Chronique du quinquennat

Commémoration

 

Un discours attendu qui est aussi une manière pour Hollande de se situer dans la lignée des grands hommes d'Etat. Ce discours il ne l'a pas prononcé ni le 14 juillet ni le 16 mais le 22 à l'occasion de la journée de commémoration, à l'endroit même où Chirac, en 95, avait prononcé le sien.

Vérité

Il était attendu sur ce terrain et il ne s'est pas dérobé :

Le contenu de cette page nécessite une version plus récente d’Adobe Flash Player.

Obtenir le lecteur Adobe Flash

Nous devons aux martyrs juifs du Vélodrome d’Hiver la vérité sur ce qui s’est passé il y a soixante-dix ans. La vérité, c’est que la police française, sur la base des listes qu’elle avait elle-même établies, s’est chargée d’arrêter les milliers d’innocents pris au piège le 16 juillet 1942. C’est que la gendarmerie française les a escortés jusqu’aux camps d’internement.

La vérité, c’est que pas un soldat allemand, pas un seul, ne fut mobilisé pour l’ensemble de l’opération.

La vérité, c’est que ce crime fut commis en France, par la France.

Les mots sont clairs, la responsabilité proclamée : ce sont bien des fonctionnaires français qui ont procédé à la rafle sur des listes qui furent les siennes - vérité d'autant plus abjecte que nul allemand ne s'y sera associé.

Mais ce qui est remarquable c'est que Hollande, dans un même mouvement rappelle en même temps l'honneur de la France sauvé par les Justes, par de Gaulle et par la Résistance. Se refusant à toute mortification mortifère, il maintient la balance égale entre la trahison d'un côté, et l'honneur sauvé renouant avec cette réalité si contrastée, tellement contradictoire de cette France des années quarante qui se sera donnée avec ferveur à Pétain puis quatre ans plus tard à de Gaulle ; de cette France qui voulut la collaboration autant qu'elle fit la Résistance.

Le contenu de cette page nécessite une version plus récente d’Adobe Flash Player.

Obtenir le lecteur Adobe Flash

Comment oublier ces foules en avril 44 qui acclamèrent Pétain ? foules sans doute identiques à celles qui ovationnèrent quatre mois plus tard de Gaulle à la Libération de Paris ?

On eût assurément aimé la France exemplaire ; elle ne le fut pas. Cela est dit et reconnu officiellement désormais depuis 17 ans et il aura été important pour tous que cette reconnaissance fût reprise aussi par un président de gauche, après l'ultime refus de Mitterrand, il y a 20 ans, de le faire. Cette reconnaissance unit la Nation comme l'indignité l'avait divisée.

Trahison

La mise en perspective de la rafle avec la tradition révolutionnaire a ceci d'émouvant et d'important qu'elle pointe avec précision où se situe la trahison : dès le statut des juifs de 40, Vichy bafouait le fond même de la République. Comment dire la révolte, mais la peur aussi de ceux qui, subitement, comprirent combien la France les rejetaient avant, demain, de les jeter dans les rêts de l'extermination nazie ? Comment dire qu'on effaça ainsi d'un trait un siècle et demi de générosité républicaine, deux siècles d'humanisme qui avaient fait la grandeur et le rayonnement de la France. C'était, subitement, en revenir aux préventions médiévales et aux antiques haines. C'était barrer tout refuge à ceux qui avaient cru trouver en la France un havre, une protection et une patrie.

Le contenu de cette page nécessite une version plus récente d’Adobe Flash Player.

Obtenir le lecteur Adobe Flash

C'était rappeler à tous ceux-là qu'ils n'étaient que des juifs ! Ils ne l'oublièrent pas ! Parce que c'était une trahison radicale. Tous ceux-ci qui clamaient volontiers que tout juif avait deux patries - la sienne et la France - surent alors que même le terreau le plus solide pouvait s'effriter. La France les avaient abandonnés ; ils ne l'oublieront jamais.

Plus rien ne sera jamais plus comme avant ! D'entre la France et les juifs quelque chose de l'ordre de la ferveur aura définitivement disparu. La confiance est peut-être revenue; la ferveur, non !

Le contenu de cette page nécessite une version plus récente d’Adobe Flash Player.

Obtenir le lecteur Adobe Flash

De ce point de vue, Mitterrand en 92 eut parfaitement raison de pointer le statut des juifs comme le point de rupture. De rappeler que l'émancipation des juifs en 91 était révolutionnaire, essentiellement républicaine et participait dès lors du fondement du pacte républicain d'une Nation qui se refusa alors à reconnaître quelque ordre que ce soit pour ne considérer plus que le citoyen. Telle est la loi républicaine, l'esprit républicain qui rejette dans la sphère privée toute appartenance à une religion, croyance ou autre préférence - de ce point de vue la loi de 1905 n'en sera que la suite logique. Qui proclame dans l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme de 89 (1)

Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

Il faut se souvenir de la formule du comte de Clermont-Tonnerre :

Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus. Il faut qu'ils ne fassent dans l'Etat ni un corps politique ni un ordre. Il faut qu'ils soient individuellement citoyens.

Elle dit tout ; l'essentiel ! La place centrale de l'individu dans la démarche humaniste ; celle du citoyen dans le projet républicain. La République n'est pas différentialiste ; elle ne raisonne pas en terme de respect des différences ; elle est universaliste. Même s'il est vrai que l'émancipation des juifs ne fut pas chose aisée (2), évoquée dès septembre 89 mais réalisée seulement quelques jours avant la séparation de l'assemblée en 91, même si les débats d'alors révèlent la persistance de fortes préventions à l'encontre des juifs, il n'empêche que son adoption sous la double pression d'un ecclésiastique (l'abbé Grégoire) et d'un aristocrate (Clermont-Tonnerre) illustre le profond mouvement universaliste qui y présida. L'essence de la République est ici, une et indivisible, qui ne connaît que des individus et ne reconnaît nulle nation en son sein. C'est en ceci, Hollande a raison, qui prolonge ainsi les propos de Mitterrand, que résida la trahison de 40 et qui inscrit d'emblée Vichy dans une posture anti-républicaine.

Le rappel de la singularité

Il n'était peut-être pas inutile que Hollande rappelât la singularité de la Shoah tant la période tend progressivement à tout confondre et à confondre génocide avec crime contre l'humanité ou même à crime de guerre. Au delà du négationnisme qui a pour posture de nier la réalité du génocide, il existe en effet une forme plus insidieuse de révisionnisme qui consiste, sous l'aune du confusionnisme, à nommer génocide tout et n'importe quoi et donc à nier la singularité de la Shoah.

Réaffirmer cette singularité qui fait de cet événement un fait unique dans l'histoire, qui, d'une certaine manière, la brise en deux, sans plus qu'aucun retour en arrière ne soit même concevable, a un sens non pas parce qu'il concernerait le peuple juif - après tout il engagea aussi les Tsiganes - mais bien parce que ce fut, pour la première fois dans l'Histoire, la tentative- presque réussie d'ailleurs - d'éliminer la totalité d'un groupe humain en tant que tel, non pas parce qu'il serait un obstacle ou un ennemi, mais bien parce qu'il était qui il était. Tentative au surplus savamment organisée, orchestrée et planifiée par un appareil d'Etat utilisant tous les rouages administratifs, tous les moyens matériels et tous les outils techniques à sa disposition. Résultat d'un racisme d'Etat, la Shoah n'est pas seulement le fruit d'un programme partisan délirant, non plus que d'une bêtise exploitée de manière partisane, il fut, essentiellement, la preuve que ni la raison ni même la raison d'Etat ne sauraient être des remparts contre de telles barbaries.

Rappelons le !

Le génocide a été défini dès 48 par l'ONU par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide *. L'acte fondateur de la la Cour pénale internationale précisera qu’il s’agit d’un crime se distinguant par l’intention d’extermination totale ou partielle d’une population ; la mise en œuvre systématique de cette volonté.

Une certaine droite, après-guerre, aura été disqualifiée pour sa compromission avec Vichy. On sait aujourd'hui, que la mémoire s'effaçant, elle tente un retour, qu'avec Sarkozy et Buisson elle a failli réussir et qu'il n'est pas impossible qu'elle y parvienne demain. Ailleurs en Europe, on aura bien vu que le glacis soviétique une fois fondu, les remugles fascistes n'auront pas tardé à se répandre que le communisme n'avait pas éteints mais seulement provisoirement étouffés.

Le péril est réel que la gravité de la crise ne fait que renforcer. Il n'y a pas de doute sur l'enjeu de la présidence Hollande : qu'il vienne à échouer gravement et ce sont tous les excès de la droitisation extrême qui seront demain remis au goût du jour.

La question de l'unicité de la Shoah est complexe et non dénuée de sous-entendus et d'enjeux implicites pas toujours avouables. Il est vrai que d'un point de vue quantitatif d'autres massacres eurent lieu et que celui-ci ne prit d'ampleur que par les outils techniques qui furent mis à disposition pour le réaliser. Il est non moins vrai que du génocide arménien en 15 ou de celui rwandais se profilent des exemples qui en terme d'horreur, de barbarie et de systématicité non pas grand chose à envier à la Shoah. Pour autant, mise à part la pétition de principe, rien ne vient étayer la singularité sinon que de manière radicale elle aura été, pratiquement comme théoriquement, remise en question radicale de l'homme dans l'homme.

Lustiger ** proclame qu'elle est l'antithèse absolue du Sinaï : oui, assurément ! et de ce point de vue, la négation, le retournement de toute notre histoire.

Rappeler cette singularité en tout cas signifie, dans une telle déclaration officielle, non seulement l'évidence d'une condamnation absolue mais en même temps la double nécessité d'un constant travail d'éducation et de mémoire lié à une démarche républicaine où aucune concession ne devra jamais être faite à l'anti-humanisme.

Où cette reconnaissance est résolument politique.

L'engagement républicain

Le contenu de cette page nécessite une version plus récente d’Adobe Flash Player.

Obtenir le lecteur Adobe Flash

Mais de la même manière que Chirac en 95 en avait profité pour fustiger les propos et les démarches du FN, et contribué ainsi à inscrire la ligne à ne pas franchir et dresser la digue devant séparer la droite du FN, de la même manière Hollande hier aura rappelé le double engagement que la République se doit à elle-même autant qu'aux survivants, du devoir de mémoire, d'instruction et de lutte pour la sécurité de chacun.

Rappeler que l'antisémitisme n'est pas une opinion mais une abjection c'est peut-être proférer une évidence mais c'est - malheureusement - surtout une nécessité dès lors que remontent à nouveaux les effluves méphitiques du racisme ;

Le contenu de cette page nécessite une version plus récente d’Adobe Flash Player.

Obtenir le lecteur Adobe Flash

souligner qu'il trouvera toujours sur son chemin la République est un message politique fort qui réinstalle la lutte pour la sécurité dans cet espace républicain qu'il avait quelque peu quitté durant le quinquennat précédent ... 3

Retour sur 2010

Souvenons-nous en effet des glissements sécuritaires depuis au moins 2010 qui aboutirent non seulement au discours de Grenoble(5) où fut envisagée, pour la première fois depuis 40, la possibilité de dénaturaliser, mais aussi à cette effarante campagne d'entre-deux tours où plus rien de la droitisation extrême ne sembla interdit où le discours hésita entre un maurrassisme avoué et la tentation frontiste avérée ...

Le contenu de cette page nécessite une version plus récente d’Adobe Flash Player.

Obtenir le lecteur Adobe Flash

Présenter, comme il le fit alors, la délinquance comme une minorité, pointer l'immigration et les Roms qu'était-ce d'autre sinon, en dépit de ses proclamations, pointer la responsabilité des étrangers, des jeunes issus de l'immigration sous prétexte de ne pas sombrer dans l'angélisme ou la naïveté ?

Tant et si bien que le rappel de Hollande est loin d'apparaître comme une simple figure de style mais représente bien un acte politique fort. On est loin ici d'un acte mémoriel, de la tâche symbolique d'un président de la République assumant son devoir devant l'histoire mais bien plutôt devant la responsabilité républicaine fièrement affichée de lutte contre tout ostracisme, racisme et, plus généralement, contre tout fascisme. Et, encre une fois, ce rappel ne saurait être de pure forme tant la menace fasciste est réelle en Europe et patente en France. C'est être profondément républicain et essentiellement de gauche que de le proclamer ici, en cet endroit, comme pour mieux relier le passé au présent. L'histoire a montré que les tentations fascistes ne sont pas que de lointaines menaces ; qu'y succomber est non seulement possible mais facile. Tellement facile. La référence à la tuerie de Toulouse était là aussi pour le rappeler.


discours (texte)

extraits


Devoir
François Sergent
Libération du 23 juillet

Une présidence est ainsi faite de mots et de symboles. François Hollande a raison de répéter, à l’occasion du 70e anniversaire de la rafle du Vél d’Hiv, qu’elle fut «un crime commis en France, par la France».

Il reprend les propos de Jacques Chirac, seul président français à avoir eu auparavant le courage de confronter ces chapitres honteux de notre passé.

Le président socialiste rompt avec François Mitterrand et son ambiguë «jeunesse française», ses douteuses fréquentations avec le chef de la police qui commit la rafle et ses hommages fleuris à Philippe Pétain. Rappelons que c’est en raison de l’empressement des policiers français et de René Bousquet que les enfants furent raflés et déportés.

Il ne s’agit pas d’une perverse volonté de dénigrer son pays. Au trébuchet de l’histoire, Serge Klarsfeld a rappelé hier que «si 11 000 enfants juifs avaient été déportés, 60 000 enfants furent sauvés par la population française». Le devoir de mémoire ne se divise pas.

Mais le devoir de mémoire ne suffit pas.

Il ne suffit pas que la France reconnaisse ce crime. Il ne suffit pas que les écoles de la République enseignent la déportation et les complicités françaises. La repentance ne doit pas faire oublier le temps présent.

Comme l’a montré en mars la tuerie de Toulouse dans une école juive, la guerre contre tous les racismes doit toujours être menée. «La France doit aux victimes, disait Robert Badinter, l’enseignement de la vérité et la force de la justice.» Et de citer sa grand-mère : «Rappelle-toi, mon chéri, les morts t’écoutent quand tu parles d’eux.»


1) le texte de la déclaration

2) quelques extraits de La liberté de conscience de J Simon

3) lire ce que nous en écrivions en 2010

4) cet article du Monde de 2010

5) Le discours de Grenoble

*

Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe ;

b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.

7) Lustiger La mémoire de la Shoah

lire aussi sur la question

JM Chaumont Connaissance ou reconnaissance

Loading