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Croire … en Dieu ?

Père, pardonnez-leur, parce qu’ils ne savent ce qu’ils font Aujourd’hui, tu seras avec moi au Paradis. Femme, voici ton fils ; fils, voilà ta mère. Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné J’ai soif Tout est achevé Père, entre tes mains je remets mon esprit

 

 

Je ne sais pas si je crois en Dieu, c'est une question qui n'a pas de réponse, mais je sais que le divin est là, devant moi ; ce n'est pas une question de croyance mais d'évidence! Divin est un très bon mot parce qu'il est partout pour qui veut le contempler, dans une aurore, une poésie, une belle femme , une belle action ...
Serres Philosophie Magazine

Cette question, je ne m'étonne pas qu'on eût fini par la poser à M Serres. M'intéresse presque plus la réponse qu'il fait à la question précédente où il indique qu'il espère ne pas mourir sans faire un livre sur la religion. Ce qui m'amuse parce que je me souviens l'avoir entendu proclamer il y a à peu près vingt ans et à peu près dans les mêmes termes qu'il n'aimerait pas mourir avant d'avoir écrit une morale. C'était l'époque où paraissait Rome si je m'en souviens bien … Je crois bien que toute son œuvre ultérieure correspondît à ce projet.

La question du divin et du religieux est bien plus engageante encore. Pourtant, ici non plus, rien de bien neuf puisqu'après tout elle est déjà évoquée dans ce documentaire de 2007 : Le Voyage encyclopédique de Michel Serres

Tout, sans doute, dans la pensée de ce vieux rationaliste, le rebute-t-il sans doute à aborder de front la présence du divin : toute sa démarche a tellement consisté à tout faire entrer dans les arcanes de la raison ! … On n'est pas spécialiste de Leibniz pour rien … On n'est pas descendant de cathare pour rien non plus.

La question de dieu en philosophie me semble heureusement réglée depuis Kant : étant improuvable, ses existence comme inexistence échappent au territoire de la raison, la démarche théologique sort du territoire de la connaissance pour entrer dans celui de la foi. En réalité, la question n'est pas là mais bien plutôt de ce que l'on fait de cette croyance. Une foi qui ne changerait en rien votre comportement, qui ne vous engagerait en rien, jamais, n'aurait évidemment aucun sens. Qu'elle soit plutôt encline à éclore l'âge pesant est question que je me suis longtemps posée. Mais ce serait une erreur. En revanche que foi devienne impérieuse et incite à se regarder en face …

Je veux finir par ce que sans doute peu de gens peuvent ouïr de leur vivant ; que je n’ai encore prononcé devant personne : Monsieur, ce que vous dites dans vos livres est vrai ; ce que vous dites fait vivre.
Le sacrifice épuisé, nous ne nous battrons plus que contre un ennemi : l’état où nous désirions réduire l’ennemi lorsque, jadis, nous nous battions. Alors, seul adversaire en ce nouveau combat, la mort, vaincue, laisse place à la résurrection ; à l’immortalité.
Madame la Secrétaire perpétuelle, permettez-moi maintenant, comme entorse au règlement, de quitter, sur le mot terminal, le vouvoiement cérémoniel. En notre compagnie, fière de te compter parmi nous, entre, maintenant, mon frère. Discours de Serres en réponse à Girard

J'écoute cet hommage rendu à Girard par son vieil ami Serres : ces deux-là se sont beaucoup suivis - à Stanford notamment et à l'Académie où je n'oublie pas le entre, maintenant, mon frère par quoi il termina sa réponse au discours de réception de Girard. L'effroi que toute violence suscite chez Serres ne pouvait que rejoindre la théorie mimétique et c'est peu dire qu'on en trouve maintes traces dans Rome le livre des fondations. Lui, qui ne s'est certes jamais déclaré athée, mais plus philosophe rationaliste que pieux ; Girard profondément croyant et dont la foi sans conteste aura marqué ses travaux et déterminé sa thèse sur les rapports entre violence et sacré … quel curieux attelage.

C'est pourtant en l'église St Germain des Prés que pour Girard M Serres accompagnera de ses commentaires les Sept Paroles du Christ sur la Croix de Haydn. Et s'il n'est rien de particulièrement nouveau dans ses commentaires des sept paroles, il y a bien quelque chose d'émouvant bien sûr, mais d'insolite à l'entendre, lui, qui s'en tint à l'écart, commenter pour son ami défunt les versets bibliques qui assurément s'accordent le mieux à leurs philosophies communes.

Quelle leçon !

Quelle leçon à tirer encore et toujours !

Un tout petit rappel - un détour ?

Comment ne pas finir par la religion comme liaison universelle de mon travail ? Quand je suis seul chez moi et que je me dis que je vais mourir , la question du sens de la vie m'apparaît naturellement relever du fait religieux - donc , à mes yeux en tout cas, du christianisme. Des trois grands monothéismes , c'est celui qui me semble le plus proche d'une religion à l'état pur , puisque le judaïsme est une généalogie autant qu'une religion et que l'islam est plus politique et juridique.

Signe en tout cas que Valéry avait bien tort : la question du sens de l'existence qui est quand même au cœur de la préoccupation philosophique parce qu'elle concerne évidemment notre rapport au monde n'est donc pas enfantine ; pas plus qu'elle n'est le fait de vieillards valétudinaires. Elle est le signe même de notre être-au-monde.

Je m'amuse d'observer Serres plus préoccupé de religion que de Dieu quand j'eusse naturellement incliné vers le contraire mais peut-être ai-je trop spontanément tendance à considérer dans religion ces églises qui si rapidement s'interposent et parasitent la relation à l’Être. Je m'amuse de le voir considérer dans le christianisme le religieux pur, c'est-à-dire débarrassé des scories juridiques, politiques … ce qui est quand même aller un peu bien vite s'agissant d'une église qui renâcla si fort à se voir séparée de l’État ; d'une Eglise qui monopolisa si longtemps sinon le pouvoir en tout cas le contre-pouvoir et la parole …

Il déclare être plus sensible à l'adjectif qu'au substantif : c'est encore une manière de vouloir échapper aux dogmatismes de tout poil, aux intolérances si vite excitées ; c'est surtout une manière point si sotte de ne pas laisser le divin s'enfermer dans le fini des mots, dans le tranchant de la langue. Les anciens toujours le surent pourtant qui insistèrent tellement sur ce dieu dont nul ne pourrait jamais voir la face ; dont pas même Moïse ne connaîtra le nom - le Qui est de Ex 3,14 ne-saurait être autre chose qu'un subterfuge. J'aime à me souvenir que lorsque Jean aux presque tout débuts de l'Apocalypse égrène ses visions (Ap4,2) il n'a pas d'autre mot pour désigner Dieu que cet incroyable Quelqu'un ! voici, il y avait un trône dans le ciel, et sur ce trône quelqu’un était assis. Cherche-t-il à échapper à ce que la transcendance pouvait impliquer d'éloignement ?

Je n'y avais jamais songé : le choix fait pour cette cérémonie hommage est effectivement splendide : s'y résume - comment fis-je pour ne pas l'avoir compris auparavant ? - tout ce qui fait l'originalité du message chrétien. A écouter ou lire ses commentaires, je comprends bien qu'il fait du Serres - peut-on le lui reprocher. Ses propos ne sont pas des exégèses ou des analyses des versets bibliques mais des interprétations libres qui visent à y dénicher les prémisses de sa propre philosophie ou la preuve - mais qui ne serait valable que pour lui - qu'il ne s'écartât jamais de ce vieux fonds idéologique qu'il n'a pas pu ne pas recevoir recevoir en héritage. Je pourrais lui reprocher comme je le fis ailleurs, où je vis signes de vulgarité, de tirer la couverture à lui mais je ne le ferai pas. En vérité il fait partie d'une génération - celle de mes parents - mais dont la mienne ne s'écarta point trop encore - qui fut éduquée dans un monde encore bien religieux ; où les pratiques religieuses étaient choses courantes sinon coutumières et où les éducations reçues comportaient encore une part importante de religieux. Inutile de dire que pour ma part, étant élevé en des terres encore concordataires, ce fut encore éminemment vrai.

Voici donnée qu'il ne faut jamais mésestimer : ma génération, comme d'autre s'écarta de tout ceci et parfois entreprit de lutter là contre : il y avait dans les illusions marxisantes et scientistes des années 60 et 70 une évidence irréligieuse qui expliqua qu'elle s'occupa d'autres choses : de luttes sociales ; de socialisme … Mais cette génération savait à peu près tout ce que qu'elle combattait ou voulut ignorer ; en revanche elle ne transmit rien de ce vieux fonds religieux au point que ses enfants en ignorent à peu près tout hormis de plates généralités qui ne leur servent de rien ni à choisir, ni à comprendre …

On ne connaît rien mieux que ce que l'on combat. Notre génération rompue à la dialectique ne l'ignorait pas. Et même si elle se moquait avec cruauté parfois de ces vieux barbons ronchons ou naphtalinisés qui leur parlaient de morale de Dieu ou de valeurs (Mauriac ; Gide ; Claudel …) elle n'ignorait ni d'où ils venaient et pensaient ni les moyens de s'en faire alliés occasionnels quand ce fut nécessaire. Celle qui nous succède ne sait rien parce que nous ne lui avons rien dit. Elle n'éprouve donc en rien le besoin de se situer par rapport à cet héritage. J'ignore si ceci est préférable. C'est ainsi.

Autant dire en tout cas, qu'entendre surgir un Girard, issu de la critique littéraire, qui, après deux décennies d'hégémonie marxiste, proposa une théorie de la violence basée sur le désir mimétique et plus du tout sur les rapports de force économique était déjà insolite mais l'entendre proclamer que le message christique aura été le seul à le comprendre véritablement et demeure le seul moyen de lutter contre cette violence était surréaliste. Or c'est cet homme que Serres rejoignit et à qui il dut d'enseigner à Stanford. C'est la théorie de cet homme qui sans conteste contribua à orienter l'écriture de Serres des arides terres épistémologiques où il s'était longtemps attardé (Leibniz ; la série des Hermès) vers une pensée moins universitairement convenue, plus libre ; plus engageante aussi.

Il y aurait beaucoup à dire sur la rencontre de ces deux hommes et je ne regarde pas sans émotion cette émission de 89 où Pivot les rencontra à Stanford.

Il y a beaucoup à dire sur leur rencontre qui nous éloignerait sans doute de notre sujet - Croire - mais peut-être n'est-ce pas si certain. Il y a quelque chose sur cette quête du singulier à travers l'universel qui nous y ramène sans cesse. Serres n'a cessé de hanter ce qu'il a appelé le passage du Nord Ouest - ce chenal étroit où sciences dures et douces se rejoindraient - à vouloir relier ces continents d'humanités et de connaissances qui se toisent inutilement mais s’appellent avec tant d'obstination.

 

Retour à Dieu

Je l'ai rappelé plus haut : Dieu n'est plus une question de philosophie depuis Kant. Soit ! Mais l'être ?

Si j'essaie de me souvenir de ce que furent mes premières questions en philosophie - non pas celles qui m'y firent entrer mais celles que j'aurai d'abord projeté de traiter - de ce que furent les premières régions que je voulus explorer, alors, oui, ce furent celles-là précisément. Je savais bien que de la terre de la raison au ciel divin le chemin était obstrué mais je savais en même temps que la Révélation comme science et philosophie étaient affaire de connaissance : il n'était as possible que ces deux chemins ne se rejoignissent pas à un endroit comme ces tunnels que l'on aura achevé de percer lorsque les deux équipes qui d'adret et d'ubac entreprirent de creuser enfin ouvrent le dernier rempart qui les séparaient. Je cherchais la limite haute au delà de laquelle la raison ne pourrait se hisser mais cette ligne de partage où voix céleste et sueur de copiste cesseraient au moins de se contredire. Sans doute fut-ce ici tâche plutôt de théologien que de philosophe. De toute manière le chenal demeura obstrué. Je me mis à baguenauder ailleurs.

Mais je n'eus pas longtemps l'humeur d'un bipolaire.

Reprenons !

Qu'à cela ne tienne : la voie certaine vers Dieu n'en existe pas moins. Dans un certain endroit de la Corrèze, on parle de la route du moulin. Il n'y a plus de moulin depuis longtemps. La route du moulin n'en est pas moins toujours là. Il n'y a peut-être pas de Dieu, mais la·voie pour aller « vers Dieu » n'en est pas moins définie avec exactitude. Conche ibid

Il n'est pas trente six manières de procéder. Ou bien l'on finasse avec plus ou moins d'agilité mais malheureusement rarement avec assez : on fait alors comme M Jourdain de la théologie sans le dire en travestissant les mots ; en jouant l'allusion ; en prétextant l'implicite et l'on avance et argumente comme on l'entend quitte à laisser l'autre décoder. Conche ainsi évoque la voie certaine vers dieu dont l'un des versants seraient d'avenir et ouvert : on n'est plus très loin de la métaphysique alors. Ou bien au contraire l'on cesse de jouer au plus fin et enfin se regarder en face.

Dès lors, pour celui qui croit la seule question qui vaille est : que fais-tu de ta foi ? de ta croyance. Si rien de ton attitude n'en est changé, embelli, alors c'est que cette croyance est vide. Conche ne dit rien d'autre dans ce passage : cesserais-je d'aller vers l'autre, de le vouloir rencontrer, aider ou aimer si je cessais de croire ? Tout est là, dit !