palimpseste Chroniques

" Un style, cela s'imprime au fur et à mesure "
Thomas Wieder Le Monde

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Attentif aux critiques et au " Hollande bashing ", le président cherche une " conception nouvelle " de sa fonction

Dans son entourage, certains s'en félicitent, d'autres s'en agacent, mais tous le constatent : François Hollande, depuis son retour de vacances, se montre particulièrement disponible à l'égard des journalistes. Le 23 août, à Berlin, le "off" qu'il leur a accordé s'est prolongé plus d'une heure.

Le 30, à l'ambassade de France à Madrid, un autre "off" était bien parti lui aussi pour durer si un conseiller, au bout d'une demi-heure, ne lui avait signifié qu'il se mettait sérieusement en retard. Comme d'habitude, le président prit ce jour-là un air désolé : "Bon, vous avez compris, il faut que j'y aille..." Comme d'habitude, il ajouta d'une voix inquiète : "Mais on se revoit bientôt, hein ?" Et, comme d'habitude, un de ses proches prit congé des journalistes en lâchant un "on ne le changera décidément jamais" d'un regard entendu...

Disponible, donc, François Hollande... Quatre mois jour pour jour après sa victoire à l'élection présidentielle, Le Monde a voulu le vérifier en lui demandant s'il était d'accord pour évoquer, au-delà des réformes qu'il entend conduire (sujets qu'il abordera dimanche au "20 heures" de TF1), sa situation : celle d'un président bousculé de façon inédite si peu de temps après son élection, soupçonné de manquer à la fois de lucidité sur la gravité de la crise et de réactivité pour y faire face. Le "oui" a été immédiat, et le rendez-vous fut fixé dès le lendemain, vendredi 7 septembre, à bord de l'hélicoptère Super Puma qui l'emmenait de Paris à Evian-les-Bains (Haute-Savoie).

Une demi-heure après le décollage et le passage en revue de quelques dossiers aux côtés d'un des deux secrétaires généraux adjoints de la présidence, Emmanuel Macron, de son chef de cabinet, Pierre Besnard, et du ministre délégué à l'agroalimentaire, Guillaume Garot, le président vient à l'arrière de l'appareil. "Je suis à vous..."

TRÈS PRÉOCCUPÉ PAR LE CLIMAT DE CETTE RENTRÉE

La conversation s'engage sur le "Hollande bashing", cette expression qui désigne la multiplication de titres ultracritiques à son égard à la une des magazines. "Ceux qui sont de droite ne vont pas dire du bien de la gauche, ceux qui sont de gauche veulent montrer qu'ils sont indépendants, et tous ont avant tout un bon sens commercial", philosophe le chef de l'Etat. Pas d'agacement, donc ? "Non..." De l'inquiétude ? Il récuse le mot, mais la suite montrera qu'il est, tout de même, très préoccupé par le climat de cette rentrée et par la façon dont il peut, face aux attaques dont il est l'objet, reprendre la main.

Son diagnostic est assez simple. "Dans cette période marquée par la montée des prix, les plans sociaux et la hausse du chômage, la chronologie des Français ne correspond pas à celle de l'action gouvernementale", dit-il. A posteriori, il assume le calendrier des premières semaines : "Je continue de penser que j'ai eu raison de faire prévaloir une démarche de concertation plutôt qu'une accumulation de décisions heureuses ou malheureuses."

Il concède néanmoins que "l'urgence est telle", qu'il était nécessaire d'"accélérer". Est-ce assez rapide ? A propos des emplois d'avenir ou des contrats de génération, mesures emblématiques de son programme, "tout ça sera bouclé d'ici la fin de l'année, dit-il, avant de comparer le tempo des réformes avec celui de François Mitterrand en 1981 ou de Gerhard Schröder en 1998 : "Les choses sont beaucoup plus rapides aujourd'hui !"

Et qu'on ne lui dise pas que la multiplication des commissions en tout genre prouve qu'il cherche à différer les décisions. "Il faut arrêter avec ça : il n'y a pas plus de commissions sous ce gouvernement que sous le précédent. Souvenez-vous des commissions Balladur, Colombani, Olivennes, etc." On sent malgré tout une forme d'impatience : "L'administration est lente, elle a ses procédures", glisse-t-il.

Le président l'admet : la conjoncture économique n'est pas le seul facteur qui explique les difficultés qu'il rencontre. A l'écouter, l'héritage de son prédécesseur y est aussi pour beaucoup. "Nicolas Sarkozy a été rejeté par les Français, mais il a laissé entre eux et le pouvoir exécutif une relation passionnelle. Il a imposé l'habitude d'une réactivité maximale, ancré l'idée du "je parle, donc je gouverne", du "j'annonce, donc je décide". Je dois revenir sur tout cela, réhabituer les Français à ce qu'ils aient un premier ministre à part entière après ces années où François Fillon a pris la posture d'être toujours "de côté", les réhabituer à ce que le Parlement soit considéré, à ce que le gouvernement soit valorisé".

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"UNE CONCEPTION NOUVELLE DE LA PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE."

Et lui, dans tout cela, quelle est sa place ? Comme souvent, François Hollande fait un détour par l'histoire. Mitterrand, dont il s'est tant inspiré dans la phase de la conquête du pouvoir, ne semble plus guère lui servir. "C'était une présidence altière et rare. On n'est plus dans cette époque. On n'est plus dans le septennat, mais on ne sait pas encore ce qu'est vraiment le quinquennat : celui de Chirac a été anormal compte tenu des circonstances de sa réélection, celui de Sarkozy a été excessif compte tenu de la façon dont le pouvoir a été exercé. Au fond, il me revient de façonner une conception nouvelle de la présidence de la République."

Cette "conception nouvelle", guidée par les principes de "responsabilité" et d'"exemplarité", comment la définit-il ? "Ca n'est pas simple, admet-il. Si je suis lointain, on dit : "Il est hautain." Si je suis réactif, on dit : "Il fait du Sarkozy." Si je prône le compromis, on dit : "Il est hésitant." Et quand je suis à l'étranger, on dit : "Mais il ne s'occupe pas de nous !" Je ne veux pas être comme le bouchon au fil de l'eau : changer, passer d'un état à un autre. Il faut de la constance. Un style, cela s'imprime au fur et à mesure."

Quelle conclusion tire-t-il sur la façon dont il entend gouverner ? "Le risque de l'expression présidentielle, c'est la dispersion : un jour l'environnement, un jour l'emploi, un jour l'école... Il ne faut pas que cette parole apparaisse éclatée." Concrètement, cela signifie qu'"à chaque intervention, il faut redonner de la perspective, de la hauteur". S'il ne répond pas à la question de savoir s'il doit parler "plus ou moins souvent", il semble toutefois attendre avec impatience son intervention télévisée de dimanche (la première depuis le 14 juillet) ainsi que la première conférence de presse de son mandat, qui aura "peut-être lieu" avant son départ pour New York, le 23 septembre. Ces occasions, pense-t-il, doivent lui permettre de répondre à ce que les Français attendent de lui : "de la clarté, de la lisibilité".

Cette double exigence explique sans doute pourquoi – et c'est le seul moment où l'on percevra chez lui de l'agacement – certaines sorties récentes de ses ministres l'ont irrité : "La plupart découvrent ce que c'est que d'être ministre. Il faut qu'ils apprennent à ne plus commenter à tout bout de champ hors de leurs domaines de compétence." Lui-même veut se tenir à distance de tout cela : "J'ai demandé à Jean-Marc Ayrault de réunir les ministres par pôles. Je veux que ce soit avec lui que les arbitrages se fassent."

Avec le premier ministre, "le contact est permanent : nous travaillons ensemble depuis des années, nous nous appelons tous les jours, c'est très fluide." Le Super Puma se posera dix minutes plus tard à Evian. La discussion, de près d'une heure, n'a visiblement pas épuisé le président. "On se recroise tout à l'heure..."