palimpseste Chroniques

Flottements du côté de l'exécutif

1) Offensive et dénigrement

2) Autorité et compétence

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Autorité :

un terme commun au politique et à la pédagogie puisqu'on le retrouve, souvent, dans ce dossier consacré par le Nouvel Obs aux enseignants. Avec cette tendance à supposer que certains en sont naturellement dotés, d'autres non. Celle en tout cas que l'on dénie aux mauvais ; mauvais profs, mauvais politiques. Celle qu'on suppose Ayrault ne pas avoir, ce qui pour un Premier Ministre serait la tare originelle.

De auctoritas qui lui même dérive de augeo : faire croître, augmenter mais aussi rehausser, améliorer. L'auctoritas renvoie au droit (autorité de la chose jugée) mais aussi à la garantie c'est-à-dire ce qui impose confiance. Elle consacre l'influence, le prestige de quelqu'un mais en même temps ce que e terme tient de auctor c'est l'impulsion, la capacité à faire croître et en général agir.

J'aime assez ce terme, je l'avoue, pour tout le champ qu'il ouvre, de l'auteur à l'autorité ; de l'autorité à l'autoritaire ; de l'auteur à l'acteur où semble se jouer quelque chose de la pulsion - pour la dynamique et le risque constant de l'ὕϐρις.

Avoir de l'autorité, au fond, c'est être à même de faire agir les autres au moins autant que de pouvoir agir sur eux. Le comble de l'autorité réside en fait dans ce moment précis où l'on est l'auteur réel des actes commis par les autres, où l'on serait parvenu à leur croire qu'ils veulent ou désirent ce qu'en réalité nous voulons qu'ils veuillent ou désirent. Dans cette circonstance, qui participe de la virtualité pure, et donc aussi de la vertu, où la puissance ne se montre pas, n'a pas même besoin de se concrétiser.

H Arendt * dans le passage cité, la caractérise comme impalpable : elle a raison. L'autorité implique l'obéissance - et la suppose inconditionnellement. Ce qui est caractéristique de l'autorité c'est bien qu'elle n'existe et ne subsiste que pour autant qu'elle soit reconnue absolument par ceux sur qui elle s'exerce. On pourrait croire que l'autorité suppose un système hiérarchique fondé sur la soumission et l'obéissance ; en réalité non : elle s'accommode tout autant de la démocratie dans la mesure même où elle implique la soumission à une institution et à la loi. La démocratie, après tout, ne peut fonctionner que pour autant que le citoyen accepte de se soumettre à la loi générale, à l'Etat et à ses représentants, qu'il accepte aussi, lors du vote, le principe majoritaire, c'est-à-dire, les règles du jeu. Celui qui a de l'autorité, la détient ainsi à la fois de l'institution qu'il représente et du peuple qui se sera soumis - volontairement ou non - à cette dernière en la concevant comme nécessaire ou naturelle, qu'importe, mais comme la seule solution possible pour que fonctionne la société. Il n'y a donc nulle autorité qui tienne sans la reconnaissance absolue de cette dernière - ce qu'en d'autres terme et lieux on nomme parfois respect.

Autre mot intéressant, du reste, qui va de la considération que l'on porte à quelqu'un ou quelque chose, à la mise à distance ou sous le feu d'une arme en passant chez Kant par le sentiment moral spécifique, distinct de la crainte, de l'inclination et des autres sentiments, qui ne provient pas comme eux de la sensibilité mais qui est un produit de la raison pratique et de la conscience de la nécessité qu'impose la loi morale. Il n'y a pas d'autorité sans respect de cette dernière ce pourquoi rien n'est plus destructeur de l'autorité que, soit l'ironie, la critique et l'humour, soit le mépris, ce que relève Arendt, et ce pourquoi finalement, même si les pouvoirs doivent bien peu ou prou s'en accommoder, ils redoutent et détestent par dessus tout la satire et n'ont d'autre solution que de l'essuyer, ou de se la suborner en en faisant un dispositif de leur fonctionnement.

C'est ceci qui, sans doute, aura pu donner l'illusion que l'autorité était naturelle, qu'on en avait spontanément ou pas Elle n'existe que comme un fait pré-établi, qui ne résiste à aucun écart. Se poser la question de l'autorité c'est toujours déjà la corroder. Louis XVI a perdu le sien exactement au moment où il a cessé d'être perçu comme l'oint du Seigneur c'est-à-dire comme celui qui en conséquence devait absolument être respecté.

C'est aussi, sans doute, pourquoi il y a tant d'accointance entre le moral et le politique : le soubassement du pouvoir comme de l'autorité est toujours implicite, perçu comme déjà donné, consenti ou accordé et relève ainsi de la virtualité - donc de la vertu. C'est bien ceci, où généralement on se trompe aisément, qu'il importe de souligner : l'autorité n'est pas affaire de compétence, ou de technique à acquérir et relève d'un contexte, d'un système ou d'institutions où se joue une affaire plus de reconnaissance que de connaissance.

C'est bien enfin aussi ceci qu'il faut sans cesse rappeler quand on évoque l'autorité en terme démocratique : celui qui a le pouvoir l'exerce parce qu'on le lui a donné et sûrement pas au nom de la compétence qu'il pourrait par ailleurs posséder. Ce en quoi la démocratie se distingue de la technocratie. Non plus que le citoyen n'a la parole parce qu'il serait compétent en tel ou tel domaine que le politique qui est élu n'ont de souveraineté autre qu'ex cathedra. Ce que le peuple confère il le peut reprendre : à terme régulier, on appelle cela une élection ; à terme irrégulier, une révolution. Et pour le reste, une crise de confiance. Pour autant que l'opinion continue de jouer le jeu, elle patiente jusqu'à l'échéance électorale suivante et manifeste aisément son dépit, sa défiance ou sa grogne aux élections intermédiaires.

Toute la question demeure pour l'exécutif actuel, de savoir si cette défiance est encore superficielle ou si elle a déjà atteint les couches profondes. C'est de ceci que dépendront les marges de manoeuvre politiques des années à venir.

Puissance & pouvoir :

Arendt insiste bien sur le fait que le pouvoir est affaire collective et qu'un homme n'a le pouvoir que parce que et aussi longtemps qu'un groupe le lui a conféré au contraire de la puissance qui, elle, est individuelle : elle est la marque même de l'autonomie individuelle c'est à-dire de la capacité qu'a un individu de se déterminer d'après les normes de sa propre volonté - ou du moins de le croire et le faire croire Les perspectives déterministes ont évidemment tendance à nier cette autonomie et à considérer que la liberté ne tient qu'à l'ignorance des causes qui nous déterminent ; ce qu'elles ne peuvent néanmoins biffer c'est non seulement cette illusion mais surtout ce désir d'autonomie qui fonctionne comme projet tant individuel que collectif.

De la même manière il faut bien considérer que l'autorité étant incompatible avec tout système de coercition ou de persuasion, la première étant échec de l'autorité tandis que la seconde suppose l'égalité de celui avec qui on dialogue * , elle est en même temps l'attribut essentiel du pouvoir. Perdre le pouvoir c'est avoir perdu toute autorité sur les choses ou les êtres, sot parce que l'institution qui l'a conféré l'a retiré, soit qu'elle se soit effondrée, soit encore que le groupe au nom de qui fonctionne l'institution a cessé d'y croire ou bien s'est lui-même dissous.

On peut en tirer deux conséquences assez simples mais révélatrices :

- dans un système démocratique où, par principe, l'autorité ne fonctionne pas autrement que comme la reconnaissance concertée et contractuelle et, par voie de conséquence transitoire, de l'institution et de l'homme, aucune contrainte ne pourra jamais faire que l'on juge performant celui que l'on rejette. En clair, l'exécutif a le pouvoir ; il l'a légalement par l'élection et légitimement - tant du moins qu'il ne contrevient pas au principe de l'intérêt général - et a en conséquence autorité à faire appliquer les décisions qu'il prend en se servant de tous les rouages de l'appareil d'Etat. Ce qu'en réalité l'on peut remettre en question ici ou là, et c'est en fait le cas pour Ayrault, c'est, non pas son autorité, mais sa puissance, c'est-à-dire quelque chose de l'ordre de sa conformation individuelle qui l'empêcherait de correctement pouvoir imposer aux autres, et notamment à son équipe, sa différence, sa hiérarchie supérieure, sa qualité de chef. On le voit bien dans l'argumentaire que le Premier Ministre utilise et répète à satiété faisant du gouvernement une équipe qu'il se doit d'animer et de diriger - ce qui implique concertation. Et donc délai. Et donc le temps long du politique. On retrouve cette même remise en cause, s'agissant de Hollande, où l'on brocarde son indécision, sa mollesse : ce sont bien ses qualités personnelles, sa puissance qui sont déniées - par quoi le trait a le détestable caractère d'une attaque ad hominem. Faute pour la politique gouvernementale d'avoir pu encore dérouler ses premiers effet, et d'ailleurs d'avoir été toujours seulement entamée, il ne reste au débat politique que la critique de l'homme en attendant de pouvoir le faire sur la politique suivie.

- on voit effectivement juste quand on mesure avec Arendt combien l'effritement de l'autorité dans les sociétés modernes a désormais affecté le politique lui-même. * De Gaulle avait encore pu croire qu'il fût possible d'instaurer une démocratie qui eût l'efficacité de l'ordre militaire et la légitimité de l'ordre démocratique. Il le fit en poussant à son extrême républicain le principe du chef et de sa prééminence. Les années Sarkozy ont poussé la logique présidentialiste à son terme : en revenir est délicat et ce n'est certainement pas un hasard si tous évoquent la prégnance de l'hyperactivité sur nos mémoires et notre capacité à évaluer le politique en acte.

"Ça n'est pas simple. Si je suis lointain, on dit: "Il est hautain." Si je suis réactif, on dit: "Il fait du Sarkozy." Si je prône le compromis, on dit: "Il est hésitant." Et quand je suis à l'étranger, on dit: "Mais il ne s'occupe pas de nous!" Je ne veux pas être comme le bouchon au fil de l'eau: changer, passer d'un état à un autre. Il faut de la constance. Un style, cela s'imprime au fur et à mesure." **

Ce qui se joue ici, c'est toute l'ambiguité de notre rapport aux politiques dont à la fois nous attendons tout - et en particulier qu'ils nous sortent de la crise et donc qu'ils soient efficaces et volontaires - en même temps que nous en fustigeons le moindre empiétement à notre propre autonomie où l'on verrait aisément sinon dictature au moins autoritarisme. Comment être chef en démocratie ? Telle est l'alchimie à réinventer.

 

 


on trouvera ici une série de textes d'H Arendt

De la tradition de la religion, et de l'autorité, c'est l'autorité qui s'est démontrée l'élément le plus stable. Cependant avec la disparition de l'autorité, le doute général de l'époque moderne a envahi également le domaine politique où les choses trouvent non seulement une expression plus radicale mais acquièrent une réalité propre au seul domaine politique. Ce qui jusqu'à présent, peut-être, n'avait eu d'importance spirituelle que pour une minorité, est maintenant devenu affaire de tous. Ce n'est qu'aujourd'hui, pour ainsi dire après coup, que la disparition de la tradition et celle de la religion sont devenues des événements politiques de premier ordre.