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L'Action Française

Rappel : Le maurrassisme

 

 

 

L’Action française, c'est à la fois un mouvement politique nationaliste et d'extrême droite, une revue qui deviendra un quotidien sous la direction de Maurras, des groupes d'action - Les Camelots du roi - et toute une série de structures qui vont d'un institut d'études politiques à une librairie, maison d'édition etc.

Sa source, c'est l'Affaire Dreyfus qui restera son obsession jusqu'au bout - on se souvient de la réplique de Maurras après sa condamnation en 45 : " C'est la revanche de Dreyfus" : fondée en 1898 par Henri Vaugeois et Maurice Pujo sur une position antidreyfusarde, l’Action française devient monarchiste sous l'influence de Charles Maurras et de sa doctrine du nationalisme intégral. Antisémite, l'AF le fut dès le départ - c'est même son fonds de commerce - mais sous l'influence de Maurras, elle qui fut seulement nationaliste et s'accommodait de la République, devint anti-républicaine, anti-individualiste, antiparlementaire, et monarchiste.

Mouvement vigoureux, relayé par fois avec brutalité par les Camelots du Roi, fondés en 1908 et chargés initialement de vendre le journal mais prompts aux coups de poing et au tumulte contre les Rouges, notamment, L'Action Française dans ces années d'avant 14 a la triple caractéristique de porter haut un nationalisme revanchard - qui à l'occasion servira bien à des Poincaré ou Clemenceau - et de donner quelque accent moderne à un royalisme jusque là perçu comme désuet et, enfin, peut-être surtout de rallier à lui une frange non négligeable de la bourgeoisie catholique en lui donnant un moyen d'expression politique que la politique anticléricale de la République et la condamnation du Sillon de Marc Sangnier lui avait ôté.

Dans les années qui précédèrent 1914, l'Action Française mit ainsi l'accent sur l'affaiblissement continu des budgets militaires où il voit le signe le plus évident de la dégénérescence produite par la république et l'influence délétère des juifs. Elle soutint ainsi en 12 et 13, les gouvernements Poincaré et Barthou qui essayent de redresser le budget militaire et font voter la loi des 3 ans qui recueille évidemment sa chaude approbation.

Puis, le gouvernement retourne aux mains des radicaux et des socialistes qui, malgré l’assassinat de Gaston Calmette, protestent contre la loi des trois ans.

Ce qu'il y a d'intéressant c'est de voir comment ce mouvement, profondément anti-républicain, farouchement antisémite et anti-maçonnique autant anti-protestant, négociera le virage de l'Union Sacrée qui va bien l'obliger à mettre sous le boisseau - à moins de contrevenir de manière trop flagrante à l'unité nationale - ses attaques contre les juifs mais en général aussi contre les républicains, voire les socialistes.

 

Une vieille histoire

Le rôle de Maurras, avec son enquête sur la monarchie (1901) aura consisté tout en convertissant l'Action Française au monarchisme, à conférer une allure rationnelle, positiviste, à ce qui chez Vaugeois n'était que répulsion : il la systématise sous le concept du quadrilatère - les fameux quatre états confédérés.

Contre l’hérédité de sang juif, il faut l’hérédité de naissance française, et ramassée, concentrée, signifiée dans une race, la plus vieille, la plus glorieuse et la plus active possible. (...) Décentralisée contre le métèque, antiparlementaire contre le maçon, traditionnelle contre les influences protestantes, héréditaire enfin contre la race juive, la monarchie se définit, on le voit bien, par les besoins du pays. Nous nous sommes formés en carré parce qu’on attaquait la patrie de quatre côtés.
25/8/10

Ce faisant, Maurras ne donne pas seulement un objet à haïr : la République, les Juifs mais un objet à aimer : la Monarchie.

Très vite, via les Camelots, l'AF fera bruyamment parler d'elle : l'affaire Thalamas, enseignant remettant en question la mission religieuse de Jeanne d'Arc dont on empêchera les cours, mais aussi l'affaire Bernstein dont on empêchera les représentations théâtrales : c'est au gré de ces actions que se théorise avec Maurras un antisémitisme d'état

Il est bon que la force juive ait conduit, selon le mot de Gil Blas, à faire du théâtre juif un théâtre d’État. On n’en verra que mieux combien l’antisémitisme est affaire d’État. La réorganisation de l’État français peut seule régler cette haute et difficile question. Elle a été posée en 1886 par un maître de génie, par un grand Français, par Drumont. (...) Le Français, qui n’est pas une bête, commence à percevoir qu’il ne saurait y avoir de solution pratique de la question juive en régime républicain. (...)

D’autant que l’état du Juif en France est plus particulier et qu’il ressemble moins à la condition des autres Juifs de l’Europe et du monde. Le Juif d’Algérie, le Juif d’Alsace, le Juif de Roumanie sont des microbes sociaux. Le Juif de France est microbe d’État : ce n’est pas le crasseux individu à houppelande prêtant à la petite semaine, portant ses exactions sur les pauvres gens du village ; le Juif d’ici opère en grand et en secret. On le soupçonne, on le découvre, mais on le voit peu au travail. Du centre même du pays, il a commencé par tenir l’État grâce à la finance ; puis, à la faveur de ces liens, il a envahi les fonctions de l’État. Juifs de Conseil d’État, Juifs d’Université, Juifs d’armée, Juifs de justice, Juifs de Chambre, de Sénat et de ministère, les Juifs détiennent, grâce à notre fameuse centralisation administrative, tous les noeuds vitaux de notre existence d’État. Ou l’on n’en finira jamais avec la juiverie ou l’on devra commencer par l’attaquer dans les postes d’État.
23 fev 11

Un quotidien (1908)

Lancée le 21 mars 1908 grâce aux fonds versés par la famille Daudet, L’Action française est un journal profondément antisémite : en 1911, au moment de l'affaire Bernstein, 25 seulement des 135 éditoriaux de Maurras sont exempts d'attaques contre les juifs !

Mais avec la déclaration de guerre tout va changer : ce quotidien plutôt bien distribué chez les officiers - conséquence évidente de sa position farouchement antidreyfusarde - connaîtra des tirages de pointe (jusqu'à 200 000 en 1916 !) et aura une influence d'autant plus forte que son patriotisme acharné est dans l'air nécessaire du temps. Sauf à considérer qu'il n'est plus séant de pointer le doigt vers l'une quelconque des parties de la nation : disparaîtront ainsi pour un temps les diatribes contre les franc-maçons, les protestants et même les juifs : le calendrier de l'affaire Dreyfus disparaît dès les premiers jours d'Août et les grandes obsessions conspirationnistes de Daudet déferleront sur le boche, ou mieux encore sur l'espion boche qui déclenchera d'autant plus volontiers son ire que son nom aura une connotation supposée juive : les expressions telles que juifs russes embusqués, financier juif autrichien, ou espion juif syrien, banquier juif etc ponctueront à l'envi les accusations de Daudet !

Quant à Maurras il orientera ses diatribes contre la gauche, la presse socialiste, l'Humanité en tête, mais aussi contre tous ceux, gouvernementaux, qui n'auraient pas montré assez de zèle pour contrecarrer les menées antipatriotiques et internationalistes. C'est ainsi l'AF qui souleva le cas Malvy nourrissant jusqu'au dégoût un dossier dont Clemenceau se servira en 17.

Reste qu'il est difficile de pratiquer un antisémitisme radical en de telle période : le juif bien né va donc apparaître dans les propos de Maurras : petite nuance théorique, concession faite au patriotisme, sans aucun doute mais qui ne permettra en réalité à un Juif d'intégrer la communauté nationale qu'en versant son sang. Un bon juif reste un juif mort ! soit au champ d'honneur soit en se reniant et devenant à son tour antisémite tel l'inénarrable éditeur René Groos. (2)

Maurras s'expliquera à la fin de la guerre :

Devions-nous être cause qu’un de nos soldats désobéisse à un officier juif ou qu’un soldat juif refuse d’obéir à l’un de nos officiers ? La vie du pays se jouait. Nous avons pratiqué l’union que nous prêchions. […] Dans la phase qui a suivi immédiatement la guerre, d’une part, la convalescence du pays exsangue, et d’autre part, la composition du ministère Clemenceau où le juif Ignace rendit tant de services à la victoire et l’ordre intérieur nécessitaient les mêmes ménagements

Il y eut des juifs chez qui l'esprit français domina l'esprit juif et ceux-ci sont assimilables mais, ajoute-t-il, le plus souvent l'esprit juif l'emporte au point qu'une réelle assimilation s'avère illusoire :

Demi-assimilé, [le Juif] est maître de vos journaux, de vos finances, de vos corps savants, de vos théâtres, de vos tribunaux, de vos administrations, de vos assemblées politiques ; mais demi-réfractaire, il veut briser, dissoudre et anéantir tout cela […]. Le Juif réfractaire prépare la révolution

Demeure, effet de la nouvelle donne de l'après-guerre, où domine la peur panique devant la révolution russe, une réorientation de la campagne antisémite de Maurras qui prendra plus volontiers pour cible le juif étranger, bolchévique - ce qui revêtira une force d'autant plus considérable que ce sont aussi les années où paraissent les Protocoles des Sages de Sion dont Daudet fera tout son miel.

Débute ainsi une collusion entre antisémitisme et antibolchévisme qui conduira l'AF et Maurras dans les bras du fascisme et de la collaboration.

Il est certain que la tyrannie de Lénine et de ses amis ne durerait pas depuis 1917 si elle n’avait pas la connivence et l’appui de quelques hauts seigneurs de la Finance, dissimulés dans l’ombre et la brume de sang. Combien il est amer que le grand Drumont soit mort avant cette confirmation de ses illustres bouquins

 


1) quand se crée en 1905 la ligue d'Action Française la déclaration à quoi chacun doit souscrire met bien l'antisémitisme au coeur du dispositif

« Français de naissance et de coeur, de raison et de volonté, je remplirai tous les devoirs d’un patriote conscient. Je m’engage à combattre tout régime républicain. La République en France est le règne de l’étranger. (...) Notre unique avenir est donc la monarchie telle que la personnifie Monseigneur le duc d’Orléans, héritier des quarante Rois qui, en mille ans, firent la France. Seule, la Monarchie assure le salut public et, répondant de l’ordre, prévient les maux publics que l’antisémitisme et le nationalisme dénoncent. Organe nécessaire de tout intérêt général, la Monarchie relève l’autorité, les libertés, la prospérité et l’honneur. Je m’associe à l’oeuvre de la restauration monarchique. Je m’engage à la servir par tous les moyens. »

2) Insistant sur les devoirs qui incombent aux Juifs désireux d’être français – entre autres, reconnaître que l’« esprit démocratique n’est rien d’autre que l’esprit juif » –, Groos publie une série de vingt neuf témoignages. L’historien Salomon Reinach répond ainsi : « Prenez 75 grammes de bêtise ; joignez 25 grammes de méchanceté ; misce secundum artem et servez chaud : voilà la recette du gâteau anti-juif. C’est malpropre et ce n’est pas nourrissant. » René GROOS, Enquête sur le problème juif, Paris, Nouvelle librairie nationale, 1923, p. 58. Quant aux antisémites sollicités, les collaborateurs de L’AF Robert Launay et Roger Lambelin, ils ne cachent ni leurs réserves ni leur mépris.