Chronique du quinquennat

Un discours de politique générale qui fait de la lenteur un gage de solidité
LE MONDE du 04.07.2012

Par David Revault d'Allonnes

Surtout, prendre son temps. La déclaration de politique générale de Jean-Marc Ayrault, mardi 3 juillet à l'Assemblée nationale, a été longue, très longue. Au fil d'un discours de près d'une heure quarante, contre une seule prévue initialement – à peine moins que les une heure et quarante-cinq minutes d'Alain Juppé en 1995 et que les deux heures d'Edouard Balladur en 1993 –, le premier ministre s'est essayé à un éloge de la lenteur en politique, tant destinée à trancher avec la pratique jugée vibrionnante de l'ère Sarkozy qu'à s'éviter de prendre le moindre risque.

"On ne combat pas l'inertie par l'agitation. La tentation de tout pouvoir, c'est d'aller vite (...), de tout réaliser en cent jours. Eh bien, le président de la République comme moi-même voulons installer le changement dans la durée", a-t-il posé. L'exercice, pour le chef du gouvernement, était délicat : rappeler ce à quoi le président s'était engagé, mais ne rien dire de plus. Préciser l'application du programme présidentiel, sans trop s'avancer sur les détails, le calendrier ou le financement des mesures. La mission, de ce point de vue, est accomplie.

M. AYRAULT N'AURA ÉTONNÉ PERSONNE

Il ne devait pas y avoir de "surprises" dans le propos du chef du gouvernement. Il a, de ce point de vue, parfaitement tenu ses promesses. "Il n'y a rien de neuf et c'est très bien", résumait paradoxalement un jeune député à l'issue du propos.

De fait, M. Ayrault n'aura étonné personne. Même s'il a appelé, comme s'il était encore en campagne, à la "mobilisation", et s'est livré à un inventaire exhaustif, fastidieux parfois, du champ de l'activité gouvernementale, il a renvoyé les réponses à des arbitrages ou des concertations ultérieures, fièrement revendiqués.

"Il est fini le temps des sommets spectacles, conçus pour donner l'apparence de la concertation et cacher la décision d'un seul", a annoncé le premier ministre. Comme le chef de l'Etat adepte du consensus et pratiquant convaincu de la synthèse, il a préconisé que "la culture de l'accord, celle qui implique des contreparties, du donnant-donnant, s'impose peu à peu dans le dialogue et la démocratie sociale".

Une extrême prudence, donc, à l'image de la campagne présidentielle de François Hollande et des premiers pas de son gouvernement, avant tout guidés par le souci de ne pas commettre de faute.

Même si le ton se voulait résolument volontariste. "Nous ne renonçons à rien, non et non", a martelé le premier ministre, usant de martiales formules, telles qu'"il n'est pas trop tard pour agir et pour réussir" ou encore, au chapitre de la dette publique: "Cette situation, je ne l'accepte pas !" La forme, pourtant, a quelque peu nui au fond. Lisant son texte sans s'en écarter, sur un ton souvent monocorde, le premier ministre n'a pas enflammé l'Hémicycle.

L'opposition, chose rare de mémoire de parlementaire à l'occasion d'une déclaration de politique générale, s'est d'emblée employée à saboter le propos par des lazzis et broncas orchestrées tout au long du discours. Avant de quitter l'Hémicycle à peine le discours terminé afin d'aller se répandre sur la prestation de celui qui constitue désormais leur nouvelle cible. "Lent, long, laborieux, pas clair : c'est du Hollande en moins bien", attaquait Eric Woerth, député (UMP) de l'Oise. "Sur le fond, c'est extrêmement flou. Sur la forme, c'est d'un poussif inédit", ajoutait le député (UMP) de la Drôme Hervé Mariton.

"J'espérais entendre des mots courageux, j'ai entendu un premier ministre prisonnier d'une vision franco-française, assez idéologique et n'annonçant aucune réforme courageuse", déplorait également un Jean-François Copé (UMP, Seine-et-Marne) "très déçu".

UNE OBSTRUCTION FRONTALE DE L'OPPOSITION

Sous ce discours dénoncé comme émollient, le clivage, pourtant, demeure. Acéré. En témoigne la bronca réservée à la confirmation de certaines réformes institutionnelles ou de société par M. Ayrault, comme le droit de vote des étrangers aux élections municipales, l'introduction de la proportionnelle aux législatives, la limitation du cumul des mandats ou le droit au mariage homosexuel.

Une obstruction frontale qui n'augure pas, aux yeux de l'Elysée, de jours difficiles, face à son opposition, pour le premier ministre, considéré comme "très madré" du fait de son "expérience parlementaire". Le président, qui a suivi de près la déclaration de son premier ministre, l'a trouvé "très sérieux et solide".

C'est précisément ce que le chef du gouvernement entendait mettre en avant. "Je revendique le sérieux et la responsabilité budgétaires. (...) Mais je refuse l'austérité", a asséné M. Ayrault. Il a réfuté tout "tournant" de la rigueur : "Je m'inscris en faux contre ces affirmations. Les effectifs de l'Etat connaîtront une stabilité globale alors que le précédent gouvernement les réduisait massivement."

Le sérieux, néanmoins, peut-il suffire ? Sans surprise, là encore, 302 députés (PS, EELV, radicaux de gauche) contre 225 ont voté la confiance, ceux du Front de gauche s'abstenant. Pour l'heure, Jean-Marc Ayrault peut encore prendre son temps. Pas sûr qu'il en ait encore longtemps la possibilité.

 


 


 

 

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