Chronique du quinquennat

M. Ayrault, la fin de la pensée magique
LE MONDE du 04.07.2012

 

Le discours de politique générale est un exercice parlementaire ingrat. Hormis pour les chefs de gouvernement de cohabitation, qui conduisent réellement la politique de la nation, le premier ministre y est enfermé dans un jeu de contraintes qui lui interdisent, le plus souvent, d'épater la galerie. Mardi 3 juillet, Jean-Marc Ayrault n'a pas échappé à la règle.

A l'instar de tous ses prédécesseurs – si l'on excepte le discours sur la "nouvelle société" de Jacques Chaban-Delmas en 1969 –, il a placé ses pas dans ceux du président de la République. C'est la logique institutionnelle : le cap du quinquennat, son allure, ses projets et ses réformes ont été fixés lors du débat présidentiel. De fait, M. Ayrault a confirmé sans surprise les engagements de François Hollande.

Pas davantage de surprise du côté du style. C'est sur ce terrain que certains avaient cherché à se distinguer, par le lyrisme comme Pierre Mauroy en 1981, le discours de la méthode comme Michel Rocard en 1988, ou le goût de la formule familière comme Jean-Pierre Raffarin en 2002. Jean-Marc Ayrault ne s'y est pas risqué, c'est le moins qu'on puisse dire.

Les clichés du courage, de la responsabilité et de la bataille de l'emploi étaient au rendez-vous. Les généralités sur la France et la confiance dans son avenir également. Le catalogue des réformes annoncées aussi, tout comme le réquisitoire contre le quinquennat sarkozyen. M. Ayrault forme avec le chef de l'Etat un tandem idéal : il mettra en œuvre avec détermination la politique tracée par M. Hollande et engagera tous les dialogues annoncés (social, territorial, environnemental...), sans se pousser du col.

Enfin, et sans doute est-ce là la véritable singularité de ce discours, il marque la fin de la pensée magique qui prévalait jusqu'à présent. Le "tout est possible", scandé peu ou prou par tous ses devanciers, n'est plus possible, plus crédible. Chacun l'a compris, lui le premier. Rarement gouvernement ne s'est retrouvé à ce point sous la contrainte de la crise, enfermé dans l'étau de la dette publique, tenu par ses engagements européens, privé de marges de manœuvre.

M. Ayrault a écarté les mots qui fâchent – "rigueur", "austérité". Il n'en a pas évité la réalité, impitoyablement tracée par la Cour des comptes la veille et qu'il entend assumer. De même, si le premier ministre a évité de dévoiler le détail des réductions de dépenses publiques auxquelles il sera contraint, chacun sait, et lui le premier, qu'il ne pourra différer bien longtemps ce moment de vérité. Et s'il a pu marteler qu'il n'y aurait pas de "tournant de la rigueur", comme en 1983, c'est bien parce que la politique budgétaire qu'il va mettre en œuvre ne pourra qu'infléchir, par le choix différent des augmentations d'impôts, celle de son prédécesseur.

Un mot-clé a d'ailleurs presque disparu du vocabulaire de M. Ayrault : le "rêve français", si cher à François Hollande. L'heure n'est plus aux illusions lyriques. Mais à l'"effort". Sans surprise, là encore.

 


 


 

 

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