palimpseste Chroniques

Flottements du côté de l'exécutif

1) Offensive et dénigrement

2) Aurorité et compétence

janvier février mars avril mai juin juillet août septembre octobre novembre décembre

On le sentait venir depuis un moment : à la rentrée morose toute de dénigrement empreinte, il fallait bien que le pouvoir réagisse. Il le fait : Hollande et Ayrault beaucoup plus présents sur les ondes qui rappellent le cap, la perspective et qui même accélèrent le mouvement en convoquant le Parlement plus tôt que prévu .... Pourtant rien n'y fait : l'impression reste désastreuse d'un trou d'air à la tête de l'Etat et le procès en incompétence se poursuit dans un incroyable chorus de dénigrement où les hebdomadaires de gauche ne sont pas moins virulents que ceux de droite.

Deux interventions successives d'Ayrault 1 mais rien ne semble pouvoir y faire .... Il a beau sembler presque s'excuser de vacances qui ne l'étaient pas vraiment ; taper du poing d'un ça suffit qui n'effraie personne et surtout pas les protagonistes des ultimes bisbilles gouvernementales ; rappeler que la grande difficulté est de joindre une politique d'urgence avec des réformes de structure ; clamer que la politique du gouvernement est claire ... justement elle ne l'est pas. Et contrairement à certains qui se posent la question d'un problème qui serait ou politique ou de communication, il m'apparaît plutôt que c'est conjointement qu'il fait envisager la question parce que jamais la forme ne se distingue véritablement du fond.

C'est un classique du genre : à chaque difficulté rencontrée, l'exécutif joue habituellement de deux cordes : ou bien celle de la communication en reconnaissant n'avoir pas été bien compris par l'opinion sans doute pour s'être mal expliqué ; ou bien en s'en prenant aux médias qui seraient, en montant en épingle quelques anicroches de détail, à l'origine de la mauvaise ambiance voire d'une véritable campagne de dénigrement.

L'essentiel n'est pas là, même s'il est vrai qu'à regarder la une des hebdomadaires de la semaine, on ne peut pas ne pas s'interroger sur l'amplitude d'un mouvement qui ne concerne pas que la presse d'opposition.

Étonnante en tout cas cette incapacité à gérer le faux plat de l'été : pourtant, c'est bien la configuration de tout nouvel élu depuis 1974 qui n'a donc rien d'insolite ; pourtant Hollande avait bien su, après les primaires, gérer le faux plat qui le séparait du véritable début de campagne en janvier. Alors ?

La réponse est peut-être à chercher dans la campagne elle-même : dans le profond désarroi de l'électorat qui a parfaitement conscience de la gravité de la crise, qui sait très bien que pas grand chose n'est possible ; dans cette campagne où les promesses furent rares auxquelles personne n'aurait vraiment cru d'ailleurs ; dans un programme - les 60 propositions - que personne n'a véritablement lu, qui n'était pas lisible d'ailleurs faute d'offrir de réelle perspective, où l'on aura juste retenu qu'il était possible à la fois de sortir de l'endettement et de mener une politique sociale, sans qu'on sût jamais comment. Que l'électorat se fut déterminé par un rejet du sarkozisme est évident - quand même ce rejet ne fut pas aussi violent qu'on eût pu le croire - que le vote Hollande a aucun moment ne suscita de réel enthousiasme ne l'est pas moins ; que la campagne tout obnubilée qu'elle fut de ne pas faire de promesses inconsidérées évita en réalité les problèmes cruciaux pour s'égarer même dans les questions troubles de l'identité et de la frontière, on s'en souvient. Mais tout ceci combiné aboutit à ce que le message de l'électorat manqua du coup de lisibilité qui ne présentait pas de choix tranché pour une politique économique et sociale claire.

Les trois déficits de Hollande

C'est bien ici le premier déficit de Hollande : qui vient de bien plus loin que des éventuelles erreurs de casting qu'il eût pu commettre avec Hollande ou du piège que représenterait finalement le souci de normalité proclamé. Ni la campagne, ni l'élection ne se sont faites finalement sur un programme, mais sur une impression, un désir vague plus négatif que réellement positif ; sur un rejet. En tout cas pas sur la conscience claire de ce sur quoi on s'engageait.

Mais ce n'est pas le seul.

Second déficit qui tient à la conception même qu'on se fait en haut lieu du pouvoir et qui, si elle satisfait assez bien le souci de rééquilibrage des pouvoirs en faveur du législatif que l'hyper-présidentialisation aura malmenée ces cinq dernières années, ne prend néanmoins pas la mesure ni des circonstances exceptionnelles ni de l'habitude prise d'un interventionnisme systématique de l'exécutif - ce que Ayrault nomme la désintoxication nécessaire qui ferait que si le pouvoir n'intervient pas à tout bout de champ à chaque événement survenant, l'opinion publique aurait l'impression qu'il ne ferait rien, la désagréable sensation de la vacuité du pouvoir.

Or, pour autant qu'il y ait ici quelque réalité à cette sensation, ce serait alors non le fait exclusif de la presse, qui a toujours besoin d'événements et de scoop, mais aussi celui de l'opinion publique - mais alors la question est plus profonde, radicale qu'il n'y paraissait à première vue. 2 Qu'une grande partie de l'équipe n'ait eu aucune expérience ministérielle est une évidence (Ayrault en tête) pour autant à deux ou trois ajustements près de début de mandat, on pourrait supposer que la question se fût réglée durant l'été : or, non seulement ce ne semble pas avoir été le cas mais cela ne semble pas plus s'arranger. Alors évidemment on peut toujours se protéger derrière son petit doigt et fustiger la presse qui appuie là où cela fait mal, mais il se laisse trop dire que s'y joue un réel manque d'autorité pour que ceci ne mérite pas qu'on y prête attention. En tout cas, entendre pour la seconde fois un Ayrault protester de son autorité a manifestement quelque chose de dérisoire et de déplorable. L'autorité ne se décrète pas, on le sait. 3

Troisième déficit, et non des moindres, parce qu'il est essentiellement politique : on ne s'y retrouve pas ; en tout cas la gauche ne s'y retrouve pas. Passe encore que Hollande ait pris la gauche à revers en faisant exactement le contraire de ce que cette dernière a toujours fait - distribuer d'abord et réformer ensuite - pour adopter, au nom du sérieux et de la rigueur, l'attitude exactement contraire qui vise à stabiliser les finances publiques, faire les réformes structurelles indispensables pour, demain peut-être, en tout cas au mieux dans la seconde moitié du quinquennat, redistribuer les efforts consentis par tous. Mais que, pour donner des gages de sérieux, on ait passé l'été à jouer le sécuritaire en chassant les Roms ; provoqué un joli couac entre Valls et Taubira à propos des centres éducatifs fermés, c'est-à-dire finalement mené une politique dont on eut du mal à voir ce qui la différenciait de la politique sécuritaire de Sarkozy ; joué la provocation en affirmant l'avenir de la filière nucléaire en rendant dès lors confuse la politique annoncée de basculement progressif de notre industrie vers le durable ; tout cela donne à la politique gouvernementale une détestable impression d'improvisation - au mieux - de trahison, au pire. Mélenchon peste de son côté - c'était prévisible ; mais les Verts fulminent discrètement, coincés qu'ils sont par leur présence au gouvernement - la muselière de Duflot - et la nécessité de s'imposer politiquement.

Ces trois déficits combinés forment un curieux mélange d'embrouillamini à la fois politique et d'image. Je l'ai précisé : je ne crois pas à la distinction entre forme et fond , pour autant il est indéniable que le flottement que subit aujourd'hui l'exécutif, pour délétère qu'il soit, participe d'un parti pris idéologique - où le temps a son importance - en même temps qu'il produit une image assez rapidement désastreuse mais qui reflète assez bien notre rapport ambigu au pouvoir. Car ce n'est certainement pas un hasard si c'est en terme d'autorité et de compétence que la presse pose le problème. Non plus que ce soit exactement en ces termes que Hollande ait réagi lors de cette entretien impromptu accordé au Monde.

Ce pourquoi il faut revenir sur la question avant d'aborder la question de l'image

Aurorité et compétence (suite)


1) sur France 2 puis sur France Info

2) et qui renvoie à la conception même qu'on peut se faire de la démocratie et de la souveraineté populaire (voir à ce sujet Castoriadis)

3) sur ce sujet, à plusieurs reprises évoqué ici, lire ce passage essentiel de H Arendt dans Sur la violence où elle évoque la distinction nécessaire à tracer entre pouvoir, puissance et autorité