Il y a 100 ans ....

Devant l'ennemi
3 août 1914


Notre lien le plus fort est celui de la France, notre intérêt le plus pressant est de rester Français. Les circonstances qui rappellent aujourd'hui la vérité longtemps méconnue concourent à faire oublier cette longue méconnaissance, car jamais l'amitié nationale ne s'est exprimée dans Paris par des signes plus beaux. Dans la journée d'hier, parmi les cortèges qui sillonnaient toutes les avenues, promenant les drapeaux, chantant la résolution et l'enthousiasme, je n'ai pas aperçu un signe d'égarement ni d'absence et, ceux qui ont l'habitude des foules pardonneront ce trait direct, je n'y ai pas vu un ivrogne. Les visages des jeunes hommes respirent une volonté grave et forte, et les jeunes femmes qui leur disent adieu, dans l'extrême frivolité du vêtement d'aujourd'hui qui les fait ressembler à de grandes petites filles, n'en incarnent que mieux, droites, fières, sans un sanglot, les formes idéales de la Vaillance et de la Foi.


Les Français se réconcilient, l'esprit français reprend conscience de ses devoirs. Nous ne signerions pas toutes les syllabes de la lettre de M. Gustave Hervé 1 rallié à la France. Nous ne sommes pas sûrs de tout ce qu'il affirme. Mais l'accessoire est l'accessoire, et l'essentiel ici, c'est le cri final décisif de « Vive la France tout court ». C'est aussi notre cri, et nous le reprenons d'autant plus volontiers qu'il emporte la preuve d'une des idées qui nous ont toujours été les plus chères ; ce n'est pas, disions-nous, le cœur de la France qui est entamé, la tête seule est malade. Cette tête guérit par la force médicatrice de la réalité.
Puisse le souvenir des anciennes erreurs de M. Hervé le délivrer de celles qu'il commet encore aujourd'hui. Si la réaction de sa raison peut être complète, qu'elle le soit donc au plus tôt !


Désireux, pour notre part, de faire en ce moment tout effort capable de coopérer à la paix civique, nous suspendons, à dater d'aujourd'hui, le témoignage quotidien du crime commis contre les lois et contre la patrie par le plus haut tribunal de la République 2. Nous nous proposons même de nous abstenir d'y faire aucune allusion. Hier, il fallait montrer les causes vives qui risquaient de nous affaiblir devant l'ennemi. Aujourd'hui, l'ennemi est là. Ne pensons qu'à le vaincre.


La même raison nous fait un devoir de demander à la population de Paris le plus grand calme devant les officines d'espionnage et de trahison 3. Les unes sont désertes, les autres peut-être habitées encore par des gardiens inoffensifs ou que l'ouverture des hostilités a réduits à l'impossibilité de nuire. Saisie depuis longtemps par les dénonciations du grand livre de Daudet 4, l'autorité civile a passé la main à l'autorité militaire. C'est celle-ci que la surveillance de l'espionnage concerne. Il est inutile et périlleux d'y mêler les rumeurs d'une multitude irresponsable et d'ailleurs forcément mêlée. Les bons citoyens s'abstiendront de ces mouvements ; pour ceux qui font partie de nos organisations, ils ont reçu l'ordre formel de s'abstenir de ces tumultes et de recommander le calme, conformément à leur mission de « gendarmes supplémentaires », telle que l'a formulée mille fois Maurice Pujo. La gravité des circonstances ajoute au sérieux de nos recommandations.


C'est dans un vif sentiment de haute et courtoise amitié qu'il faut saluer les manifestations des étrangers, nos hôtes, qui veulent rester nos amis. Beaucoup même voudraient nous défendre à main armée. Il ne dépend pas de nous, mais du gouvernement, de dire si l'aide doit être accueillie. Personne n'a le droit de repousser un concours loyal. Mais chacun doit exiger que l'ordre public n'en souffre pas. Investie par l'état de siège, l'autorité militaire peut accepter, refuser ou choisir 5.


Charles Maurras