Chronique du quinquennat

Politique générale

Pauvre Ayrault ! Discours trop long, trop général ... que n'a-t-on entendu ! Il faut dire que l'home n'est pas grand orateur et bute souvent sur les mots ; que le propos aussi entraînant qu'un catalogue de mauvaises nouvelles n'avait rien qui pût enthousiasmer. L'exercice d'ailleurs n'est pas aisé qui confine souvent au bizutage : l'hémicycle est animal sauvage prompt à bondir sur sa proie à la première occasion.

On est loin du grand discours de Chaban en 69 sur la nouvelle société qui lui valut d'ailleurs bien des tourments tant il ressemblait plus à un discours présidentiel qu'à une déclaration gouvernementale. C'est que, deuxième piège institutionnel de ce type de prestation, un premier ministre ne saurait outrepasser sa place qui, pour n'être pas subalterne, n'en est pas moins secondaire. D'où la sensation de déjà entendu d'une litanie qui ne fit que reprendre le catalogue des non promesses de la campagne présidentielle.

On est encore plus loin du discours de Mauroy de 81 tout de lyrisme et d'enthousiasme ficelé qui inaugurait les temps heureux de l'union de la gauche avant le grand coup de gifle de l'année suivante. Les temps ne s'y prêtent décidément pas. La dette obsède, la dette qui empêche tout, la dette qu'il faut résorber et qui contraint à un programme en deux temps où les horizons qui chantent seront repoussés à la fin du quinquennat. Alors, en bon exécutant d'une politique de rigueur qui n'ose dire son nom, Ayrault égrène les efforts qu'il faudra fournir. Tous les mots étaient là : effort, responsabilité, engagement, avenir, confiance dont aucun ne chercha à masquer la gravité de la situation mais qui tous évitèrent de prononcer le mot fatal - imprononçable - rigueur.

On peut s'amuser à constater ainsi la pudeur timorée du lexicographe officiel, on peut aussi y repérer l'abandon d'une certaine pensée magique. L'homme se tient droit, presque immobile, à l'exception de ce doigt souvent pointé où l'on reconnaît le maître d'école en appelant à la fin de la récréation. On est sorti du discours performatif où la parole se substituant à l'action avait pris des allures d'incantation ; il ne suffit plus de nommer les choses pour laisser accroire qu'elles se furent déjà réalisées : on est sorti de la toute puissance de la parole créatrice ! D'où l'impression de vacuité et d'ennui : ce discours ne fait rien, il annonce - et, en particulier, des concertations à venir, des contrats à nouer, des efforts à fournir.

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Ayrault le dit et il a raison, voici le retour du temps long du politique ! Celui de la concertation, du dialogue, des lentes transformations de la société profonde. On peut s'amuser à y retrouver les stigmates de la normalité, on devrait y chercher plutôt l'effort vers un exercice contenu et responsable de la démocratie.

Alors, au bilan, cette figure un peu lassante et pesante d'un Ayrault, totem, planté au milieu de nos préoccupations, ressemblant bien plus à un repère où se focalisent l'action à venir autant que nos inquiétudes à peine mâtinées d'espérances qu'à un deus ex machina dont nous aurions tout à attendre ou à craindre. En réalité il nous ressemble à nous et à cette France, si conservatrice et en même temps si prévisible dans ses rêves de grandeur passée et ses angoisses de tempêtes à venir. Tout ceci n'a rien d'excitant tant cela sera resté tragiquement inéluctable.

Distribution des rôles

La question de ce quinquennat est finalement assez simple : le texte étant écrit d'avance, ne reste plus qu'à orchestrer la mélodie ! Le pouvoir saura-t-il faire patienter - c'est-à-dire souffrir - en saupoudrant ses angoisses d'égalité et de calme et il peut l'emporter demain, en tout cas durer. S Wahnich a montré qu'avant que ne monte sa colère, toujours le peuple patiente et ne se met en branle qu'une fois les fondamentaux bafoués.

Si notre lecture est bonne qui suppose que la défaite de Sarkozy s'explique avant tout par la brutalité infligée au pays et le sentiment profond de l'inégalité des mesures prises, alors la démarche de Hollande, souvent résumée sous le vocable de normal, peut réussir. Aucune promesse n'a réellement été faite : cela tombe bien, aucune n'eût été tenue. Il n'empêche ! quand se sentiront les efforts à fournir, il faudra bien un peu de baume pour les supporter. Je ne suis pas certain que cette figure cireuse, impassible et presque totalement inexpressive fasse l'affaire. Ce sera donc celle de Hollande lui-même. Elle réside ici la distribution des rôles entre la présidence et Matignon - assez conforme finalement à l'esprit de la constitution.

Quant à l'opposition qui surjoua à l'occasion du bruit et de la fureur, de l'hyperbole et du mensonge, elle semble condamnée presque à contre-temps à entamer une nouvelle élection - celle de son leader. S'y joue ou s'y cache son orientation idéologique à venir ; qu'on ne s'y trompe pas, derrière le duel Copé/Fillon on trouve à la fois l'orientation idéologique qu'il faudra solder et le rapport au centre.

 


 


 

 

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