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I/
Père, pardonnez-leur, parce qu’ils ne savent ce qu’ils font
ὁ δὲ Ἰησοῦς ἔλεγεν· Πάτερ, ἄφες αὐτοῖς, οὐ γὰρ οἴδασιν τί ποιοῦσιν.
Luc 23, 34

Père, pardonnez-leur, parce qu’ils ne savent ce qu’ils font Aujourd’hui, tu seras avec moi au Paradis. Femme, voici ton fils ; fils, voilà ta mère. Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné J’ai soif Tout est achevé Père, entre tes mains je remets mon esprit

 

Aussi loin que nous remontions en nos souvenirs personnels ou par la mémoire de l’histoire, nous étonne la répétition monotone de nos fautes de violence : nous faisons la guerre, nous versons le sang, blessons des innocents, les enfants et les femmes, exploitons les faibles et les misérables, infligeons à autrui des hiérarchies vaines, des cruautés physiques, des humiliations sexuelles ou affectives, jouissons tous les jours du spectacle de la mort, saccageons la face de la Terre, méprisons la connaissance et la beauté… Nous devrions au moins avoir appris depuis notre origine ce que nous faisons. Comment pouvons-nous encore ignorer ce péché originel inscrit au plus noir de nos âmes et continûment dans notre histoire : cette pulsion meurtrière ? Seul un Dieu d’une miséricorde infinie pourrait nous pardonner la série infinie de ces actes infâmes et l’inconscience où nous restons de ne cesser d’y revenir. Serres

Je ne connais pas de phrase plus puissante que celle-ci ; plus extraordinaire. Plus médiocrement comprise. C'est qu'on peut porter l'accent sur la seconde partie de la prière : nous ne savons pas ce que nous faisons. C'est au reste ce que fait Serres qui illustre notre parfaite méconnaissance de la violence qui nous condamne à la répéter sans cesse - ce qui était la théorie de Girard.

Mais on peut porter l'attention sur la première partie qui est une invite au pardon. Ce sera l'interprétation classique du catholicisme qui verra en le Christ cet agnus dei qui tollit peccata mundi. Qui verra dans la croix le vecteur même de la rédemption. Et c'est tout le mystère de la Croix qui est au creux de la foi chrétienne : cette mort qui, étrangement, sauve !

On peut enfin, et ce n'est pas tout à fait la même chose mais on devinera que c'est l’interprétation que je privilégie, y considérer une extraordinaire prière d'intercession. Mais alors en tirer les conséquences on ne demande de pardonner que ce qui relève de la faute : c'est entendre alors la crucifixion comme un crime ; une étonnante fin de non recevoir adressée au divin ! On voit mal alors comment ce qui est à ce point fautif pour mériter d'être pardonné pût en même temps entrer dans les voies divines comme truchement de la miséricorde !

Il vaut la peine de regarder les mots : intercedo c'est à la fois intervenir pour ou intervenir contre. En réalité c'est bien aller entre, s'interposer. C'est ce que fait un arbitre pour séparer les protagonistes et éviter que les choses ne dégénèrent. Ou bien pour qu'elles s'arrangent. Le Christ est dans son rôle d'ainsi jouer l'intercesseur. Il est supposé être l'עִמָּנוּ אֵל- Dieu avec nous - (Is, 7,14) c'est-à-dire à la fois l'ange absolu, celui qui transmet le message, la parole divine et qui, à l'inverse, au milieu des hommes, porte leur parole auprès du père. C'est ceci l'Emmanuel ; ou le Paraclet : l'avocat, celui qui est appelé au devant et qui parle pour vous.

L'essentiel est là : si l'on comprend bien et hors de toute interprétation théologique, cette fonction médiatrice qui est l'exact opposé de la fonction parasitaire et fait du Christ le symbole par excellence et donc le contraire du Diable, ce Messie annoncé n'est pas un sacrifié ; mais un Envoyé ; un ambassadeur. Celui qui porte un message.

L'objet de ce propos n'est évidemment pas de rentrer dans d'infinies controverses théologiques : ceci n'aurait pas de sens. Je n'ai seulement jamais compris ; ni d'ailleurs admis, cette fabuleuse escroquerie intellectuelle d'une crucifixion qui fût récompensée par la miséricorde. Mais je veux comprendre ce que croire signifie ; je veux pouvoir cerner ce que d'aucuns entendent par Dieu ou Serres par divin ; tenter de mettre des mots sur ce que je perçois moi-même de tout ceci.

Et tandis que les Juifs demandent des signes, et que les Grecs cherchent la sagesse, 22 23
ἡμεῖς δὲ κηρύσσομεν χριστὸν ἐσταυρωμένον, Ἰουδαίοις μὲν σκάνδαλον, Ἕλλησιν (N Ἕλλησιν → ἔθνεσιν) δὲ μωρίαν:
nous, nous prêchons Christ crucifié, scandale pour les Juifs, et folie pour les païens ; 1Cor, 1, 22

Sans aucun doute, il est question ici de pardon et d'abord de ce qui est semble a priori impardonnable. Jamais un romain n'eût pu comprendre ceci ; jamais aucun de ceux qu'on appelait autrefois païens dans l'Antiquité : qu'un dieu que l'on vénère et à qui on prête d'avoir été assez puissant pour être le seul véritable auteur du monde, puisse être tué comme n'importe quel mortel, puisse être assez faible pour n'être pas même capable de réagir à l'agression inique dont il fut l'objet, est à proprement impensable. Qu'il ne parvienne pas à ses fins et manque presque chacun de ses objectifs face à une humanité à la nuque raide demeure à leurs yeux absurde.

Il suffit en tout cas d'imaginer ce qu'aurait pu être les conséquences d'un divin qui ne pardonnât pas pour comprendre ce qui ici se joue. Ce ne pourrait être qu'un dieu qui chercherait à venger son fils en mettant fin définitivement à une création qui décidément n'eût pas tenu ses promesses ou, mais ne serait-ce pas pire, qui s'en désintéresserait …La chose n'est pas tout à fait inédite : il y a en définitive une cohérence dans le récit biblique. C'est, bien entendu l'incident du veau d'or qui éveille une colère divine tellement forte et menaçante que Moïse entreprend de rappeler sa promesse au divin.

L'Éternel dit à Moïse: Va, descends; car ton peuple, que tu as fait sortir du pays d'Égypte, s'est corrompu.
Ils se sont promptement écartés de la voie que je leur avais prescrite; ils se sont fait un veau en fonte, ils se sont prosternés devant lui, ils lui ont offert des sacrifices, et ils ont dit: Israël! voici ton dieu, qui t'a fait sortir du pays d'Égypte.
L'Éternel dit à Moïse: Je vois que ce peuple est un peuple au cou roide.
Maintenant laisse-moi; ma colère va s'enflammer contre eux, et je les consumerai; mais je ferai de toi une grande nation.
Moïse implora l'Éternel, son Dieu, et dit: Pourquoi, ô Éternel! ta colère s'enflammerait-elle contre ton peuple, que tu as fait sortir du pays d'Égypte par une grande puissance et par une main forte?
Pourquoi les Égyptiens diraient-ils: C'est pour leur malheur qu'il les a fait sortir, c'est pour les tuer dans les montagnes, et pour les exterminer de dessus la terre? Reviens de l'ardeur de ta colère, et repens-toi du mal que tu veux faire à ton peuple.
Souviens-toi d'Abraham, d'Isaac et d'Israël, tes serviteurs, auxquels tu as dit, en jurant par toi-même: Je multiplierai votre postérité comme les étoiles du ciel, je donnerai à vos descendants tout ce pays dont j'ai parlé, et ils le posséderont à jamais.
Et l'Éternel se repentit du mal qu'il avait déclaré vouloir faire à son peuple.
Ex, 32.7- 15

Je ne connais pas de passage plus dramatique que celui-ci - si on le prend isolément ; plus émouvant si on le relie à la prière sur la croix ! Cessons de nous représenter Dieu comme un individu colérique ou progressivement plus aimant ; cessons de l'imaginer vieillard, sage ou encore impétueux ; ou pire encore aimable sénile prompt à tout et tout nous pardonner, même la mort de son fils, pour le seul plaisir de nous complaire : bref cessons d'en faire une figure anthropomorphe. Spinoza, Feuerbach mais toute l'histoire de la philosophie avaient bien repéré que nous ne faisions jamais que projeter sur lui notre propre être, nos angoisses ou nos espérances. Cessons de disserter à l'infini sur ce dieu de l'Ancien Testament que l'on ne pût que craindre à la différence de celui du Nouveau que l'on pût enfin aimer : ceci ne fait qu'illustrer la trame si besogneusement changée de nos propres appréhensions.

Mais, oui, ce dieu qui vitupère contre son peuple à la nuque raide au point d'envisager de le consumer, oui, ce dieu à la fin retient son bras et, sinon pardonne, lui donne néanmoins sa chance et accomplit sa promesse d'une terre et d'un savoir. D'une culture et d'un rite. D'une existence donc.

Il est aisé de se représenter l'hypothèse de la destruction : après tout il n'est qu'à se figurer nos propres violences. Oui, ce dieu parfois s'emporte et punit - mais, du déluge aux cavaliers de l'Apocalypse, il y a toujours, après, juste après, une porte ouverte, une espérance.

Et sur le trône … Quelqu'un !

J'ai plus de mal à me représenter ce que pourrait être l'indifférence divine … Elle doit bien pourtant ressembler à ce que certains des déportés ressentirent à Auschwitz. Je le sais en réalité parce qu'on me l'a raconté ; je le devine plutôt ou même seulement le soupçonne parce que ceci n'est ni dicible ni transmissible. A ce moment-là, non pas seulement dans les chambres à gaz au point de succomber, mais dès les rampes d'accès ; oui en cet endroit précis, ceux-là se sentirent tragiquement seuls au monde.

Mais plus pard encore, pour ces rares survivants qui endurèrent la marche de la mort ; pour ceux qui hagards, transis, meurtris de toute les morsures qu'hommes peuvent infliger à homme, traversèrent les villages au petit matin sans que personne ne les regardât comme s'ils n'avaient déjà plus été que des ombres, oui sur ces routes pourtant longés de badauds, ceux-ci ne pirent que se sentir tragiquement seuls au monde. Et l'humanité étrangement absente.

Mais à la fin, pour cette poignée, par miracle revenue en son pays, accueillie au Lutétia où bien sûr on s'affaira à prendre soin d'eux mais où ils s'épuisèrent à tenter de parler ; s'écorchèrent à faire comprendre. Ils avaient traversé trop loin cette ligne de partage qui sépare les humains des choses. Ce qu'ils avaient enduré, seuls, si radicalement seuls, les emmura dans un silence inhumain.

Et là, ce sont eux qui demeurèrent absents. A en pleurer.

A ce moment bien précis, de cet endroit maudit entre tous, Dieu avait détourné le regard ; voilé sa face… Laissé faire. Ou l'avoir semblé en tout cas. Son peuple ne s'en est jamais remis et je doute qu'il s'en remette jamais. Entré dans le cycle infernal de la violence mimétique, dans ses légitimes aspirations à vivre, il a fini désormais par ressembler à tous les autres ; est devenu injuste, cruel … et stupide comme les autres.

Pas de cris, pas de convulsions, rien que la fixité d'un visage pensif. Les dieux n’étant plus et le Christ n’étant pas encore, il y a eu, de Cicéron a Marc—Aurèle, un moment unique ou l'homme seul a été. Flaubert

Alors la si belle phrase de Flaubert reprise par Yourcenar cesse d'être enivrante ou enthousiasmante : elle ne dit plus la proximité d'avec dieu, la communication avec lui mais au contraire la distance absolue ; son silence ; sidéral. Son absence.

J'ai toujours été fasciné par ces réactions si radicalement opposées des survivants : certains revinrent définitivement athées. D'autres plus croyants que jamais. Les deux attitudes sont éminemment honorables ; compréhensibles. Nous sommes ici sur la ligne de partage où s'épuise la raison ; où tout se distingue encore mais s'indiffère déjà. Où tout se vaut sans pourtant se confondre. Il faudra parler, tout-à-l'heure, de l'abandon puisqu'il est au cœur de l'autre grande parole si mystérieuse mais ici il ne s'agit pas du Fils s'adressant au Père mais de l'humanité tout entière, de la Création désertée ; de l'enfant apeuré.

De l'effroi.

Les voix mouraient une à une le long du poème inachevé

J'en connus tellement qui revinrent comme impropres à vivre encore ; tout juste aptes seulement à bégayer leur survie ; d'autres, la rage de vivre, déployant, comme on dit, toute l'énergie du désespoir pour s'inventer une postérité, eux qui venaient de perdre toute histoire. Je les admire de l'avoir tenté : il est si difficile de marcher quand le sable efface les traces de vos pas ; quand il devient même impossible de se retourner et regarder d'où l'on vient …

Alors oui : ce que je crois ; oui, ce pardon que le Fils appelle possède un nom ; pas même secret :

La présence.

Alors, oui, je sais ce qu'aurait pu être la sanction suprême de la colère divine : la distance prise ; le désintérêt ; l'indifférence. L'absence. Presque à chaque fois Dieu en menace les hommes. Que ce soit par le silence, la destruction ou la consomption. A chaque fois, il se reprend … et parle. Les sept préceptes noachides ; puis le Décalogue ; puis les 613 mitsvot. La relation Dieu -> non seulement est univoque mais elle fonctionne mal : ceci s'appelle de la communication. Donnez l'interprétation que vous voulez à ce phénomène - que l'homme soit mauvais et pour cela n'écoute pas ; que dieu soit faible et pour ceci n'atteigne pas ses objectifs ou plus radicalement encore qu'il n'existe pas - ceci ne changera rien à l'affaire qui, si elle est entendue de manière moderne diagnostiquera seulement que le canal de la relation est un semi-conducteur ! Tout vient de ceci sans doute. Je ne connais pas d'alliance qui résiste à cette absence de réciprocité. D'où les crises.

J'aimerais faire le fier à bras et me colleter avec le savoir, l'étymologie ; j'aimerais avoir la précision parfois abyssale d'un Lévinas ou la poésie simple d'un Ovide pour dire cette présence. Je sais seulement que cet étant s'avance, se met au grand jour, se révèle ; s'approche. J'aime assez que le mot engage un gérondif - ens - plutôt qu'un substantif : il ne s'agit pas de ce qui se tient en dessous, stable- substance dit ceci - , mais au contraire de ce qui de jour en jour s'avance et approche ; de ce qui advient. La présence n'est ainsi pas un état mais un processus continué. Descartes supposait la création continuée : il avait raison. Il en va de même de la présence. Elle est tension de chaque instant.

Le pardon ici demandé, hier accordé, n'a en réalité rien d'une absolution un peu paresseuse par quoi on effacerait la faute commise : le pardon, c'est, dit le dictionnaire, laisser la vie à qui est condamné à mort -, gracier donc ; mais c'est aussi tenir pour non avenue, une offense qui eût été commise. Faire ainsi comme si rien ne s'était produit. Paradoxalement, détourner le regard. Ce regard qui peut ainsi à la fois signifier l'abandon le plus total ou au contraire l'absolution.

Girard prendra au mot le pardon : s'il est besoin de pardonner c'est bien pour éviter de réenclencher sans fin le cycle de la violence, vengeance, représailles etc et celui qu'il avait théorisé où le sacré n'était jamais qu'une sublimation de la violence ; la canalisation de la haine de tous contre chacun, de la violence sur la tête d'un seul, innocent.

un d'eux, Caïphe, qui était souverain sacrificateur cette année-là, leur dit: Vous n'y entendez rien ; vous ne réfléchissez pas qu'il est dans votre intérêt qu'un seul homme meure pour le peuple, et que la nation entière ne périsse pas. Or, il ne dit pas cela de lui-même; mais étant souverain sacrificateur cette année-là, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation.…Jn, 11, 50-51

Girard a sans conteste raison en affirmant que le cœur du message chrétien tourne autour de la condamnation de la violence et du décryptage du désir mimétique. Sans doute a-t-il raison en voulant voir dans cette première parole, au delà de l'intercession, une volonté de déminer le piège et de substituer au sacré, la sainteté. Ce qui précisément échappe au processus sacrificiel et donc à la violence.

Je veux m'attarder sur ce que ab(s)ens et prae(s)ens ont de précieux :

Mt,22,37

Et revenir à ce passage où l'essentiel est dit : ces deux commandements dont le Christ affirme lui-même qu'ils constituent le principe de tout le reste.

Jésus lui répondit: Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, et de toute ta pensée.
ὁ δὲ ἔφη αὐτῷ· Ἀγαπήσεις κύριον τὸν θεόν σου ἐν ὅλῃ τῇ καρδίᾳ σου καὶ ἐν ὅλῃ τῇ ψυχῇ σου καὶ ἐν ὅλῃ τῇ διανοίᾳ σου·
C'est le premier et le plus grand commandement. αὕτη ἐστὶν ἡ μεγάλη καὶ πρώτη ἐντολή.
Et voici le second, qui lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Δευτέρα δὲ ὁμοία αὐτῇ· Ἀγαπήσεις τὸν πλησίον σου ὡς σεαυτόν.
De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes. ἐν ταύταις ταῖς δυσὶν ἐντολαῖς ὅλος ὁ νόμος κρέμαται καὶ οἱ προφῆται.

Constater d'abord que le terme utilisé pour désigner l'autre est πλησίον - le prochain et qu'il s'agit d'un adverbe et non du substantif πλησίος. Celui qu'il importe d'aimer est désigné non par ce en quoi il se distingue de moi non pas par son écart mais par sa présence - ce par quoi il entreprend de venir vers moi. Encore une fois l'identité est ramenée à sa plus simple expression : au-delà de nos réseaux d'appartenance nous sommes envisagés pour ce que nous entreprenons ; pour le chemin que nous empruntons.

Rappeler ensuite tout ce que agapao constamment utilisé pour dire l'amour que l'on doit porter à Dieu et à l'autre comporte de plus vaste que philein : nous sommes ici au cœur de ce qui déborde toute réciprocité au point qu'on pourrait être fondé à considérer que, de cet amour-là, seul Dieu serait capable si n'étaient cependant ces quatre versets qui en un parallèle étonnant disent la parfaite équivalence de l'amour que l'homme doit à son Dieu et à l'autre. Que cet amour concerne à la fois le cœur - cordia - l'âme -psyché - et la pensée - dianoia, le terme même qu'utilisa Platon - suggère l'immensité de l'engagement qui est requis seul capable de constituer l'antidote à la violence qui, elle aussi engage mais pervertit l'être dans ces trois mêmes facettes et parvient à le pervertir pour cette raison même.

Ainsi en définitive, est-il si utile de distinguer d'entre Dieu qui existât en tant que personne et ce divin qui fût principe moteur ?

Je lis dans cette extraordinaire prière d'intercession un cri formidable … un ça suffit à la fois péremptoire et suppliant. Qu'on en termine avec la violence. Mais j'y devine une chaleureuse promesse ou, en tout cas, une réconfortante consolation : nous en serions capables. Parce que ce qui nous est demandé n'est en rien extraordinaire ni hors de notre portée : nous soucier de l'autre … c'est aussi se soucier du divin. Non que ce soit la même chose ; non que l'autre soit à diviniser, sanctifier … simplement à aimer, mais que c'est en ceci précisément que réside l'observance des commandements.

C'est ce commandement qui n'est peut-être qu'un principe : ne pas enlaidir le monde ni l'alourdir de pensées de haine, de projets de destruction. C'est toujours s'approcher de l'autre comme du monde que d'y être ainsi présent.

Je lis dans ces versets combien l'état pitoyable du monde - ses souillures comme ses épuisements - tient à l'état désastreux de nos âmes ; tient à notre désertion ; à notre absence.

C'est aimer que d'être présent.

C'est à l'aune de cette incroyable équivalence que se mesure le chemin à parcourir à la fois immense mais cette fois véritablement enthousiasmant. Fait de petites choses, de petits silences ; du soin et de ce souci porté à la main qui s'ouvre et se tend. Car c'est bien cela que dit aussi cette prière : c'est être à la hauteur de cette intercession que d'exhausser l'autre de notre présence et nous embellir en même temps que le monde.

Il est vraiment temps que nous fassions ce que nous savons ! que nous sachions ce que nous faisons. Car ce que nous devons faire nous le savons depuis toujours.

 


 


1) Les 7 préceptes noachides

les 613 mitzvot selon Maïmonide :