Chronique du quinquennat

70e anniversaire de la rafle du Vel d'Hiv : la parole attendue de François Hollande

L'Etat français a arrêté ou facilité l'arrestation par les Allemands, et livré pendant la Seconde guerre mondiale 75 000 juifs de France (24 000 Français et 51 000 étrangers ou dénaturalisés), lesquels, hommes, femmes et enfants de tous âges, ont été ensuite déportés et assassinés dans les camps d'extermination nazis.

Lors de la Rafle du Vel d'Hiv les 16 et 17 juillet 1942, ce sont 12 884 Juifs dont 4 051 enfants qui furent arrêtés par la police française puis déportés. La communauté juive, privée progressivement par les lois vichystes des attributs de sa citoyenneté, après la Seconde guerre mondiale, d'une façon parfaitement compréhensible, a souhaité ardemment être réintégrée dans la Nation française et donc ne pas évoquer publiquement le sort tragique qui fut le sien, convoquant au surplus des souvenirs trop récents et encore trop douloureux.

L'Etat français se reconstruisant sur une amnésie de la France vichyste, se satisfera de ce silence sur le sort des juifs de France pendant les années 1940-1944. Ce ne sera qu'à partir des années 1970-1980, sous l'impulsion notamment de la génération d'après-guerre, dont la principale figure fut Serge Klarsfeld, d'historiens tel Robert Paxton ou de cinéastes comme Alain Resnais (Nuit et Brouillard), Claude Lanzmann (Shoah) ou Marcel Ophuls (Le Chagrin et la Pitié), que cette page noire de la collaboration dans l'histoire de France, et plus particulièrement du rôle de l'Etat français dans la déportation des juifs de France, sera dévoilée publiquement. Désormais, la Nation française pouvait entendre et accepter l'histoire de l'occupation, y compris dans ses aspects les plus occultés.

Cependant, le Conseil Représentatif des Institutions juives de France (CRIF), eu égard à la reconnaissance officielle de la responsabilité de l'Etat français, conservera pour sa part un surprenant silence compte tenu de son objet : porte-parole et représentant politique de la communauté juive auprès des pouvoirs publics, et cela pendant près de cinquante années.

Ce sera donc dans le cadre d'une initiative citoyenne de la société civile que onze personnes se constitueront en association Loi 1901 sous la dénomination de "Comité Vel d'Hiv 42", et adresseront le 15 juin 1992, à la veille du 50e Anniversaire de la Rafle du Vel d'Hiv, un appel au président de la République François Mitterrand pour qu'il reconnaisse que "l'Etat français de Vichy est responsable des persécutions et crimes commis contre les juifs de France", bousculant ainsi l'histoire officielle, mais également le silence du CRIF. Plusieurs milliers de personnes signeront cet appel. François Mitterrand, le 14 juillet suivant, lors d'un entretien télévisé, réagira ainsi à la demande d'intervention : "Ne demandez pas des comptes à la République, elle a fait ce qu'elle devait... L'Etat français, ce n'était pas la République".

Le 16 juillet 1992, François Mitterrand participera à la commémoration du 50e Anniversaire de la Rafle du Vel d'Hiv, mais refusera de s'exprimer, laissant le soin de le faire à Robert Badinter, alors président du Conseil Constitutionnel. Ce silence de François Mitterrand engendrera pendant la cérémonie, confusion et incompréhensions nourries ultérieurement par le dépôt d'une gerbe présidentielle en novembre 1992 sur la tombe du Maréchal Pétain.

Outre Simone Veil, plusieurs personnalités du Parti socialiste exprimeront leurs réserves sur la démarche de François Mitterrand, tels Jean-Christophe Cambadelis ou Laurent Fabius souhaitant un geste du président de la République sous forme d'une journée de commémoration de la Rafle du Vel d'Hiv. En ce sens, Jean Le Garrec, avec le soutien de nombreux parlementaires socialistes, préparera un texte de proposition de loi mais ce sera par décret présidentiel publié au JO du 4 février 1993 que François Mitterrand instaurera une "Journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l'autorité de fait dite " Gouvernement de l'Etat français". Il reviendra à Edouard Balladur alors premier ministre, d'organiser le 16 juillet 1993 la première cérémonie en vertu du décret précité. Ultérieurement, Jacques Chirac, en qualité de président de la République, dans un discours prononcé le 16 juillet 1995, aura les mots tant attendus par les juifs de France, en déclarant notamment : "La France, patrie des lumières et des droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux". C'est à l'aune de ce rappel historique qu'on mesurera toute l'importance de la présence annoncée du Président de la République François Hollande à l'occasion de la commémoration le 22 juillet prochain du 70e anniversaire de la rafle du Vel d'Hiv. A ce jour, seul un président gaulliste issu de la droite a reconnu publiquement la responsabilité de l'Etat français dans la déportation de 75 000 juifs de France. Incontestablement pourtant, le président François Hollande dispose d'une légitimité tout aussi fondée à s'exprimer, certes en tant que président de la République, mais aussi parce que porteur d'une histoire des socialistes qui ont payé un lourd tribut à la résistance contre l'occupant allemand, illustré plus particulièrement par certaines des grandes figures ayant jalonné cette histoire du socialisme, poursuivies, emprisonnées et parfois assassinées en raison de leur origine juive tels Léon Blum, Pierre Mendès-France, Daniel Mayer, Jean Zay, Jules Moch ou Victor Basch.

François Hollande contribuera ainsi, par sa présence et par sa parole le 22 juillet prochain, à l'écriture de cette page de l'histoire de France, reconnaissant la responsabilité de l'Etat français dans la déportation de 75 000 juifs de France, reconnaissance dont la France ne peut que s'honorer au même titre qu'elle s'honore des milliers de "justes" ayant témoigné d'un courage exemplaire et sauvé de nombreux juifs en France, au prix même de leur propre vie. Ce discours de François Hollande, ponctué, soyons-en certains, des mots justes en résonnance avec notre mémoire et notre idéal républicain, permettra également de dissiper définitivement certaines incompréhensions passées invoquées ci-dessus de la part de la communauté juive vis-à-vis de la gauche française.

Claude Katz, avocat


 


 

 

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