , Tavistock Publ., Londres, 1967 ; Lévi-Strauss , Seghers, Paris, 1970 (trad. franç. D. Verguin)
• M. MARC-LIPIANSKY, Le Structuralisme de Lévi-Strauss , Payot, 1973
• O. PAZ, Deux Transparents : Marcel Duchamp et Lévi-Strauss , Gallimard, 1970 (trad. franç. R. Marrast)
• J. PIAGET, Le Structuralisme , coll. Que sais-je ?, P.U.F., 1968
• Y. SIMONIS, Claude Lévi-Strauss, ou la Passion de l’inceste , Aubier-Montaigne, 1968, Flammarion, 1983
• D. SPERBER, « Le Structuralisme en anthropologie », in O. Ducrot, T. Todorov et al., Qu’est-ce que le structuralisme ? , Seuil, 1968.